L'homme est-il injuste par nature ?
Publié le 18/06/2012
Extrait du document
L'expérience nous apprend que depuis la corruption
du péché, l'homme a plus d'inclination pour le vice que
pour la vertu. Nous sommes bien plus portés à la
vengeance d'une injure qu'à la reconnaissance d'un
bienfait, nous conservons bien mieux le souvenir d'un
affront que celui d'une faveur, nous écrivons les bons
offices sur le sable ou sur les eaux, et nous gravons
les mauvais sur le marbre et sur l'airain. Il faut des
siècles entiers pour effacer un déplaisir, et il ne faut
qu'un moment pour oublier une obligation. Les grâces
que nous avons reçues sont des dettes, et les injures
sont des intérêts, nous avons honte d'être redevables,
et nous faisons gloire d'être ingrats.
«
Deux positions fondamentales
Une nature humaine foncièrement corrompue
La tradition chrétienne distingue deux natures humaines,
celle d'avant la chute, parfaite, et celle d'après .la chute,
corrompue.
La volonté est alors plus portée au mal·qu'au
bien, et c'est en elle qu'il faut chercher l'origine des injus
tices.
Citation
«L'expérience nous apprend que depuis la corruption
du péché, l'homme a plus d'inclination pour le vice que
pour la vertu.
Nous sommes bien plus portés à la
vengeance d'une injure qu'à la reconnaissance d'un
bienfait, nous conservons bien mieux le souvenir d'un
affront que celui d'une faveur, nous écrivons les bons
offices sur le sable ou sur les eaux, et nous gravons
les mauvais sur le marbre et sur l'airain.
Il faut des
siècles entiers pour effacer un déplaisir, et il ne faut
qu'un moment pour oublier une obligation.
Les grâces
que nous avons reçues sont des dettes, et les injures
sont des intérêts, nous avons honte d'être rede
vables, et nous faisons gloire d'être ingrats.
[ ...
] De ce
désordre il en naÎt un autre qui est aussi injuste, et qui
est encore plus détestable : nous sommes bien plus
âpres dans notre haine que dans notre amour, nous
poursuivons nos ennemis avec bien plus de chaleur
que nous servons nos amis, nous sommes lâches
dans l'amitié, et vigoureux dans la vengeance.
[ ...
]
Enfin notre volonté est si déréglée que nous ne pou
vons voir le mal d'autrui sans quelque sorte de plaisir;
nous nous affligeons de ses bons succès, et nous
nous réjouissons de ses disgrâces; sans être piqués
contre lui sa misère nous est agréable, et sa prospé
rité nous est odieuse.
[ ...
] L'injustice nous est passée
en nature.» (F.
Senault, L'Homme criminel ou la cor
ruption de la nature par le péché selon les sentiments
de Saint Augustin, éd.
1650, pp.
213-217.)
La société, principale source de l'injustice
• C'est la thèse de Rousseau, qui fait remarquer qu'à
l'état de nature l'homme n'est ni juste ni injuste, il est
innocent.
«Il paraît d'abord que les hommes dans cet
état, n'ayant entre eux aucune sorte de relation morale ni
de devoirs connus, ne pouvaient être ni bons ni méchants,
et n'avaient ni vices ni vertus, à moins que, prenant ces
mots dans un sens physique, on n'appelle vices dans
l'individu les qualités qui peuvent nuire à sa propre
conservation, et vertus celles qui peuvent y contribuer;
auquel cas il faudrait appeler le plus vertueux celui qui
résisterait le moins aux simples impulsions de la nature.»
(De l'inégalité parmi les hommes, 10-18, p.
278.)
Selon Rousseau (contrairement à Hobbes) à l'état de
nature l'homme n'est pas méchant, il n'est pas un loup
pour l'homme.
Aussi cet état de nature est-il «le plus
propre à la paix et le plus convenable au genre humain»
(Ibid.), car l'homme n'y a pas de passions et ignore le
vice à mal faire.
Il y est plus farouche que méchant.
Son
égoïsme est tempéré par un sentiment naturel, la pitié :
«c'est elle qui, au lieu de cette maxime sublime de justice
raisonnée, Fais à autrui comme tu veux qu'on te fasse,
inspire à tous les hommes cette autre maxime de bonté
naturelle, bien moins parfaite, mais plus utile que la pré
cédente : Fais ton bien avec le moindre mal d'autrui qu'il
est possible.
»
•
C'est l'abandon de l'état de nature et le passage à l'état
de social qui a transformé l'homme en un être méchant, à
la suite de diverses circonstances géoclimatiques qui
«ont pu perfectionner la raison humaine en détériorant
l'espèce, rendre un être méchant en le rendant sociable».
Un des moteurs principaux de cette transformation, c'est
l'invention de la propriété, fondatrice de la société civile.
Citation
«Le premier qui ayant enclos un terrain s'avisa de
dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples
pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile.
Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de
miseres et d'horreurs n'eût point épargnés au genre
humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant
le fossé, eût crié à ses semblables : "Gardez-vous
d'écouter cet imposteur; vous êtes perdus si vous
oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n'est à
personne!' (Id., p.
292.).
»
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