Un objet d'art doit-il être beau et inutile ?
Publié le 31/08/2011
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Ce sujet pose la question de la compatibilité entre la beauté et l'utilité. On dit généralement que l'art est inutile car il ne répond à aucune besoin vital. Ces deux "qualités" de l'oeuvre d'art sont-elles contradictoires ? Un objet peut-il réellement être à la fois utile et beau ? Y a-t-il distinction, complémentarité, identité ou contradiction entre l'utilité et la beauté ?
«
pas ainsi en considération de leur utilité selon ce qui est
propre à chacun, ou bien par rapport au plaisir, si leur
vue peut réjouir les regards? Hors de cela, peux-tu indi
quer quelque autre motif qui te fasse dire qu'un corps
est beau?
POLOS.
- Aucun.
SOCRATE.- Et de même les autres choses, les figures
et les couleurs, n'est-ce pas pour un certain plaisir, ou
pour une utilité, ou pour ces deux motifs à la fois, que tu
les qualifies de belles ?
POLOS.- Oui.
SOC RA TE.
- De même encore pour les sons et tout ce
qui concerne la musique ?
POLOS.- Oui.
[ ...
] Voici enfin, Socrate, une bonne défini
tion du beau, maintenant que tu le définis par Je plaisir
et l'utilité.»
(Gorgias, 474 d- 475 a- trad.
A.
Croiset.)
2.
La beauté est en réalité inutile.
_______ _
Émanciper la beauté de l'utilité
• Quand Polos dit que le beau se définit par « le plaisir
et l'utilité» il emploie pour désigner cette seconde carac
téristique le mot grec agathon, qui signifie au sens large
bon et bien .
Chez les Grecs de l'Antiquité, en effet, le
c beau , (ka/os) est fréquemment identifié avec le bien et
a souvent un sens purement éthique (le bien et le beau
seront même complètement identifiés par les Stoïciens).
Il désigne alors une haute qualité morale, comme lorsque
nous parlons d'une belle action .
Il s'oppose à l'agréable
(êdu), source de plaisir, et à l'utile, au profit personnel
(ôphélimon, sumpheron) : une c belle , action se fait en
effet pour elle-même, en principe sans autre considéra
tion d'utilité que la satisfaction morale qu'on en retire.
• Certes, contrairement aux actes ou aux pensées, on ne
saurait donner une valeur morale à un objet pris en lui
même, sauf dans la mesure où il véhicule une signification
qui, elle, peut être jugée d'un point de vue éthique.
Néan
moins le caractère gratuit des belles actions, de la beauté
éthique, va retentir et pour ainsi dire se déplacer sur
les beaux objets, en éliminant graduellement l'utilité de
la définition de la beauté matérielle.
Une telle conception
culmine au XVIII' siècle avec les analyses de Kant qui dis
tingue avec force et netteté le caractère désintéressé de
la satisfaction esthétique.
Beauté et désintéressement
• Dans sa Critique du jugement, Kant observe que le
jugement de goût, qui énonce si un objet est ou n'est
pas beau, est un jugement «dont le principe déterminant
ne peut être que subjectif 1 : c'est pourquoi le jugement de
goût, ou jugement esthétique, n'est pas un jugement de
connaissance.
Kant observe encore que l'élément subjec-
, tif qui détermine le jugement de goût, c'est une satisfac
tion.
Mais cette satisfaction est toujours désintéressée .
En effet, lorsqu'on me demande si je trouve tel objet
beau, cee que l'on veut savoir c'est seulement si la seule
représentation de l'objet est accompagnée en moi de
plaisir quelle que soit mon indifférence pour l'existence
de l'objet de cette représentation (Crit.
du jug .
, § 2).
En
d'autres termes, je puis juger qu'une chose est belle sans
désirer la posséder ni m'en servir, et même en condam
nant son existence : je puis dire, par exemple, qu'un
palais est beau sans désirer aucunement y habiter ou en
estimant que sa construction ayant coûté beaucoup de
souffrance aux hommes, il eût mieux valu ne pas le bâtir.
La satisfaction qui accompagne le jugement du goût est
donc bien « un plaisir pur et désintéressé» (id.),
• Il apparaît dès lors que, contrairement à la thèse
exposée par Socrate, le beau ne peut être défini par l'uti
lité, et qu'il se distingue ainsi profondément du bon et de
l'agréable, lesquels sont toujours liés à un intérêt.
Le beau n'est pas l'agréable
• L'agréable, en effet, est lié à un intérêt, celui des sens.
·car l'agréable, remarque Kant, est cee qui plaît au sens
dans la sensation» (id., § 3).
En outre, le jugement sur
l'agréable, sur ce qui me plaît, est un jugement qui
· dépend du désir individuel, et ne prétend donc pas avoir
une valeur absolue, universelle, comme lorsque je dis
d'un objet qu'il est beau : «Pour ce qui est de l'agréable,
écrit Kant, chacun se résigne à ce que son jugement,
fondé sur un jugement individuel, par lequel il affirme
qu'un objet lui plaît, soit restreint à sa seule personne.
[ ...
] L'un trouve la couleur violette douce et aimable, un
autre la trouve morne et terne; l'un préfère le son des
instruments à vent, l'autre celui des instruments à cordes..
»
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