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Machiavel: Tous les hommes louent le passé, blâment le présent

Publié le 27/02/2008

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Tous les hommes louent le passé, blâment le présent, et souvent sans raison. Voici, je pense, les principales causes de leur prévention. La première, c'est qu'on ne connaît jamais la vérité tout entière du passé. On cache, le plus souvent, celles qui déshonoreraient un siècle ; et quant à celles qui sont faites pour l'honorer, on les amplifie, on les rend en termes pompeux et emphatiques. La plupart des écrivains obéissent tellement à la fortune des vainqueurs que, pour rendre leurs triomphes plus éclatants, non seulement ils exagèrent leurs succès, mais jusqu'à la défense des ennemis vaincus ; en sorte que les descendants des uns et des autres ne peuvent s'empêcher d'admirer les hommes qui ont figuré d'une manière aussi brillante, de les vanter et de s'y attacher. La seconde raison, c'est que les hommes n'éprouvent aucun sentiment de haine qui ne soit fondé ou sur la crainte naturelle ou sur l'envie. Ces deux puissants motifs n'existant plus dans le passé par rapport à nous, nous n'y trouvons ni qui nous pouvions redouter, ni qui nous devions envier. Mais il n'en est pas ainsi des événements où nous sommes nous-mêmes acteurs, ou qui se passent sous nos yeux : la connaissance que nous en avons est entière et complète ; rien ne nous en est dérobé. Ce que nous y apercevons de bien est tellement mêlé de choses qui nous déplaisent que nous sommes forcés d'en porter un jugement moins avantageux que du passé, quoique souvent le présent mérite réellement plus de louanges et d'admiration. Nicolas MACHIAVEL.

« Tous les hommes louent le passé, blâment le présent, et souvent sans raison «: les hommes n'ont de cesse de critiquer les temps présents, et ont une attitude exactement inverse envers le passé. Mais la question est alors: pourquoi Machiavel nous dit-il qu'il n'y pas de raison à cela quand précisément il va nous en donner deux? Il faut saisir que, d'une part, les hommes n'ont pas conscience des raisons qui les incitent à magnifier ainsi les temps passés, et, d'autre part, que ces raisons de sacraliser l'histoire ne sont pas de bonnes raisons. « Souvent sans raison « est donc à saisir comme « souvent sans raison claire pour ceux qui le font, souvent sans bonnes raisons de plus «. Quoiqu'il en soit, pourquoi cette haine du présent et cette fascination du révolu?

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« histoire est avant tout celle des vainqueurs: autours d'une victoire historique, on reconstruit la scène, mieux: onmet en scène.

L'histoire devient un spectacle (qui mobilise tant l'intellect que les affects), et accentue ainsi lemanque de toute objectivité face aux événements.

Après une distorsion qui s'origine dans une déficience historique,une apriorité morale, voici maintenant une nouvelle manière de voiler ce qui fût réellement: la reconstructionartistique à des fins psychologiques où se racontent l'histoire à la faveur des vainqueurs. Le sous-bassement psychologique de la magnifience du passé Nous l'avons dit: l'histoire subit une remise en scène intégrale afin d'accentuer les réactions psychologiques.

Danstous les cas, on impose une forme à la matière historique selon des motifs intéressés par toute autre chose que lavérité.

Dans la deuxième partie du texte, Machiavel se replie sur une étude psychologique.

Plus précisément, de quoinaît la haine? Pour haïr, il faut soit craindre soit envier.

En effet, la haine s'origine d'abord dans la crainte: parcenous avons peur de quelque chose nous ne l'aimons pas, nous ne tenons pas à le rencontrer.

Qu'est ce qu'unecrainte naturelle plus exactement: c'est un sentiment produit par l'apparition d'une entité qui est susceptible porteratteinte à notre intégrité.

Nous détestons en somme ce qui est potentiellement un danger face à notre instinct leplus primitif qu'est l'instinct de conservation.

Deuxièmement, nous détestons ce que nous envions.

En effet, celui quipossède ce que nous n'avons pas nous insère dans une posture jalouse à son égard.

Il l'a à notre place, ce qui faitnaître en nous un sentiment d'injustice contre cette distribution qui nous a lésé, et contre celui qui en a profité.

Onremarque que dans les deux cas, crainte et envie nous renvoie à l'insuffisance de notre être: notre fragilité (manquede force) face à la force de l'autre, notre besoin (manque d'avoir ou d'être) face à l'être ou l'avoir de l'autre.

Dansles deux cas, plus exactement, c'est la proximité à l'autre qui nous renvoie à nos propres insuffisances. Cette proximité, nous n'en jouissons pas avec le passé, mais seulement avec le présent.

Le passé, parce qu'il estrévolu affiche une certaine distance par rapport à notre personne.

Rien ne nous y menace, rien ne génère en nousl'envie.

En somme, le passé n'est que trop loin pour nous renvoyer à notre impuissance propre.

Seul le présent estsource de tels affects, seul ce qui nous est contemporain pouvant se révéler menaçant ou injustement orné desatouts que nous souhaiterions avoir.

En somme, il faut être acteur comme nous le sommes envers le présent,directement impliqué pour y mettre notre être en jeu, et non spectateur comme nous le sommes face au passé. Ainsi blâmons-nous le présent où tout apparaît clairement, sans zone d'ombre.

Le présent apparaît toujours danstoute sa plénitude, de manière continue contrairement à la discontinuité du passé qui nous permet d'y insérer nosexplications, nos liens, au gré de notre fantaisie.

Le présent au contraire nous invite à une certaine lucidité forcée:nous y voyons tout ce qu'il y a à voir, notre connaissance en est « entière ».

Lorsqu'un bien surgît dans cette trame présente, il n'est jamais séparé, gisant haut sur le trône que les historiens consacrent aux événementshistoriques par leurs mises en perspective artificielles.

Aucun relief créé de toute pièce n'apparaît: tout est mélangédans ce chaos incessant et contemporain.

Ainsi, le bien n'apparaît pas dans toute sa lumière, il est entremêlé avecla somme des événements qui arrivent à chaque instant.

Il perd ainsi de son éclat pour disparaître dans lesméandres du cohu-bohu quotidien.

Il a toujours à voir de près ou de loin avec quelque chose de désagréable aveclequel il entretient un rapport de causalité ou encore de simple contiguïté.

L'événement passé, par son aspectrévolu échappe à ce mélange quotidien, il apparaît comme un ilôt statique dans cette mouvance contemporaine: iléchappe à l'altération et peu ainsi apparaître dans toute sa clarté. L'événement passé rend notre jugement clément parce qu'il est ainsi détaché, il est un événement-séparééchappant à la contamination présente.

Entre anarchie présente, et ordre passé, l'homme se range du côté de lanostalgie.

Et ce, même si, comme nous l'avons vu en première partie, cet ordre du passé n'est qu'apparent: il estd'abord construit, puis mis en scène selon nos arrangements moraux et notre sensibilité psychologique. Conclusion Que les hommes réservent leur clémence au passé, et soient plus captivés par l'histoire que par le présent ne trouvesa raison que dans de mauvaises raisons.

Les hommes n'idolâtrent que ce qu'ils ont construit, mis en scène.

Là oùdes vainqueurs ne doivent la réussite de leur entreprise qu'à la fortune, à la chance, on magnifie leur action enl'attribuant seulement à leur mérite.

Il s'agit de se rappeler que chez Machiavel, la fortune est certes utile mais nonsuffisante.

Seul le vertueux saura faire de la chance une occasion, et il nécessitera toujours l'appui de cettefortune.

Mais ici, on évince tout une partie du contexte pour construire une statue dans l'airain de la gloire auxhéros de l'histoire.

La réalité historique devient simplement ce que les hommes désirent qu'elle soit: elle s'effacederrière une technique de théâtralisation, de canalisation des affects sur quelques figures dont le mythe n'estentretenu que par mensonge ou par effet d'illusion.

Cet implication des affects dans la perception de l'histoire estd'autant plus dommage pour Machiavel qu'elle distord une information pourtant utile aujourd'hui.

Parce que le temps. »

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