Devoir de Philosophie

La Mort et le Bûcheron. Étude comparée des fables de La Fontaine et de Boileau.

Publié le 16/02/2012

Extrait du document

fontaine

Rien ne met mieux en valeur le talent de La Fontaine que la comparaison de ses vivants chefs-d'oeuvre avec les sèches matières d'Esope. Boileau semble pourtant nous offrir ici un terme de comparaison plus intéressant. La naïveté primitive d'Esope est instructive; la docte maladresse de Despréaux l'est davantage encore. Qu'il s'attaque à la fable de l'Huître et les Plaideurs ou à celle de La Mort et le Bûcheron, sous prétexte de corriger La Fontaine, il nous aide à mieux apprécier l'art de son ami.

Celui-ci excelle à noter les détails utiles, pittoresques, dramatiques; celui-là s'arrête à des détails insignifiants et néglige l'essentiel. Autant l'un sait choisir et composer, autant l'autre paraît l'avoir ignoré dans cette tentative malheureuse. Un examen comparé des deux récits nous le fera clairement comprendre....

fontaine

« presque, dans le sentier sylvestre, sous les branches de son fagot, encore pour- vues de leurs feuilles - car c'est cela, la ramie On dirait un fagot en mar- che.

Son visage nous est d'abord cache, mais nous percevons le bruit de son pas pesant et nous songeons au faix accablant, aux armies accumulees sur ses epaules, qui alourdissent sa marche.

Ses « gemis- sements » aussi parviennent a nos oreilles, et nous devinons déjà le malheur du pau- ore bacheron.

Nous apprenons ou it se rend ainsi a grand'peine.

C'est « sa chau- mine enfumee » qu'il thche de gagner.

Il n'y est pas! Y parviendra-t-it ?...

Nous sommes dans Pincertitude.

Et quel terme A cette marche si penible I Une demeure krone et miserable - une chaumine, c'est moans qu'une chaumiere ! - delabree sans doute, sans contort ni beaute, aux murs de terre noircis par Ia fumee, la a taniere dont parte La Bruyere...

Tous ces details nous emeuvent, nous preparent a la com- passion que le poete veut faire naitre en nous. II.

LE Nun (Analyse La Fontaine y emploie 8 vers.

Il analyse la peine, la detresse du pauvre bficheron, que Boileau nomme seulement.

Il y ap- porte une telle exactitude qu'elles vivent devant nous, une telle delicatesse qu'elles nous touchent profondement. Il nous peint la souffrance physique de ce malheureux : elle est effort, douleur, las- situde.

II nous retrace, comme quelqu'un qui a frequente le has peuple, la vie peni- ble de ce travailleur.

Non seulement it est pauvre, mais il est miserable.

Et comment ne le serait-il pas? Pesons chacun des mots de son enumeration.

Elle est d'abord lente at generale (vers 7 et 8), puis elle se pre- cise (vers 9), se precipite et se dramatise (vers 10 et 11).

Il reflechit sur son sort : nul plaisir depuis qu'il est au monde et ii y est depuis longtemps; pas le moindre sourire de la Fortune depuis qu'il vit sur la machine ronde.

Comme cette periphrase humoristique revile bien quelqu'un de chez nous, du pays oh Ia plainte mime s'egaie d'un sourire 1 Et it compare son sort celui des autres.

Non, 11 n'en est pas de plus pauvre I - Le pain ne lui est pas as- sure; et I'on salt qu'en ce temps, plus en- core qu'aujourd'hui, le pain formait pres- que toute Palimentation du pauvre.

Et jamais de repos! Quelle lassitude en ces mots! Il est a Page, en effet, oh le repos devient un besoin, une necessite.

Lui, ne se reposera jamais.

- La reflexion tourne bientot a l'obsession.

Tout ce qui le charge, l'opprime, le tyrannise se dresse devant lui, prend une forme menacante : Sa femme - vieille de bonne heure, sans doute, et pent-etre malade; ses enfants - et le pauvre en a beaucoup! -; les sol- dats - et Dieu salt s'ils sont sans-gene et exigeants, surtout lorsqu'ils ne font que de passer! - les impots percus par des fermiers intraitables, durs aux petits, a plat-ventre devant les Brands - les crean- eters qu'il n'a pu rembourser at qui recta- ment impitoyablement leur du; la corvee - celle du roi et celle du seigneur, parte seche, temps vole a la famille...

Et le fa- buliste ramasse tous ces traits, les syn- thetise en un vers, a la maniere classique : Lui font d'un malheureux la peinture [achevee. Nous sommes prepares maintenant a ce qui va suivre, nous comprenons que le bficheron souhaite la mort...

at nous admi- rons en La Fontaine l'abondance unie a la brievete.

letement - evocation disgracieuse, toute physique, plus desagreable qu'emouvante.

Enfin, a la chaumiere que nous nous representons si vivement, en pleine fork, sont substitues deux termes vagues et abs- traits : peine at detresse.

Boileau ajoute Bien une image, mais elle n'est pas des plus heureuses.

Il nous montre son bfiche- ron a le corps tout en eau a.

Outre que l'expression n'est pas d'une parfaite exac- titude, la sueur qu'elle vent indiquer man- que de poesie.

Ce haletement, cette sueur, ont beau s'accompagner de deux mots dou- loureux : peine et detresse, nous ne sen- tons pas monter en nous Ia mime pitie qu'a regarder le bficheron de La Fontaine. des Sentiments).

Boileau a trouve languissants les vers de La Fontaine.

Il va donner une lecon au fabuliste et resumer en deux vers ce que son emule developpe en 8.

Il est des cas oh la brievete n'est pas de mise.

a Rien de trop », sans doute, mais aussi, a rien de manque >>.

I1 manque ici,pour exciter Pinteret, aussi bien que pour preparer le denouement, une analyse de cette seche expression: « las de souffrir », qui pretend tout dire.

II fallait enumerer les souffran- ces du bficheron : souffrances physiques, souffrances morales.

Remarquons, en pas- sant, une inexactitude.

Un homme en co- lere, a t pu, dans sa rage, jeter son far- deau.

Un homme abattu, epuise n'en a plus la force, 11 le laisse tomber, ou comma le dit si bien La Fontaine le met bas.

Le vers 5 aurait dfi etre consacre A cette ne- cessaire analyse.

Helas! Ce n'est qu'une longue cheville de 12 pieds : Plutot que de s'en voir actable de nouveau...

qui n'explique rien, qui n'ajoute rien, at dont la seule utilite semble etre de fournir une rime des plus mediocres a fardeau (nouveau). presque, dans le sentier sylvestre, sous les Branches de son fagot, encore pour­ vues de leurs feuilles — car c'est cela, la ramée —.

On dirait un fagot en mar­ che.

Son visage nous est d'abord caché, mais nous percevons le bruit de son pas pesant et nous songeons au faix accablant, aux années accumulées sur ses épaules, qui alourdissent sa marche.

Ses « gémis­ sements » aussi parviennent à nos oreilles, et nous devinons déjà le malheur du pau­ vre bûcheron. Nous apprenons où il se rend ainsi à grand'peine.

C'est « sa chau- mine enfumée » qu'il tâche de gagner.

Il n'y est pas! Y parviendra-t-il?...

Nous sommes dans l'incertitude.

Et quel terme à cette marche si pénible! Une demeure étroite et misérable — une chaumine, c'est moins qu'une chaumière! — délabrée sans doute, sans confort ni beauté, aux murs de terre noircis par la fumée, la « tanière » dont parle La Bruyère... Tous ces détails nous émeuvent, nous préparent à la com­ passion que le poète veut faire naître en nous.

lètement — évocation disgracieuse, toute physique, plus désagréable qu'émouvante.

— Enfin, a la chaumière que nous nous représentons si vivëment, en pleine forêt, sont substitués deux termes vagues et abs­ traits : peine et détresse. Boileau ajoute bien une image, mais elle n'est pas des plus heureuses.

Il nous montre son bûche­ ron « le corps tout en eau ».

Outre que l'expression n'est pas d'une parfaite exac­ titude, la sueur qu'elle veut indiquer man­ que de poésie. Ce halètement, cette sueur, ont beau s'accompagner de deux mots dou­ loureux : peine et détresse, nous ne sen­ tons pas monter en nous la même pitié qu'à regarder le bûcheron de La Fontaine.

II.

LE NŒUD (Analyse des Sentiments).

La Fontaine y emploie 8 vers.

Il analyse la peine, la détresse du pauvre bûcheron, que Boileau nomme seulement.

Il y ap­ porte une telle exactitude qu'elles vivent devant nous, une telle délicatesse qu'elles nous touchent profondément.

Il nous peint la souffrance physique de ce malheureux : elle est effort, douleur, las­ situde.

Il nous retrace, comme quelqu'un qui a fréquenté le bas peuple, la vie péni­ ble de ce travailleur.

Non seulement il est pauvre, mais il est misérable. Et comment ne le serait-il pas? Pesons chacun des mots de son énumération.

Elle est d'abord lente et générale (vers 7 et 8), puis elle se pré­ cise (vers 9), se précipite et se dramatise (vers 10 et 11).

Il réfléchit sur son sort : nul plaisir depuis qu'il est au monde et il y est depuis longtemps; pas le moindre sourire de la Fortune depuis qu'il vit sur la machine ronde.

Comme cette périphrase humoristique révèle bien quelqu'un de chez nous, du pays où la plainte même s'égaie d'un sourire! Et il compare son sort à celui des autres.

Non, il n'en est pas de plus pauvre! — Le pain ne lui est pas as­ suré; et l'on sait qu'en ce temps, plus en­ core qu'aujourd'hui, le pain formait pres­ que toute l'alimentation du pauvre.

Et jamais de repos! Quelle lassitude en ces mots! Il est a l'âge, en effet, où le repos devient un besoin, une nécessité. Lui, ne se reposera jamais.

— La réflexion tourne bientôt à l'obsession.

Tout ce qui le charge, l'opprime, le tyrannise se dresse devant lui, prend une forme menaçante : Sa femme — vieille de bonne heure, sans doute, et peut-être malade ; ses enfants — et le pauvre en a beaucoup! —; les sol­ dats — et Dieu sait s'ils sont sans-gêne et exigeants, surtout lorsqu'ils ne font que de passer! — les impôts perçus par des fermiers intraitables, durs aux petits, à plat-ventre devant les grands — les créan­ ciers qu'il n'a pu rembourser et qui récla­ ment impitoyablement leur dû; la corvée — celle du roi et celle du seigneur, perte sèche, temps volé à la famille...

Et le fa­ buliste ramasse tous ces traits, les syn­ thétise en un vers, à la manière classique : Lui font d'un malheureux la peinture {achevée.

Nous sommes préparés maintenant à ce qui va suivre, nous comprenons que le bûcheron souhaite la mort...

et nous admi­ rons en La Fontaine l'abondance unie à la brièveté.

Boileau a trouvé languissants les vers de La Fontaine.

Il va donner une leçon au fabuliste et résumer en deux vers ce que son émule développe en 8.

Il est des cas où la brièveté n'est pas de mise.

« Rien de trop », sans doute, mais aussi, « rien de manque ».

Il manque ici, pour exciter l'intérêt, aussi bien que pour préparer le dénouement, une analyse de cette sèche expression: « las de souffrir », qui prétend tout dire.

Il fallait énumérer les souffran­ ces du bûcheron : souffrances physiques, souffrances morales.

Remarquons, en pas­ sant,, une inexactitude.

Un homme en co­ lère, eût pu, dans sa rage, jeter son far­ deau. Un homme abattu, épuisé n'en a plus la force, il le laisse tomber, ou comme le dit si bien La Fontaine le met bas.

Le vers 5 aurait dû être consacré à cette né­ cessaire analyse. Hélas! Ce n'est qu'une longue cheville de 12 pieds : Plutôt que de s'en voir accablé de nouveau...

qui n'explique rien, qui n'ajoute rien, et dont la seule utilité semble être de fournir une rime des plus médiocres à fardeau (nouveau).. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles