Le style des Châtiments
Publié le 16/03/2015
Extrait du document
Enfin, l'alliance thématique qui associe la fête orgiaque et le crime ne manque pas non plus d'ironie. Ainsi, chaque fois que sera évoquée la fête, c'est le souvenir du crime qui se profile et vice versa. Toutes les images sont hantées par leur opposé : mariage monstrueux où « La France épouse l'assassin « (« L'empereur s'amuse «, III, 10), où l'« histrion « est aussi l' « assassin « (« Nox «) ; où la gloire de Rome ne va pas sans l'image de son égout (Livre VII, 6).
«
E X P 0 S É S F C H E S
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Il -LE MÉLANGE DES GENRES
« Nous en avons pleuré, mais souvent nous en rîmes » (VII, 10)
L'alliance des esthétiques et des tonalités, considérées habituellement comme
antithétiques, participe aussi du style des
Châtiments.
On y rencontre l'individu,
poète citoyen, face à !'Histoire qu'il faut transformer: l'ordre du lyrisme intime
croisant la vision épique.
De même l'alliance de la satire et du châtiment divin vise
bien un même objet : lutter
« pour la justice et la vérité » contre « la toute-puis
sance du
mal» (Préface de l'auteur, 1853).
Le comique qui méprise et la colère
du Dieu biblique associés nous renvoient alors à une condamnation qui est sa
propre caricature; pour Napoléon III et ses séides, ce n'est pas la mort qui est ré
clamée mais la flétrissure,« la longue et infamante expiation»
(Châtiments, note V) : non « !'échafaud sévère » mais « les sabots sonnant sur le pavé du bagne ! »
(Livre VII, 10).
La voix de l'outre-tombe
Le proscrit est celui qui a choisi la liberté aux dépens de la patrie (Livre VII, 7
et 14).
Mais
il meurt de ne pas voir sa patrie.
Cependant« Dieu ne veut pas que le
silence se fasse, Dieu ne veut pas que la liberté, qui est son verbe, se taise » ( Châti
ments,
note V).
Dès lors « la tribune » est reconstruite « dans la solitude », au fond
même de la tombe, et
« il en sort la formidable protestation des morts ! Il en sort la
voix vengeresse, la voix inextinguible, la voix
qu'on n'étouffe pas, la voix qu'on
ne bâillonne pas ! » (ibid.).
La voix totalement libre des morts et qui parle aux
vivants : telle est sans doute pour Hugo
le vrai paradigme de la poésie .
..
Ill -UNE LANGUE VIOLENTÉE
La grammaire
Devant le dévoiement de la parole, l'ambition des Châtiments n'est-elle pas de
refonder une langue nouvelle
? Il faut alors reconsidérer l'importance du fémi
nin:« car l'archange est plutôt une femme qu'un homme»(« Aux femmes», Livre VI, 8 ; voir aussi «Pauline Roland», Livre V, 9 et la note V) ; reconsidérer
aussi le nombre, car« celui-là» est peut-être à lui seul la conscience d'une His
toire où les
« tas » et les « ramas » figurent le néant ou l'amorphe.
De même le « verbe »est à repenser car il doit être « ultime » ( « Ultima verba », Livre VII, 17).
Le vocabulaire
Celui qui avait mis le « bonnet rouge au vieux dictionnaire » va ici encore plus
loin car
il manipule les référents et les noms propres : le peuple devient Lazare
(Livre Il,
2) ; Napoléon-le-Petit ou Cartouche-le-Grand (Livre II, 7).
Les noms
propres deviennent noms
communs: «On a débaptisé la honte, elle s'appelle/Si
bour; la trahison, Maupas ; l'assassinat/Sous le nom de Magnan est membre du
sénat
» (Livre III, 8).
Conclusion
À ce monde sens dessus dessous de !'Histoire, la langue des
Châtiments tend un miroir pour lui renvoyer sa monstruosité ; mais cette
image négative dessine un avenir.
Dissolvante mais constructive : ainsi ap
paraît clairement la dualité de !'esthétique ironique..
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