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Bois sec Bois vert de Charles-Albert Cingria (fiche de lecture et critique)

Publié le 15/10/2018

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Bois sec Bois vert. Recueil de proses de Charles-Albert Cingria (Suisse, 1883-1954), publié à Paris chez Gallimard en 1948.
 
Parmi les écrits de Charles-Albert Cingria, longtemps dispersés de façon désinvolte en de multiples publications, il ne saurait guère être question de chercher à définir des genres précis : l'esprit extravagant et baroque du dandy suisse refuse de se couler dans quelque moule que ce soit, et ne se laisse entraîner que par les caprices de la plus souveraine des libertés, celle qui fait fi de toute contingence matérielle ou sociale. Bois sec Bois vert, recueil

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« d'une dizaine de textes apparemment hétéroclites, ne fait pas exception à cette règle et mêle l'érudition la plus subtile et la plus saugrenue aux vaga­ bondages d'une pensée toujours en quête d'anecdotes et de sensations.

Pourtant, derrière cette diversité de surface se dégage, pour qui sait s'ouvrir à l'aventure, une cohésion non factice, qui est celle de la vie même, en ses humeurs changeantes et ses plaisirs de surprise.

« Recensement », qui ouvre le recueil, intro­ duit également au style de Cingria : dans son petit appartement parisien, tandis que le jour se lève et que passent les camions de ramassage des ordures, il se laisse aller au « tonrentiel envahisse­ ment blanc » et nounit son écriture d'associa­ tions libres, depuis des problèmes de frappe sur sa machine à écrire jusqu'à une méditation sur les miracles, ou encore à la résolution fantaisiste d'un problème de volumes.

Cette errance de la pensée se double d'une autre, physique, dont ne s'est jamais dépris celui qui reste un fameux « vélocipédiste ».

Ainsi dans « le Petit Labyrinthe harmonique », notations d'impressions ressenties au cours de multiples randonnées dans la campagne française sur une « belle bicyclette bleue », et dans «Vair et Fou­ dres » qui mène d'une « bibliothèque de rebut », où se donne à lire un « petit dictionnaire mytho­ logique », à une vieille femme qui, dans sa cahute retirée, vend de l'eau-de-vie.

Ainsi, encore, dans« le Camp de César», qui prend prétexte de déambulations le long de l'Oise, du côté de Chantilly, et de la rencontre fortuite de jeunes et beaux voleurs, pour finir par rappeler le mot de Max jacob, selon lequel « la conversation vit de parenthèses ».

Parfois, un texte semble s'apparenter à la nou­ velle ou au conte de fées, comme dans « Xénia et le Diamant », ou au récit fantasmagorique : c'est« Hippolyte Hippocampe » qui nanre, en un baroquisme exquis, une version aquatique de *Phèdre.

Ailleurs, « Lou Sorde! » paraît une étude litté­ raire historique sur un des plus illustres trouba­ dours provençaux, mais dérive bientôt vers les faits d'armes de Charles l•r, roi de Naples, tandis que « le Comte des formes » pourrait passer pour une étude archéologique de la Ville Éter- nelle si son propos premier n'était d'élargir « le sens contemplatif.

mais attaché à autre chose que cela à quoi on pensait quand on se représentait Rome dans les .livres ».

Quant à « la Couleuvre » malicieuse, elle pourrait tout droit sortir, ainsi qu'on l'a souvent fait remarquer, d'un ouvrage de Francis Ponge.

Quel que soit son point de départ, l'écriture de Cingria ne se fixe aucun objectif précis à atteindre et refuse d'emprunter la moindre ligne droite : car elle se veut, d'abord et avant tout, mouvement.

Son principe en est la digression, par laquelle elle s'ouvre au monde sous toutes ses facettes, adhère au présent sensible et accueille les faits et les impressions tels qu'ils se don­ nent, sans souci de hiérarchisation ni d'objectivation.

«Ce n'est rien : c'est prodigieux», s'écrie-il ainsi, dans «le Petit Labyrinthe harmonique », alors qu'il a dû se garer avec sa bicyclette sur un chemin de halage pour laisser pas­ ser une jument qui tire un chaland vide.

Tout Cingria est là, dans cette dis­ ponibilité permanente à l'événement.

«J'appelle réalité ce qui est réel- ce qui arrive», dit-il dans «Recensement», en jouissant de l'exercice plein de tous ses sens.

C'est cette capacité de ravisse­ ment, de captation de l'instant, qui en fait, quoiqu'il n'ait guère écrit de poè­ mes, l'une des figures poétiques les plus attachantes de ce siècle.

Un tel incessant déplacement pour­ rait pourtant sembler manquer l'être des choses pour ne privilégier que l'apparence ou le geste, comme chez Genet, et se les approprier pour les détourner.

Au contraire, Charles-Albert Cingria en appelle à dépasser les miroi­ tements pour rejoindre la plénitude et l'authenticité.

«Ici le visuel est secondaire.

C'est moins un spectacle qu'une audition, et des plus raffinées qui puissent exister dans l'accès non prévu de sensations pareilles», confie­ t-il dans «Vair et Foudres », alors. »

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