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Vous examinerez ce jugement de Maine de Biran : «Les philosophes du XVIIIe siècle n'ont pas connu l'homme».

Publié le 09/02/2011

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« nouveauté la Ve Promenade des Rêveries de Rousseau (ibid., p.

264).

Ainsi le XVIIIe siècle a d'abord voulu libérerl'homme de tous les systèmes a priori qui pesaient sur la psychologie ; il l'a fait en se soumettant à l'observationminutieuse et sincère de cette réalité multiforme qu'est l'homme.

Réussira-t-il d'une façon plus positive à donner del'homme une image synthétique, littéraire et vivante ? II L'explication de l'homme Il faut reconnaître que les philosophes du XVIIIe siècle ne semblent jamais avoir très bien dominé cette multitude defaits qu'ils accumulent sur l'homme.

Dans leur souci de substituer à l'homme universel des classiques un hommeparticulier, ils ont été surtout soucieux de montrer comment des déterminations locales ou temporelles pouvaientexpliquer l'homme, mais ils n'ont guère su créer de héros consistants et naturels : il est impossible de nier un certainéchec à cet égard. 1 L'homme expliqué par le lieu.

Ce n'est pas seulement pour de simples raisons de mode que le cosmopolitisme, lesrécits de voyage, le goût de l'étranger font fureur à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe.

Ce n'est pasarbitrairement si les «Persans» de Montesquieu ou les héros des Contes de Voltaire ou le Gil Blas de Lesage sontavant tout des voyageurs : c'est parce qu'il s'agit de montrer à quel point l'homme peut dépendre des lieux où il vit.L'étonnement perpétuel d'Usbek et de Rica est de découvrir que ce qu'ils avaient pris chez eux, en Perse, pour loiséternelles de la nature humaine est simplement relatif à un certain emplacement.

Et Micromégas, le géant venu deSirius, considère avec stupéfaction la Terre, cette planète où les hommes se croient le centre du monde et n'ontaucun sens de la relativité.

Plus sérieusement, plus scientifiquement, Montesquieu fonde la sociologie en prouvantque les faits humains sont conditionnés par les climats et que, par conséquent, il s'agit moins de connaître l'hommecomme on connaît une essence éternelle que d'expliquer la diversité des faits humains. 2 L'homme expliqué par son temps.

Ce n'est pas seulement par le lieu, mais aussi par le temps que les faits humainssont déterminés.

Le XVIIIe siècle voit le premier grand essor de l'histoire, non pas, comme le XIXe siècle, par goûtde la couleur locale ou par communion romantique avec la vie des masses, mais parce que, là encore, il s'est aperçuqu'^1 n'y a pas d'essence humaine éternelle, mais un homme en perpétuelle dépendance de son époque : si lesRomains ont connu tour à tour la grandeur et la décadence, ce n'est pas parce qu'il est dans l'essence de l'hommede passer de la grandeur à la décadence, mais c'est parce que les conditions historiques ont changé ; par exemple,quand ce ne fut plus un pays relativement réduit, mais un immense empire que durent défendre leurs soldats, ils«perdirent peu à peu l'esprit de citoyens», parce qu'ils furent de plus en plus éloignés de la métropole 0Ibidem, p.80).

Autres circonstances historiques, autres hommes.

L'homme dépend ainsi du hasard, c'est-à-dire demodifications souvent imprévisibles des causes qui agissent sur lui, et non d'une essence générale ou d'une fatalitédivine suspendue au-dessus de sa tête : telle est l'opinion de Voltaire qui admet toutefois que, de temps en temps,dans des circonstances privilégiées, de grands hommes peuvent contribuer à un certain progrès.

D'ailleurs, cesgrands hommes sont en étroit rapport avec leur siècle : un Louis XIV est à la fois source et symbole de la civilisationde son temps. 3 Des héros sans consistance.

L'étrange en tout cela est que la littérature du XVIIIe siècle n'arrive guère, en fait, àpeindre l'homme : à force d'être expliqué par le temps et par l'espace, le héros s'évanouit souvent, privé qu'il est detoute nature humaine.

Au fond, les héros les plus saillants sont des héros de l'histoire : le Charles XII de Voltaire ouson Louis XIV sont bien vivants, mais, justement, moins par leur nature que parce qu'ils symbolisent leur époque etleur pays.

On a souvent signalé l'impuissance de Voltaire à créer un héros valable et consistant, mais n'est-ce pasparce que, dans son désir de renouveler la tragédie, de lui assurer un cadre historique et géographique, il chargetrop ses héros de significations passées ou présentes, ce qui leur supprime toute personnalité véritable ? Qu'est-ceque Zaïre, sinon le symbole du choc de l'Occident chrétien et fanatique et de l'Orient musulman et plus tolérant ?Mais dans ce conflit que Voltaire croit voir au moyen âge, que deviennent les cris éternels de la passion et de lajalousie ? Force est de reconnaître qu'ils sont bien schématisés et bien froids (Ibidem, p.

107).

Malgré leur extrêmeagitation, comme ils sont parfois squelettiques, inconsistants, tous ces héros de roman du XVIIIe siècle ! Souventce sont de simples observateurs, de simples regards posés sur le monde, tels un Gil Blas, un Candide, un Zadig ; oubien ils incarnent les idées de l'auteur, tels un Saint-Preux, un Monsieur de Wolmar, une Julie d'Etanges, un Emile ;ou bien, quand on veut, à toute force, comme Diderot ou Beaumarchais, leur donner une nature, on crée de pursnerveux, de brillants agités et exaltés, tels le Neveu de Rameau ou Figaro.

Ainsi, pour avoir fui l'homme et sa natureéternelle, pour avoir essayé de l'expliquer dans son individualité locale et temporelle, le philosophe du XVIIIe sièclevoit dans une certaine mesure l'homme lui échapper ; on ne peut sans doute pas dire qu'il «n'ait pas connul'homme», mais peut-être n'a-t-il pas cru en l'homme comme en un immuable sujet d'étude. III La construction de l'homme Toutefois ce perpétuel changement de l'homme ne conduit pas les philosophes du XVIIIe siècle au scepticismepsychologique.

On peut même se demander si les héros qui les intéressent ne sont pas les héros d'action, les hérosinfiniment perfectibles, les héros qui dévoilent toutes les possibilités de l'homme.

«Nous sommes nés pour agir»,disait Voltaire.

Le problème ne serait-il pas pour le XVIIIe siècle, plutôt que de connaître l'homme, de le reconstruiredynamiquement ? Le vrai héros du XVIIIe siècle ne serait-il pas le héros de la civilisation en progrès ? 1 La civilisation.

Cette notion de civilisation est un véritable thème voltairien et on peut dire que souvent les hérosde Voltaire n'ont d'existence que par la civilisation qu'ils représentent : qu'est-ce que «le Mondain» sinon l'homme. »

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