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Saussure, Ferdinand - Cours de Linguistique Générale

Publié le 02/02/2011

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saussure

p Grande Bibliotheque Payot Ferdinand de Saussure Cours de linguistique generale Publie par Charles Bailly et Albert Sechehaye avec la collaboration de Albert Riedlinger Edition critique preparee par Tullio de Mauro Postface de Louis-Jean Calvet Les notes et commentaires de Tullio de Muro (pages I a XVIII et 319 a 495) ont ete traduits de l'italien par Louis-Jean Calvet. INTRODUCTION © 1967, pour les notes et commentaires de Tullio de Mauro, Laterza. © 1916, 1972, 1985, 1995, Editions Payot & Rivages, 106 bd Saint-Germain, Paris VIe Depuis les premieres annees du XVIII· steele, de generatton en g~n4- ration, se succedent dans la vieille famille genevoise des Saussure des naturalistes, des physiciens, des geographes. Mener plus loin les connaissances dans Ie domaine des sciences naturelles et des sciences exactes est une Mredit~ familiale, acceptee avec un orgueil conscient. Seule Albertine-Adrienne de Saussure, aux debuts du XIX· steele, .·~loigne de cette habitude pour se tourner vers l'estMtique des lettr~ romantiques et des pbilosophes Idealistes allemands, ainsi que vers la pedagogte, Deux generations plus tard Ferdinand de Saussure fait un choix tout aussi inbabituel dans la famille (et un ami de l' aleule paternelle, Adolphe Pictet, initiateur des ~tudes de paleontologle linguistiques et patriarche de la culture genevoise au milieu du XIX· y a certainement une part notable). A dix-neuf ans, apres avoil ~tudi~ durant deux semestres la chimie, la physique et les sciences naturelles a I'unlverslte de Geneve, Ie [eune Saussure reprend d~cid. ment les etudes Iitterafres et en particulier les etudes linguistiques, d~jil amorcees dans son adolescence, et il se rend pour ce faire en AIlemagne, a Leipzig et il Berlin, capitales mondiales des etudes philologiques a cette epoque, Le refus de la tradition familiale conceme cependant Ie contenu des recherches. La forma mentis scientifique, h6rit~ du p~ familial a travers l'enseignement direct du pere, foomit les traits les plus typiques de sa personnalite intellectuelle et de son ceuvre : Ie refus de toute mystification, de toute fausse clarte ; la parcimonie galil~nne dans I'introduction de neologtsmes techniques (illeur prefere la voie de la definition stipulative qui redetermine et discipline techniquement I'usage des mots courants); la disposition a remettre en jeu les these. et les dWonstrations les P.us cheres sous l'impulsion de nouvelles consid~ations; I'attention aceordee aussi bien aux faits particulien qU'Q leur concat6nation sysUmatique. A la fin de son Au1obiographie. u INTRODUCTION INTRODUCTION III Darwin depeint Ie comportement scientifique comme une combinaison bien dosee de scepticisme et d'imagination confiante : chaque these, meme la plus admise, est consideree comme hypothese, et chaque hypothese, meme la plus etrange, est conslderee comme une these possible, susceptible d'~tre v~rifi~e et developpee. Ferdinand de Saussure a incarne ce comportement en linguistique. C'est peut-etre justement la tendance lnnee A la recherche poussee aox limites du connu qui Ie mene hors des domaines dans lesquels avaient ~volu~ ses aleux, vers une discipline encore in fieri, ce qu'etait encore A cette epoque la linguistique. Dans la sphere de ces etudes, I'affirmation du jeune homme est prodigieusement rapide. n a vingt ans lorsqu'il concott, vingt et un Iorsqu'Il redige ce qu'on a eonstdere comme I( Ie plus beau livre de linguistique historique qui ait jamais ~t~ ecrit .,le Memoire sur les voyelles ; il a vingt-deux ans lorsque, juste avant d'obtenir son dlplome, il s'entend demander avec bienveillance par un docte professeur de l'unlversite de Leipzig s'il est par hasard parent du grand linguiste suisse Ferdinand de Saussure ; n n'a pas encore vingt-quatre ans lorsque, apres un semestre d'etudes il la Sorbonne ou il etatt alle perfectionner sa formation, Il se voit confier I'enseignement de la grammaire comparee dans la meme facult6 et, par lA, se charge d'inaugurer la nouvelle discipline dans Ies universit~s franeaises. Il est comprehensible que succede aux debuts precoces et intenses une longue pause de recueillement. Mais Ia pause se prolonge avec les annees : les travaux de Saussure sont toujours des I( pieces de musee • {comme le dira plus tard Jakob Wackernagel), mais sont toujonn plus redults et plus rares. En 1894, trois ans apres son retour A Geneve, l'organisation du congres des orientalistes et la participation A cette manifestation par un memoire de grande importance dans l'histoire des etudes baltes sont les dernieres manifestations publiques tmportantes de son talent. II s'enferme ensuite dans des recherches dont Il livre parfois quelques mots A ses amis; mais il observe un silence presque complet devant Ie public scientifique international. En 1913, juste apres sa mort, un 61eve et ami genevois ~crit de lui qu'il avait « vecu en solitaire '. L'image du solitaire se justifie certainement par son isolement croissant, par son silence scientifique prolonge, par certains traits de sa vie privee, par la tristesse qui voile lea dernieres rencontres avec ses eleves et les lettres. Et pourtant, meme en termes strictement biographiques, ce serait nne erreur que de n'accorder d'importance qu'a la constatation de sa solitude. II eut etJectivement peu d'amis : mats c'etaient Michel Breal, Gaston Paris et Wilhem Streitberg, grands noms des ~tudes JinguistiCflles et philologiques des deux pays alors a l'avant-garde en c:es domaines, I' Allemagne et la France. Et si ses salles de conn, a Paris et a Geneve, pouvaient paraltre et etatent a moiti6 vides, la liste de ses ~Ieves, r~cemment reconstltuee avec une patience m6rltoire montre que beaucoup d'entre eux ont ~t6 ceux qui vers la fin du XIX: steele et au debut du siecle suivant ont constttue les cadres moyens, Ie chatnon vital de I'universite fran~aise et suisse romande. Plus encore: ceux qui ont guide Ia linguistique moderne se sont formes a l'enseignement de Saussure : Paul Passy qui, parmi I,es premiers, ~Iabora une vision fonctionnelle des phenomenes phonetiques ; Maurice Grammont, un maitre de la phonetique du XX· steele, parmi les premiers A proposer une interpr~tatio~ systematique ~es changements diachroniques; Antoine Meillet, qu un, ~an~ phllologue c:omme Giorgio Pasquali conslderait comme I( Ie IID~Ulste ~e pl~s,g~D1a~ du XX. steele \" chef inconteste de l'ecole franeaise de lmgutsttque htstorique, se distinguant par I'elaboratlon et la verittcation d'une interpretation sociologique de l'histoire linguistique; Charles Bally, qui a amene it un niveau scientiftque les recherches de stylistique des langues ; Albert Sechehaye, qui entrouvrit Ie fertile champ de recherche. il l'intersection de la psychologie et de la linguistique ; Serge Karcevsktl, qui appliqua au domaine slave la vision dynamique du meeanlsme linguistique elaboree par Saussure, et qui, i1 Moscou en 1915, i1 Prague dans les annees vingt, co-auteur des Theses redigees pa~ les li.nguistes moscovites fondateurs de l'ecole de Prague, a transmis les Idees du maitre genevois a Trubeckoj, a. Jakobson, et meme i1 plusieurs des Unguistes suisses plus jeunes. II y a la trop de personnalites exceptionnelles pour penser ~ un pur hasard, pour ne pas y voir le resultat d'une profonde vocation pour l'Mucation a la recherche, Ie signe d'une volonte de se perpetuer dans les ~Ieves et de vaincre, par ce moyen, Ie sens de l'isolement. Le contraste entre isolement et participation ne domine pas senlement la vie prlvee Ie destin humain de Saussure. Nous le retrouvons il un niveau plus profond dans ses rapports avec la linguistique et la pensee de son temps et du notre. Les themes et instances de recherches que nous eonsiderons aujourd'hui comme typiquement saussuriens circulent dans toute la cult~re de la deuxleme mottle du XIX· steele. L'instance d'une gramm~ descriptive, statique, est ressentie par Spitzer, aecentuee par ~ltney, Brugmann et Osthoff, Ettmayer, Gabelentz, Marty; Ia n~c~lt~ d'~tudier les phenomenes phoniques en rapport avec leur fonelion significative est soutenue par une vaste troupe de savants, Dufri~e, Winteler, Passy, Sweet, Baudouin, Kruszewski, Noreen; Frege ~stingue entre sens (Bedeutung) et signifi~ (Sinn) ; Svedelius pr~coDlse une I( algebre de la langue » ; Noreen distingue entre etude substantielle et etude formelle des contenus semanttques et des aspects phoniques ; Whitney, Steinthal, Paul, Finck insistent sur l'~s,pect social des faits linguistiques et, avec beaucoup de n~ogrammamens, IV INTRODUCTION INTRODUCTION V sur la necesslte de conslderer la langue dans Son contexte social; Steinthal, sur les traces de Humboldt, propose a nouveau la vision globale des faits linguistiques. On pourrait continuer, en evoquant les reflexlons de Schuchardt, qui affinaient la sensibilite a l'aspect concret individuel de l'expression, les neogrammatrlens et la geolmguistique, qui soulignaient difteremment l'aspect accidentel des changements Iinguistiques, Peirce et Marty qui sentaient I'urgence d'une-science generate des signes, et encore Peirce, Marty, Mach et Dewey qui eommencerent la reevaluation des moments abstraits de I'experience humaine. II n'est pas toujours possible de dire si ces savants connaissaient les idees de Saussure et si Saussure connaissait les leurs. Mais meme si l'on devait toujours repondre negatlvement, il resterait cependant vrai que, dans l'ensemble, Saussure a vecu dans un rapport de profonde harmonie, d'echange mutuel avec son temps. On sait d'autre part combien la linguistique, la semlologie, l'anthropologie de notre temps doivent a Saussure. Des concepts et des themes contenus dans le COUTS de linguistique generale ont ete utilises au centre de dlfferentes directions de recherche. Se reclament en effet du Cours la sociolinguistique avec Meillet et Sommerfelt, la stylistique genevoise avec Bally, la Iinguistique psychologique avec Sechehaye, les fonctionnalistes comme Frei et Martinet, les institutionnalistes ita liens comme Devoto et Nencioni, les phonologues et structuralistes pragois comme Karcevskij, Trubeckoj et Jakobson, Ia linguistique mathematique avec Mandelbrot et Herdan, Ia semantique avec Ullmann, Prieto, Trier, Lyons, la psycholinguistique avec Bresson et Osgood, les historicistes comme Pagliaro et Coseriu; et encore Bloomfield (mais pas ses disciples), Hjelmslev et son ecole glossematique, Chomsky (plus que ses partisans). II suffit du reste de .regarder la liste des mots qui apparurent pour Ia premiere fois dans Ie COUTS ou qui y reeurent une sanction definitive dans une acception determtnee et demeuree ensuite valide : synchronie, diachronie, idiosynchronique, panehronie, panchronique, etc.; langue, langage, parole; signe, signi{iant, signi{ie; unite linguistique; syntagme, syntagmatique; execution, conscience llnguistique; phon~me, phonologie; substance et forme linguistique; eeonomie linguistique, valeur linguistique; code, circuit de la parole, modele; eiai de langue, statique, Bhniologie, semiologique, seme; opposition, oppositif, relatif, differentiel; ehatne, peut-etre structure, certainement systeme. Rares sont les mots clef de la linguistique contemporaine qui, communs it plusieurs directions de recherches, n'ont pas leur source dans Ie COW'S de linguistique generale. Et cependant, malgre toutes ces attaches, la personnallte de Saussurene cesse de se detacher, originale, sur Ie fond de son epoque, Le fait est que seule la matiere de ses reflexions lui a ete fournie par son epoque ; mais la forme ultime de la conception est originellement il lui. Parvenir it. cette forme a ete Ie probleme central de sa biographie scientiftque et intellectuelle, Ie terme de trente annees de recherches insatisfaltes. n l'atteint dans les dernleres annees de sa vie, et Il en trace les contours dans les ouvertures, les conclusions, les moments principaux du second et du trotsleme cours de linguistique generaIe (1908-1909, 1910-1911) it Geneve, Les recents travaux de R. Godel et R. Engler nous permettent de la saisir. On ne peut cependant pas en dire autant du Cours de linguistique gWrale. Comme chacun salt,letextedel'muvreaete elabore par Bally et Sechehaye en fondant en une redaction se posant comme unitaire les notes prises par les eleves durant les trois cours de linguistique generaIe tenus par Saussure et les rares notes autographes retrouvees dans ses papiers apres sa mort. Les fragments de la pensee saussurienne (mis a part quelques rares malentendus) sont en general heureusement compris et ftdelement reportes, Le COUTS est donc la somme la plus complete de la doctrine saussurienne, et II est probablement destine a le rester. Notre dette envers Bally et Sechehaye est donc grande et evidente, Mais ce serait trahir ce qu'lls ont accompli pour ditluser les theories du maitre que de cacher que Ie COUTS ftdele dans sa reproduction de certains elements de la doctrine linguisti;.ue de Saussure, ne l'est pas autant dans sa reproduction de leur agencement. Et l'ordre,comme le soulignait Saussure Iui-meme, est essentiel dans 1a theone de la langue, peut-etre plus que dans toute autre theorte, L'eeuvre de Bally et de Sechehaye n'est aujourd'hui vraiment contmuee que par celui qui contribue °a comprendre et a faire comprendre que, consciemment ou pas, nne bonne partie de la linguistique du xxe siecle a mum afin que, pardela la redaction du COUTS,l'enseignement de Saussure soit retrouve dans sa forme la plus authentique, et qu'ainsi il voie de nouvelles perspectives s'ouvrir devant lui. Le point de depart des reflexions de Saussure est la conscien~ aigu~ de l'Individualite

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