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MONTESQUIEU : L'ÉCRIVAIN

Publié le 27/06/2011

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montesquieu

On eût, je pense, bien surpris Montesquieu si on l'eût prié de révéler les procédés de son style. Il avait identifié la forme et l'idée, et croyait que sa « manière « d'écrire n'était que sa manière de penser. Ainsi tout écrivain dépend d'abord de ses idées. Le style est l'expression parfaite de la pensée. Tout homme qui se crée des idées neuves n'est pas cependant pour autant un bon écrivain. Il faut qu'il soit « homme d'esprit «. De celui-ci Montesquieu a donné la définition suivante : « Un homme d'esprit est, dans ses ouvrages, créateur de dictons, de tours et de conceptions ; il habille sa pensée à sa mode, la forme, la crée par des façons de parler éloignées du vulgaire, mais qui ne paraissent pas être mises pour s'en éloigner. Un homme qui écrit bien n'écrit pas comme on a écrit, mais comme il écrit, et c'est souvent en parlant mal qu'il parle bien. « (Pensées I, p. 485). Peut-être Montesquieu livrait-il en ces lignes le secret de son art d'écrire.

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« mortels.« Je me croirais le plus heureux des mortels, si je pouvais faire que les hommes pussent se guérir de leurs préjugés.J'appelle ici préjugés, non pas ce qui fait qu'on ignore de certaines choses, mais ce qui fait qu'on s'ignore soi- même.»L'allure de la strophe lyrique est ici fort sensible.

La pensée va, sur un rythme chantant, et chaque phrase sembleportée par des thèmes mélodiques qui se répondent.

Le ton de confidence ajoute encore au charme de ces périodesharmonieusement balancées.

C'est l'art d'un raffiné, — et d'un lyrique, qui ne craint pas de nous ouvrir son cœur : «Je me croirais le plus heureux des hommes.

» Montesquieu se laisse aller au cours de ce rythme : il a subi l'attrait deces vocables précis à la fois et mélodieux.Les confidences se pressent, qu'il ne retient plus, et de ses souvenirs il tire de merveilleux effets :« J'ai bien des fois commencé et bien des fois abandonné cet ouvrage ; j'ai mille fois abandonné aux vents lesfeuilles que j'avais écrites ; je sentais tous les jours les mains paternelles tomber ; je suivais mon objet sans formerde dessein ; je ne connaissais ni les règles ni les exceptions ; je ne trouvais la vérité que pour La perdre ; maisquand j'ai découvert mes principes, tout ce que je cherchais est venu à moi, et, dans le cours de vingt années, j'aivu mon ouvrage commencer, croître, s'avancer et finir.

»La phrase musicale atteint ici sa perfection, non seulement parce que les thèmes mélodiques s'y poursuivent à lamême cadence, mais parce que chacun d'eux, après avoir suscité une grande image, s'achève dans l'apaisement durythme et la simplicité des mots.

Mais dans la dernière strophe éclate l'image triomphale qui suscite une magnifiqueévocation :« Si cet ouvrage a du succès, je le devrai beaucoup à la majesté de mon sujet ; cependant je ne crois pas avoirtotalement manqué de génie.

Quand j'ai vu ce que tant de grands hommes, en France, en Angleterre et enAllemagne ont écrit avant moi, j'ai été dans l'admiration, mais je n'ai point perdu le courage.

« Et moi aussi je suispeintre », ai-je dit avec le Corrège.

»Il ne faut pas cependant croire que ce soit là le style ordinaire de Montesquieu.

Ces pages rythmées se retrouventen quelques endroits des Lettres persanes (Lettres 13, 18, 19, 26, 98, 125, 141, 146, 161) ; et en quelques livresde l'Esprit des lois (Livre VI, 12,17 ; Livre X, 4, 9, 13, 14 ; Livre XV, 5 ; Livre XIX, 5 et 6; Livre XXV, 13 ; LivreXXVIII, 22). A l'ordinaire, Montesquieu écrit plus simplement, en une prose moins rythmique.

Mais volontiers il a recherché lagrande image finale, le trait d'enthousiasme qui éclaire des pages arides par une soudaine échappée sur d'immensesperspectives ; et il les a terminées sur une comparaison pittoresque.

Il a transformé des phrases qui étaientprimitivement sans couleur et sans vie, mais d'une précision dure, en périodes rythmées, faites pour le plaisir del'oreille, alors que les premières l'étaient pour celui de la raison.

Je n'en donnerai qu'un exemple typique.

Le XXVIIIelivre de Y Esprit des lois s'achevait sur l'affirmation suivante : « Tout ce que j'ai dit de la formation de nos lois civiles semblerait me conduire à donner aussi la théorie de nos loispolitiques, mais ce serait un grand ouvrage.

» Malgré sa netteté, la pensée a paru trop brutale à Montesquieu qui latransforme de la manière suivante : « Il aurait fallu que je m'étendisse davantage à la fin de ce livre, et qu'entrant dans de plus grands détails j'eussesuivi tous les changements insensibles qui, depuis l'ouverture des appels, ont formé le grand corps de notrejurisprudence française.

Mais j'aurais mis un grand ouvrage dans un grand ouvrage.

Je suis comme cet antiquaire quipartit de son pays, arriva en Egypte, jeta un coup d'œil sur les pyramides et s'en retourna.

» Cherche-t-on la magnificence des images obtenue par les moyens les plus simples ? Voici comment, au chapitre vdes Considérations, l'auteur rappelle la suprême décision de Louis XIV à la veille de Denain : « Je ne sache rien de si magnanime que la résolution que prit un monarque qui a régné de nos jours, de s'ensevelirplutôt sous les débris du trône que d'accepter des propositions qu'un roi ne doit pas entendre : il avait l'âme tropfière pour descendre plus bas que ses malheurs ne l'avaient mis ; et il savait bien que le courage peut raffermir unecouronne, et que l'infamie ne le fait jamais.

»Qui ignore l'image désolée sur laquelle s'achève le tableau de la décadence de l'Empire d'Orient ?« Je n'ai pas le courage de parler des misères qui suivirent ; je dirai seulement que, sous les derniers empereurs,J'empire, réduit aux faubourgs de Constantinople, finit comme le Rhin, qui n'est plus qu'un ruisseau lorsqu'il se perddans l'Océan.

»II*ne faudrait pas omettre la recherche laborieuse de la grande période, telle que Bossuet l'organisait avec un artsouverain.

Montesquieu y tâche, lui aussi ; il y triomphe rarement.

Nous signalerons le début du livre XXX, qui futrédigé, après des mois d'études épuisantes, dans l'ivresse de la découverte :« Je croirais qu'il y aurait une imperfection dans mon ouvrage, si je passais sous silence un événement arrivé unefois dans le monde, et qui n'arrivera peut-être jamais ; si je ne parlais de ces lois que l'on vit paraître en un momentdans toute l'Europe, sans qu'elles tinssent à celles que l'on avait jusqu'alors connues ; de ces lois qui ont fait desbiens et des maux infinis ; qui ont laissé des droits quand on a cédé le domaine ; qui, en donnant à plusieurspersonnes divers genres de seigneurie sur la même chose ou sur les mêmes personnes, ont diminué le poids de laseigneurie entière ; qui ont posé diverses limites dans les empires trop étendus ; qui ont produit la règle avec une. »

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