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LE ROMAN AUX XIVe ET XVe SIÈCLES

Publié le 23/03/2018

Extrait du document

On continue à transposer en prose les œuvres

 

écrites en vers, à remanier et à étoffer les œuvres déjà transposées ou directement rédigées en prose au x}e siècle. En dehors des cycles épiques et du cycle arthurien, un des romans les plus inté­ressants est Berinus, mis en prose au XIve siècle d'après un texte en vers dont il ne reste que quelques fragments et que R. Bossuat date de 1253 $• On y reconnaît l'influence de récits orientaux comme Sindbad le marin, des Mille et Une Nuits, de la Vie d'Esope par Planude 8, de la légende des Sept Sages de Rome, d'Hérodote même; on y trouve l'histoire que Mérimée racontera sous le titre de La Vénus d'Ille, et un grand nombre d'aventures venues de sources très diverses ou inspi­rées à l'auteur par une imagination fertile, car s'il n'est pas indiférent aux ques­tions de psychologie, de morale et surtout de religion, son but principal est de raconter des prouesses, des merveilles, de joyeux tours, des voyages extraordi­naires. L'ensemble est bien composé, les épisodes les plus éloignés les uns des autres se correspondent et se complètent. Aigre, le fils de Berinus, semble voué à rattraper et à réparer tout ce que son père a manqué : il retrouve sa famille, devient empereur de Rome, reconquiert le royaume de Blandie perdu par son

pendant plusieurs siècles, ce roman est tombé de nos jours dans l'oubli et le discrédit. L'étude que lui a consacrée Mlle Lods invite à une réhabilitation. L'au­teur de Perceforest est non seulement l'adroit arrangeur d'une préhistoire arthu­rienne et le conservateur des antiquités chevaleresques, il a dans l'invention et le style quelque chose qui annonce l'heureux jaillissement de Rabelais.

Les romans bretons ont encore fourni la matière, ou du moins le point de départ, d'Isaïe le Triste (première moitié du XIve siècle) qui raconte l'histoire du fils de Tristan et d'Yseult, amoureux de la princesse Marthe, père d'un jeune Marc et compagnon du nain Tronc, et ont inspiré à Froissart le dernier roman d'aventures en vers, Meliador, achevé après 1383 : c'est l'œuvre d'un artiste sensible au charme du passé, qui décrit avec élégance d'innombrables combats et prête aux chevaliers d'Arthur le « panache » des chevaliers français au temps de Bertrand du Guesclin '•

Mélusine                                                On peut aussi considérer comme un roman

 

d'aventures la Mélusine de Jean d'Arras, écrite entre 1387 et 1393, qui est une chronique des origines de la ville et de la maison de Lusignan. Comme dans plusieurs des œuvres de cette époque, le plaisir de narrer des contes s'unit au souci de remonter le temps et de retrouver les titres de noblesse des êtres et des usages contemporains. De là vient l'aspect parfois documentaire de l'œuvre - Jean d'Arras détaille les blasons, les armes, l'ordre des batailles et des cortèges - et son intention parfois didac­tique : à ses fils qui sont armés chevaliers et partent en expédition, la fée Mélusine fait à deux reprises des exhortations morales et religieuses. L'auteur prétend être véridique, même dans le merveilleux : ce qu'il dit est « publié par les vrayes croniques », il a des témoignages écrits et oraux sur les lutins, les fées, les femmes qui se métamorphosent en serpents; la puissance de Dieu est infinie, elle accomplit des actes incroyables aux petits esprits et à ceux qui n'ont jamais rien lu et ne sont jamais sortis de chez eux : « Et ainsi est il de nostre histoire. Elle est forte a croire, en plusieurs lieux, de ceulx qui ont gros engin (= l'esprit grossier}, et a ceulx qui l'ont delié, legiere ». Mais le merveilleux chez Jean d'Arras est bien différent du surnaturel qu'on trouve dans les romans du Graal. Il tient peu de place en dehors des premiers et derniers chapitres, et il a un caractère populaire et familier qui justifierait la crédulité de l'auteur et prouve au moins· qu'il tenait ses récits de gens qui y croyaient vraiment. Le centre de l'ouvrage est occupé par les aventures des fils de Mélusine et de Remondin, tous marqués d'un étrange signe qu'ils doivent sans le savoir à leur ascendance maternelle maléficiée; cinq sont de vaillants chevaliers qui épousent des princesses et règnent sur les pays sauvés par eux; mais le sixième, le cruel Geoffroy à la grand dent, brûle dans l'abbaye de Maillezais son propre frère cadet, Frommont, qui s'est fait moine; aussi courageux que ses frères et aussi prompt à châtier les oppresseurs, il est plus violent et plus déséquilibré, peut-être parce qu'il est plus soumis à son hérédité : c'est lui d'ailleurs qui découvre le tombeau de son grand-père et succède

Les mises en prose se multiplient à partir de 1450, inspirées par l'idée que les romans ou les épopées d'autrefois étaient de l'histoire, et par le désir de donner des faits une version plus rapide et plus directe, dans un langage moderne (les dialectes du xne et du XIIIe siècle étaient considérés au xve comme un « langage corrompu »). On mit ainsi en prose, plus ou moins fidèlement, La Manekine de Philippe de Beaumanoir, Blancandin et Orgueilleuse d'amour, Florimont d'Aimon de Varennes, Cléomadès d'Adenet le Roi, et bien d'autres romans encore, dont le Cligés de Chrétien et son Brec I, transposition sans rapport avec le roman d'Brec en prose dont nous avons parlé au chapitre précédent. Mises en prose, les chansons de geste se rapprochent des romans et le fonds épique est assimilé au fonds roma­nesque : Charlemagne, Turpin, Fierabras, Ogier de Danemark, Garin le Lorrain, Aimeri de Narbonne, Guillaume d'Orange, Garin de Montglane, Renaud de Montauban, Huon de Bordeaux, d'autres héros d'épopée devinrent des héros d'aventures et des figures légendaires, plus encore que les héros du monde arthu­rien, Merlin, Tristan, Lancelot et Arthur lui-même. Au XIve siècle, Jean d'Outre‑

« lourdes cuirasses et aux trop longues lances, mais par une espèce de nostalgie ou un désir de compensation les vertus des chevaliers sont toujours évoquées avec respect.

On veut reconstituer une époque disparue et remonter aux origines en proposant aux lecteurs les beaux exemples et les bons usages d'autref ois.

Les romans bretons Jusqu'au xvme et même au x1xe siècle, la grande source des connaissances sur l'an­ cienne chevalerie, ou sur ce qu'on croyait tel, est le roman de Perce forest, dans lequel on voit encore à ju ste titre un « manuel de chevalerie 1 ».

« C'est l'histoire de la Grande-Bretagne, entre le règne d'Alexandre et celui d'Arthur », écrit J.

Lods qui donne un long résumé de l'œuvre et en situe la composition ;entre 1313 et 1325.

Alexandre instaure ou plutôt rétablit en Grande-Bretagne la che­ valerie, et désigne comme rois Betis, bientôt appelé Perceforest, et son frère Gadif er.

Percef orest fait reconnaitre le vrai Dieu, qui lui a été enseigné par l'ermite Dardanon ; cette première période, au cours de laquelle les rebelles sont vaincus et les barbares sont civilisés, s'achève sur une invasion romaine et sur une déf aite par laquelle est anéantie toute l'œuvre de Percef orest.

Une nouvelle fois la che­ valerie sera restaurée, par trois jeunes gens fils de chevaliers de la première période, et Gal lafur, descendant de Gadifer, est couronné roi après avoir donné par ses aventures la preuve de sa prédestinatio n; cette seconde époque de civili­ sation, plus courtoise que la première, est placée sous le signe de la Croix non encore interprété et de l'attente du Chri st; elle s'achève elle aussi par une invasion et par l'anéantissement.

La troisième période verra un autre Gall afur, fils du pré­ cédent, initié par Alain le Gros aux mystères du Graal et de la religion chrétienne.

Les trois parties ainsi définies sont de longueur inégale, et le dessin général de l'ou vrage est surchargé par mille aventures diverses, dont certaines sont ample­ ment développées.

Les ressemblances avec les romans du Graal sont plus que l'effet d'une mode littérai re; le roman de Percef orest est aux romans du Graal ce que l'A ncien Testament est au Nouveau Testament, il les préfigure ; Percef orest, seul digne de pénétrer dans le sanctuaire du vrai Dieu, est le figuratif de Perceval, son nom l'indique ; mais il annonce aussi Arthur ; la Table d'ivoire avec son siège périlleux correspond à la Table ronde; la bataille du Franc-Palais, par laquelle est ruiné le royaume et sont anéantis les chevaliers, à la bataille de Sales­ bières ; l'Ile de vie où Percef orest est alors enlevé par la Reine-f ée, à l'Ile d'Avalon; Gall afur à son tour préfigure Galaad, il porte l'écu orné d'une croix rouge; il éteint le feu dont brûle la tombe de Darnant, comme Galaad éteint le feu de la tombe de Simé on; il est le chevalier chaste et solitaire qui résiste à toutes les tenta tions .

Ces parallèles pourraient être multi pliés, mais l'auteur ne s'en est pas tenu à l'imitation d'aventures déjà racontées, comme font les auteurs du Tris tan en prose et de l'Brec en prose, il a enrichi son œuvre de récits empruntés à d'autres sources, contes de fées ou contes orientaux, se plaisant à raconter l'aventure pour l'aven ture, selon une tendance qui aboutira à des excès ridicules au siècle suivant, mais qui se fait nettement sentir dès le début du XIve siècle.

Illustre et exploité 1.

Cf.

Jeanne Lons, Le Roman de Perce forest, Genève-Lille, 1951, pp.

201-245.

Ce roman, qui a été écrit dans le premier tiers du XIV8 siècle, a eu deux éditions au début du XVI8 mais n'a pas été réédité depuis.

L'étude approfondie de Mlle Lods en donne une idée assez complète.. »

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