PLATON: Être et/ou ne pas être ?
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
«
faux pour vrai.
3.
Il faut être attentif à la manière dont se dramatise la présentation de ces questions : la forme a bienpartie liée avec le fond.
Tout commence par une prière : ne pas prendre pour un parricide ce qui ne l'est pas; ne pas tenir pour vrai ce qui serait faux.
Mais il faut soumettre ce commencement au doute (ou à la perplexité) qui s'exprime à la fin : qui dit vrai, qui dit faux? De fait, la suite du texte suggère bien que parricide, il y aura — en récusant tout scrupule.
Ainsi, la vérité du texte s'annonce dans une dé-négation, une façon de nier ce qui est pour mieux affirmer ce qu'il est (le non-être est).
On voit se profiler l'essentiel du problème : quels rapports faut-il établir entre l'être et le non-être d'unepart, mais aussi (et surtout) entre eux et les contraires du vrai et du faux (donc, si on veut, entre l'êtrede l'Être et l'être du discours).
On peut mesurer ici le degré de subtilité en même temps que de rigueurqu'exige une telle pensée de la vérité (pratiquées, à la limite de la confusion du vrai et faux, pour le plaisir de confondre l'adversaire, elles donneront l'éristique que Platon combattra ; consacrées à distinguer ceux-ci, dans le souci du dialogue désintéressé, elles formeront, dans son sens large, la dialectique platonicienne).
Remarquons encore que la possibilité de la vérité semble mettre en cause d'une part lestatut de la tradition, d'autre part celui de la parole :
La tradition, c'est l'autorité de Parménide le père.
On peut certes entendre l'histoire de la philosophie comme une « affaire de famille », et le meurtre du père comme l'acte requis symboliquement pour assurerl'affranchissement du fils.
Mais les « pères » (fondateurs) sont ici des maîtres, et les fils des disciples; leconflit que le texte installe (nous défendre, s'attaquer à) n'a pas d'autre enjeu que l'avènement de lavérité dans l'ordre des « idées reçues » : le courage scandaleux du parricide, c'est le parti-pris de laradicalité, c'est l'exigence d'une vérité autonome, n'ayant pas d'autre loi qu'elle-même (et ce sera, en l'occurrence, le courage d'affronter la contradiction au coeur de l'Être).
a.
La parole, c'est le mythos des Anciens.
Là encore, on pourrait entendre l'activité philosophique comme des récits de grands-pères racontant à leurs petits-enfants des « histoires de familles » (disputes, épousailles,enfantements...).
Mais des uns aux autres (aux muses d'Ionie et de Sicile : entendons Héraclite etEmpédocle), à mesure que ces récits « progressent », on pressent, sous l'ironie du propos, qu'il pourrait bien yavoir une vérité de la parole mythique.
Le mythe a lui-même l'air naïf; il prend ses modèles dans l'expérience de la vie — mais ne serait-ce paspour rendre sensible le sens caché de l'« être » des choses, impensable comme tel ? Et si la vérité del'Être, c'est qu'il est en dispute avec lui-même ? A tout le moins : dès qu'il se dit, il se contredit : l'être est à la fois un et plusieurs (mais il reste un quand il se contredit : son désaccord même est un éternel accord).
Et pour rappeler cela, pour oser assumer tout le « manifeste » de la contradiction, ne fallait-il pas un philosophe qui incarne, à sa façon, l'« unité des contraires »? Justement, l'Étranger qui mène le «combat », qui reconnaît le Père en le réfutant, c'est quelqu'un de la famille (il est lui-même Éléate); mais il vient d'ailleurs...
4.
Toute la dramatisation du texte, avec sa symbolique propre, tend donc à faire admettre, sur le fond, enrupture et en continuité avec celles des « pères » fondateurs, la nouveauté radicale de la thèse platonicienne,sur laquelle peut s'édifier sa théorie des Idées, sur laquelle aussi peut se fonder, voire se « légitimer », lapossibilité du discours faux (la sophistique, disions-nous).
Pour Platon, le non-être est un genre de l'Être, ou si l'on veut : il y a bel et bien une « réalité » du non-être (on pourrait dire encore : du « négatif »).
Sur ellereposent, très généralement, la possibilité de l'erreur (des opinions fausses), mais encore, il faut aller plus loin : la réalité de toutes les « falsifications », des opérations et des oeuvres qui altèrent la réalité de l'Être en le reproduisant (par l'art ou l'artifice), images, copies, imitations ou simulacres.
Plus radicalement que le rapport à l'Être de ces figures sensibles (leur « participation » aux Idées dont elles sont le reflet), le nouvel objetphilosophique qu'élabore le Sophiste, nécessairement abstrait, c'est la « participation » les unes aux autres des Idées elles-mêmes — et, pour commencer, des « genres de l'Être» (le Mouvement, le Repos, l'Autre, le Non-être...).
Et par là s'accomplit et se parfait un certain passage : celui du mythos au logos, de la parole mythique à l'essence logique de la pensée, dont le travail sur elle-même constitue dès lors toute l'histoire de laphilosophie..
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