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Moi, je ne veux pas comprendre. Jean Anouilh

Publié le 22/02/2012

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Représentée pour la première fois le 4 février 1944, au Théâtre de l'Atelier, dans une mise en scène d'André Barsacq, Antigone, tragédie moderne de Jean Anouilh, dont la phrase ci-dessus est tirée, a été conçue à partir du modèle grec fourni par la tragédie de Sophocle, Antigone (Ve siècle avant l'ère chrétienne). S'inspirant de l'histoire d'OEdipe, Sophocle avait écrit une trilogie : Œdipe-roi (OEdipe se reconnaît coupable de ses crimes, parricide et inceste); Œdipe à Colone (OEdipe, devenu aveugle, va mourir); et enfin Antigone, qui met aux prises Antigone, mais aussi Ismène, filles d'OEdipe, et Créon, leur oncle, roi de Thèbes — et frère de Jocaste, la mère-épouse d'OEdipe.
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« connaissance de cause.

Elle doit reconnaître alors que ce n'est ni pour les autres, ni pour son frère, qu'elle s'engageabsurdement dans son projet suicidaire.

C'est pour elle seule.

A Créon qui lui demande pour qui elle veut mourir, ellerépond : « Pour personne.

Pour moi.

»Refuser de comprendre, dire non à l'existence, c'est, pour Antigone, rester fidèle à elle-même, à ce qu'elle aime, ettout dénote, dans sa conduite, dès les premiers échanges avec sa nourrice, un attachement impétueux aux plaisirsdes sens, qu'il s'agisse de capter la beauté de la nature au petit matin ou de s'abandonner aux tendres étreintesd'Hémon, son fiancé.Autant Antigone, en refusant de comprendre la logique des adultes, préserve son unité, autant Créon, qui veut toutcomprendre, se découvre divisé.

Il agit sans se conformer à son désir : il fait ce qu'il ne veut pas, comme le montreAntigone, en le poussant dans ses derniers retranchements.

Ainsi, être roi de Thèbes lui a paru « honnête » mais lapuissance n'était pas ce qu'il souhaitait; il a rendu les honneurs à Etéocle en privant Polynice de sépulture, mais cen'est rien d'autre que la raison d'Etat qui en a décidé; il devra faire mourir Antigone mais ce n'est pas ce qu'il veut.Si, proclame Antigone, « c'est cela être roi! » elle seule détient la véritable royauté (« moi je suis reine.

»).Créon plaide en faveur d'un compromis à négocier entre le désir et son accomplissement.

Il sait que la violence dudésir (ce que l'on croit et veut) doit être contenue par l'action et l'expérience (ce qu'il faut faire) :«Pour dire oui, il faut suer et retrousser ses manches, empoigner la vie à pleines mains et s'en mettre jusqu'auxcoudes.

C'est facile de dire non, même si on doit mourir.

Il n'y a qu'à ne pas bouger et attendre.

Attendre pourvivre, attendre même pour qu'on vous tue.

»Or, à l'inverse, la logique d'Antigone repose tout entière sur l'urgence d'une possession totale et immédiate.Antigone sera certes ébranlée par l'argumentation de Créon, l'ondée, avant tout, sur la vérité des faits et laconnaissance des êtres; elle sera mise en demeure d'admettre qu'elle s'était méprise sur ses frères, sur ce qu'elle acru titre son devoir (« Moi, je croyais »).

Le bonheur qui l'attend n'est pas le bonheur désiré.

Evaluer, mesurer àl'aune de la réalité la petite part de bonheur qui lui revient et qu'il faudrait obtenir en temporisant, au terme d'uneaction patiemment conçue, voilà ce qu'elle ne saurait comprendre, admettre, réaliser.

C'est tout de suite que touts'obtient :« Vous me dégoûtez tous avec votre bonheur! Avec votre vie qu'il faut aimer coûte que coûte.

On dirait des chiensqui lèchent tout ce qu'ils trouvent.

Et cette petite chance pour tous les jours, si on n'est pas trop exigeant.

Moi, jeveux tout, tout de suite, — et que ce soit entier — ou alors je refuse! Je ne veux pas être modeste, moi, et mecontenter d'un petit morceau si j'ai été bien sage.

Je veux être sûre de tout aujourd'hui et que cela soit aussi beauque quand j'étais petite — ou mourir.

»Dès lors, l'espoir de vivre n'est pas de mise : il engage, non le moment présent mais un avenir incertain quicompromet forcément l'exigence pleine et entière du désir présent.Antigone évoque avec mépris le Créon de quinze ans, virtuellement déchu de son accomplissement personnel : « Ah!je ris, Créon, je ris parce que je te vois à quinze ans, tout d'un coup! C'est le même air d'impuissance et de croirequ'on peut tout.

»Antigone comprendra qu'il est insensé de mourir et elle donnera raison à Créon (« Je ne sais plus pourquoi je meurs.»).

L'absurdité de son destin n'en est pas moins révélateur d'une illusion tragique mais qui est de tous les temps. Antigone met au jour deux conceptions antinomiques de l'homme qu'Anouilh a su incarner en deux personnages quetout semble opposer : jusque dans la tombe, Antigone ne saurait éviter de dire non à Créon, même si elle lui donneraison; et Créon, à son tour, dit oui à une existence qu'il sait entachée de compromissions et semée d'embûches.Créon peut se prévaloir néanmoins de cet avantage que le oui qu'il accorde à l'existence procède d'un non, refuséparce que dépassé.

N'a-t-il pas, dans sa jeunesse, ressenti l'absurdité d'un monde incompatible avec l'image idéalequ'il s'en était formée?La tragédie repose sur le déclenchement implacable d'un mécanisme qui rend le non d'Antigone irréparable.

Or cettetentation du nihilisme, qui, mieux que Camus, est parvenu à l'exprimer dans son oeuvre? Ainsi, dans Le Mythe deSisyphe, commencé en 1938 et publié en 1942, au moment où Anouilh crée son Antigone, Camus met en évidencel'absurdité du monde : Sisyphe, aux enfers, roule son rocher jusqu'au sommet d'une pente et doit recommencer,puisque ce rocher retombe toujours au bas de la pente.

Mais Sisyphe découvre que son effort est susceptible de seconvertir en une libération.

Le non, jeté à la face des dieux par ce héros de l'absurde, lui fait connaître sa misérablecondition et suscite sa révolte.

La conscience de l'absurde, ressort essentiel de la révolte, alimente, dès lors, salutte solitaire :«Il n'y a pas de soleil sans ombre, et il faut connaître la nuit.

L'homme absurde dit oui et son effort n'aura plus decesse.

»Il y a là le ferment d'un humanisme constructif et créateur de valeurs, comme l'atteste la lutte entreprise contre lemal dans La Peste (1947).

Le refus solitaire d'Antigone une fois énoncé, il appartenait à Créon d'en prendre lamesure pour lui donner un sens, tout comme Camus dépasse, dès Le Mythe de Sisyphe, le refus solitaire del'existence par une acceptation lucide et solidaire de la condition humaine.. »

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