Portrait de Carro-Carri - La Bruyère
Publié le 13/02/2012
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Deux fois déjà La Bruyère avait été sollicité par l'originalité de ce personnage. En 1689, il en trace un premier crayon qu'il insère au chapitre de la Cour. C'est ici l'aventurier audacieux, qui capte la confiance des grands; mais sa physionomie nous échappe. En 1690, La Bruyère proteste, au chapitre des Jugements, contre le peu de profit que retirent de leur profession les écrivains de métier.; il les compare aux ignorants qui exploitent la badauderie ou la crédulité . publique et amassent en peu de temps des fortunes considérables. Brioché s'enrichit à montrer des marionnettes; ....
«
son heros.
II l'installe sur un treteau, au Pont-Neuf.
Ecoutons-le.
Ce prompt
remede, Messieurs, n'est pas une vulgaire preparation, comme celles que l'on
vous a presentees jusqu'a ce jour : orvietan, bouillon de viperes, corne de
cerf, essence d'urine, poudre d'yeux d'ecrevisses et autres horreurs, c'est
un bien de famille, amiliore entre mes mains; de specifique qu'il Halt
contre la colique, it guerit desormais de la fieure quarte, de la pleuresie,
de l'hydropisie, de l'apoplexie, de l'epilepsie.
Et la voix de I'Italien s'enfle,
vibre, devient irresistible.
Ne croirait-on pas entendre !'irascible M.
Purgon
menacer Argan? Et comme cette enumeration emphatique est bien de nature
a impressionner les ignorants! ...II defie, a present, ses auditeurs de lui
nommer une maladie rebelle a ce merveilleux topique par lui perfectionne.
Forcez un peu votre memoire, Messieurs; nommez une maladie, la premiere
qui vous viendra en !'esprit.
- Un client lui crie : 4 Guerissez-vous l'hemor-
ragie? » - a Je la gueris! - Un incredule a sans doute demande a Carro-
Carri si son ',ere et son aleul, qui avaient ce secret, sont morts.
Le gueris-
seur n'est jamais embarrasse : 4 Oui, ils sont morts, mais ce n'est que par
hasard.
L'essentiel, en l'occurrence, est de ne point hesiter, et de trier fort.
II efit pu repondre avec plus d'A-propos : 4 Ne vous ai-je pas dit que mon
remede guerissait jadis de la seule colique; ils sont morts tous deux d'apo-
plexie...
Prevenant d'autres questions insidieuses, prudemment.
it emet des
reserves : iI ne ressuscite personne et it insiste ne rend pas la vie aux
hommes - sage precaution, car pent-etre l'efit-on pie de s'executer sur-le-
champ; - mais ii les conduit (ceux qui ont l'heur de s'adresser a lui) jusqu'a la decrepitude.
Cette promesse l'engage peu; it ne tardera pas, fortune
faite, a repasser les Alpes.
Von devine la suite.
c Je ne suis ici, Messieurs et
Mesdames, que pour quelques semaines, hfitez-vous d'en profiter.
Beneficiez
des prix de faveur que je consens au jour de mon arrivee.
Car ee merveil-
leux remede je ne le vends pas un louis, je ne le vends meme pas une livre,
je vous le donne pour 15 sols.
Vous entendez : 15 sols...
aujourd'hui seule- ment! b...
Et les badauds de s'arracher les Boles miraculeuses...
Dans la foule se trouve un valet de chambre du duc de La Feuillade.
Son maitre, abandonne des medecins, ne sait plus a quel saint se vouer.
4 Voila mon affaire, se dit-il; a la prochaine attaque de M.
le Duc, je lui pro-
poserai cela.
3.
Et l'officieux domestique s'en va, heureux de son emplette...
Bien lui en a pris; quelques heures plus tard son noble patron se debat dou-
loureusement contre le mal; it est a la mort.
C'est le moment d'essayer.
En ces instants, le patient accepte tout.
0 prodige le malade est calme instanta-
nement.
La nouvelle se repand.
Carro-Carri devient l'homme du jour; it
dedaigne maintenant la vile plebe et ne se rend plus que chez les illustres.
Le voici chez l'un d'eux, atteint d'une maladie incurable.
- e rant mieux,
declare-t-il, it n'en est que plus digne de mon application et de mon
remede!...
C'est du Moliere tout pur.
4 Je voudrais,
s'ecrie Toinette
deguisee en docteur, que vous fussiez abandonne de tous les medecins,
desespere, a l'agonie, pour vous montrer l'excellence de mes remedes...30.
Le
bonirnent du charlatan se borne a cette sleclaration; avec sa nouvelle clien-
tele it n'use pas des procedes trop grossiers, qui pourraient faire suspecter
sa 'competence.
Mais it y apporte aussi d'autres exigences.
Sur la place, it
fallait ecouler sa drogue a tout prix; en cette somptueuse demeure ii s'agit
avant tout de se faire grassement payer : noblesse oblige!...
Tandis que les
medecins recoivent pour leurs visites ce qu'on leur donne - quelques-uns se
contentent lame d'un simple remerciement Carro-Carri est si sal- de
son remede...
qu'il n'hesite pas de s'en faire payer d'avance.
Ce morticole
eleve ses pretentions a la hauteur du danger qu'il dit etre couru par ses
son héros.
Il l'installe sur un tréteau,
au Pont-Neuf.
Ecoutons-le.
Ce prompt
remède, Messieurs, n'est pas une vulgaire préparation, comme celles que l'on
vous a présentées jusqu'à ce jour : orviétan, bouillo~ de vipères, corne de
cerf, essence
d'urine, poudre d'yeux d'écrevisses et autres horreurs, c'est
un bien de famille, amélioré entre
mes mains; de spécifique qu'il était
contre la colique, il guérit
désormais de la fièvre quarte, de la pleurésie,
de l'hydropisie, de l'apoplexie, de l'épilepsie.
Et la voix de l'Italien s'enfle,
vibre,
devient irrésistible.
Ne croirait-on pas entendre l'irascible M.
Purgon
menacer Argan? Et comme cette énumération emphatique est bien de nature
à impressionner les ignorant~! ...
Il défie, à présent, ses auditeurs de lui
nommer une maladie rebelle à ce merveilleux topique par lui perfectionné.
Forcez un peu votre mémoire, Messieurs;" nommez une maladie, la première
qui vous viendra en
l'esprit.- Un client lui crie : «Guérissez-vous l'hémor
ragie?:.
- c Je la guéris!:.
-Un incrédule a sans doute demandé à Carro
Carri si son père.
et son aleul, qui avaient ce secret, sont morts.
Le guéris
seur n'est jamais embarrassé : c Oui, ils sont morttt, mais ce n'est que par
hasard.:.
L'essentiel, en l'occurrence, est de ne point hésiter, et de crier fort.
Il eût pu répondre avec plus d'à-propos : « Ne vous ai-je pas dit que mon
remède guérissait jadis de la seule colique; ils sont morts tous deux d'apo
plexie ...
:.
Prévenant d'autres questions insidieuses, prudemment.
il émet des
réserves : il ne ressuscite personne et il insiste : il ne rend pas la vie aux
hommes - sage précaution, car peut-être l'e~t-on prié de s'exécuter sur-le
champ; -mais il les conduit (ceux qui ont l'heur de s'adresser à lui) jusqu'a
la dêcrépitude.
Cette promesse l'engage peu; il ne tardera pas, fortune
faite, à 'repasser les Alpes.
L'on devine la suite.
c Je ne suis ici, Messieurs et
Mesdames, que pour quelques semaines, hâtez-vous d'en profiter.
Bénéficiez
des
prix de faveur que je consens au jour de mon arrivée.
Car ce merveil
leux remède je ne le vends pas un louis, je ne le vends même pas une livre,
je vous le donne pour 15 sols.
Vous entendez : 15 sols ...
aujourd'hui seule
ment!
» ...
Et les badauds de s'arracher les fioles miraculeuses ...
Dans là foule se trouve un valet de chambre du duc de La Feuillade.
Son maître, abandonné des médecins, ne sait plus à quel saint se vouer.
c Voilà mon affaire, se dit-il; à la prochaine attaque de M.
le Duc, je lui pro
poserai cela.
:.
Et l'officieux domestique s'en va, heureux de son emplette •..
Bien lui en a pris; quelques heures plus tl!rd son noble patron s.e débat dou
loureusement contre
le mal; il est à la mort.
C'est le moment d'essayer.
En
ces instants, le patient accepte tout.
0 prodige! le malade est calmé instanta
nément.
La nouvelle se répand.
Carro-Carri devient l'homme du jour; il
dédaigne maintenant la vile plèbe et ne se rend plus que chez les illustres.
Le voici
chez l'un d'eux, atteint d'une maladie incurable.
- c Tant mieux,
déclare-t-il, il n'en est que plus digne de mon application et de mon
remède! ...
:.
C'est du Molière tout pur.
c Je voudrais, s'écrie Toinette
déguisée
en docteur, qtie vous fussiez abandonné de tous les médecins,
désespéré, à l'agonie,
pour vous montrer l'excellence de mes remèdes ...
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• Le
bonbnent du charlatan se borne à cette .déclaration; avec sa nouvelle clien
tèle
il n'use pas des procédés trop grossiers, qui pourraient faire suspecter
sa ·compétence.
Mais il y apporte aussi d'autres exigences.
Sur la place, il
fallait écouler sa drogue à tout prix; en cette somptueuse demeure il s'agit
avant.
tout de se faire grassement payer : noblesse oblige! ...
Tandis que les
médee,ins
reçoivent pour leurs visites ce qu'on leur donne- quelques-uns se
contentent
même d'un simple remerciement -Carro-Carri est si silr de
son remède
...
qu'il n'hésite.
pas de 's'en faire· payer d'avance.
Ce.
morticole
élève ses
prétentions à la hauteur du danger qu'il dit être couru par ses.
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