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PAUVRETÉ ET LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ AU XVIIIÈME SIÈCLE

Publié le 22/03/2014

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PAUVRETÉ ET LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ AU XVIIIÈME SIÈCLE 

 

 

 

Selon la déclaration du Roi du 27 août 1701, le pauvre est celui qui "n'a ny profession, ny métier, ny domicile certains, ny bien pour subsister et qui n'est avouez, et ne peut faire certifier de ses bonnes vie et moeurs par personne digne de foy". La définition du pauvre dans la société d'Ancien Régime admet une acceptation économique et sociale. Économiquement parlant, le pauvre est celui qui est dans la "nécessité" ou dans la "disette". Pour définir la pauvreté, les auteurs contemporains évaluent un seuil de pauvreté qui correspond au minimum vital alimentaire. Socialement, le pauvre se présente sous les traits de l'indigent, de l'errant ou encore de la femme isolée. La pauvreté admet aussi de nombreuses distinctions d'ordre géographique, religieux, etc. 

La seconde moitié du XVIIIème siècle est marquée par une recrudescence de la pauvreté et avec elle l'émergence d'une nouvelle perception des démunis. On les regarde moins comme des nécessiteux que des fainéants qu'il faut remettre au travail. 

Dès le XVIIème, des mesures sont prises pour endiguer "ce fléau". Le concours de l'Académie de Châlons qui suscita cent dix-huit réponses à une question sur les "moyens de détruire la Mendicité en France en rendant les Mendiants utiles à l'État sans les rendre malheureux" témoigne de la place centrale de cette question dans la France d'Ancien Régime. L'Église, dont les valeurs fondamentales prônent l'amour du prochain, mettent en place des institutions charitables pour venir en aide aux pauvres par l'aumône. Au cours du XVIIIème siècle, la charité chrétienne tend à se laïciser. La lutte contre la pauvreté devient en grande partie l'apanage du pouvoir royal qui oscillera tout au long du siècle entre assistance et répression des pauvres, s'appuyant sur une législation abondante. 

À partir de quelles données peut-on définir la pauvreté ? Quelles politiques les autorités royales ont-elles mises en place pour répondre à ce défi ? Et quelles en ont été les limites ? 

Notre argumentation prendra pour point de départ l'année 1700, les premières sources documentaires relatives à ce phénomène datant de la fin du XVIIème siècle; elle s'arrêtera à la période pré-révolutionnaire. 

Pour mener leurs travaux, les historiens ont pris appui sur les archives de l'assistance (Assistance publique, Hôpitaux généraux, communautés ecclésiastiques…) ains que que sur les archives de la répression (arrêts, ordonnances royales…). 

Le sujet nous invite à nous questionner sur les menaces que constitue pour la société l'explosion de la pauvreté, les limites de la charité chrétienne et les risques d'une politique exclusivement répressive. 

Dans un premier temps, nous nous attacherons à définir la pauvreté et ses multiples facettes. Nous nous intéresserons ensuite aux moyens mis en oeuvre par l'Église et la Monarchie pour y faire face. 

 

 

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Étudier la pauvreté au XVIIIème siècle, c'est étudier une frange de la population qui est, de par sa condition sociale et économique, déjà considérée comme pauvre. Mais c'est aussi et surtout, étudier les "paupérisables".

 

 

On distingue plusieurs catégories de pauvres dans la France d'Ancien Régime. Une première distinction s'impose : les pauvres des campagnes et les pauvres des villes. En effet, la pauvreté revêt des aspects différents selon sa situation géographique. À la campagne, 10 à 20% de la population est pauvre, il s'agit des petits paysans dépendants, des migrants saisonniers ou encore des fileurs de la proto-industrie. Ils sont dans des conditions précaires mais ont l'avantage sur les pauvres urbains de posséder tout de même un petit bien. Parmi les pauvres dans les villes, on retrouve les ouvriers, les compagnons, les métiers ambulants et le salariat féminin. Ces urbains sont, pour une grande partie des hommes et des femmes venus des campagnes pour chercher dans la ville une condition meilleure. C'est ce phénomène de migration que décrit P. Legrand d’Aussy dans son livre Voyage fait en 1787-1788 dans la ci-devant Haute et Basse Auvergne (1982) : "Tous partent ; et ils se répandent, les uns dans la capitale, les autres dans nos différents départements ceux-ci en Suisse ou en Italie, ceux-là en Hollande, en Espagne, partout enfin où se trouve de l’argent à gagner." À cette misère urbaine enracinée, et comme produite par la ville, s'ajoute toute la "faune" des vagabonds, voleurs, délinquants, prostituées, etc. qui a rompu toute attache avec la société. Il convient alors de distinguer deux milieux au frontières sans doute mouvantes mais aux caractères différents : la mendicité et l'errance. 

Une deuxième distinction est envisageable, il s'agit de la différence entre pauvres "structurels" et pauvres "conjoncturels" si l'on reprend l'expression de l'historien J.-P. Gutton. Les pauvres structurels regroupent les hommes et les femmes dans l'incapacité de subvenir seul à leurs propres besoins, ce sont les vieillards, les infirmes, les veuves. De l'autre coté, les pauvres "conjoncturels" sont la partie de la population qu'une crise prive de leurs maigres ressources habituelles, ceux qu'on appelle les "paupérisables". 

L'opinion publique, elle aussi crée sa propre distinction de la pauvreté en émettant une distinction entre les "bons" et les "mauvais" pauvres. L'image du pauvre comme image terrestre du Christ souffrant persiste dans les esprits. Le pauvre est sacralisé et il remplit une fonction de sanctification pour le riche : on fait le choix de pauvres comme parrains et marraines pour ses enfants, on consent des distributions en leur faveur dans les testaments. Pascal, par exemple, demanda à pouvoir communier "dans les membres du Christ" en souhaitant qu'un pauvre malade soit logé chez lui et soigné comme lui. Magistrats et nobles font, au nom de ce principe, des dons et legs aux Hôpitaux Généraux, tandis que la bourgeoisie s'en détourne. En effet, l’ascension d’une classe bourgeoise qui cultive les valeurs du travail et de la richesse réfute les justifications du vol en cas de nécessité. La pauvreté est conçue comme dégradante et le pauvre regardé comme un être dangereux. Cette conception plus récente semble accompagner le développement urbain.

 

 

On note alors que la définition de l'Ancien Régime insiste tout autant sur ceux qui sont pauvres que sur ceux qui peuvent le devenir. Il s'agit dès lors d'expliciter les causes à l'origine de cet appauvrissement effectif ou probable. 

 

 

Les facteurs de la pauvreté sont multiples. Tout d'abord à l'échelle de l'individu cela peut être la maladie, l'infirmité, la vieillesse ou au contraire une trop grande jeunesse pour les enfants abandonnés. Pour ce qui est des femmes, la solitude féminine joue comme facteur de pauvreté. Souvent associée au travail de leur conjoint, elles se retrouvent, à la mort de ce dernier, sans ressources. 

Les crises de subsistances jouent un rôle non négligeable dans ce processus d'appauvrissement de la population. Durant ces périodes, les ressources alimentaires se font rares (orages calamiteux, épidémies frappants le bétail, sécheresse terrible, etc.) et donc, par conséquent, les prix des denrées augmentent. C'est le cas notamment dans les années 1723-1724. Les mauvaises récoltes provoquent une crise de subsistance, surtout dans la moitié sud du royaume. Selon A. Zysberg, le prix du pain est passé de 4 sous la livre à plus de 7 sous "alors qu'un manouvrier gagne 10 sous par jour." 

À l'échelle de la France, les causes sont avant tout économiques. Malgré une situation bien meilleure qu'au XVIIème siècle où se conjuguaient guerre, épidémie et crise de subsistance et une situation de la France globalement plus riche, les aléas conjoncturels créent de la pauvreté, voire de la misère. Si les problèmes sont moins perceptibles sur le long terme, la population doit néanmoins faire face à de brefs et violents épisodes de cherté comme ce fut le cas en 1775 à l'occasion de la "Guerre des Farines". Par l'arrêt du Conseil du 13 septembre 1774, le Contrôleur Général des Finances, Turgot (1774 - 1776), instaure la liberté complète du commerce des grains. Conjuguée à une mauvaise récolte en 1775 cette mesure a entrainé une hausse considérable des prix. La "guerre des Farines" est ainsi déclenchée : désordres sur les marchés, pillage des transports de grains (qui touche surtout les régions de grosse production céréalière) non tant par le prolétariat rural que par les couches médianes du peuple en voie d'asphyxie. 

À cela s'ajoute le coût des guerres de la Monarchie, assez fréquentes au XVIIIème siècle. Durant ce siècle, quatre grands conflits ont éclaté : la guerre de succession de Pologne (1733 - 1735), la guerre de succession d'Autriche (1741 - 1748), la guerre de Sept-ans (1756 - 1763) et la guerre d'indépendance américaine (1778 - 1783). Tout au long du siècle, ces guerres ont grêvé les finances de l'État et ont lourdement pesé sur la population (augmentation d'impôts, augmentation des taxes…). La guerre de Sept-ans qui fut la plus désastreuse pour le royaume entraina un triplement de l'impôt du vingtième décidé par l'édit de février 1760. 

 

 

Cette recrudescence de la pauvreté modifie les perceptions, le pauvre apparait de plus en plus comme un danger social vecteur de peste et d'hérésie. 

 

 

Au XVIIIème siècle, l'opinion s'inquiète des progrès numériques et des désordres de la classe des indigents. Ils sont assimilés à des criminels, aucune distinction n'est faite, dans l'esprit classique, entre pauvreté, folie et criminalité. Les vagabonds vont alors soutenir dans l'ensemble du monde éclairé toute une gamme de métaphores peu tendres. Le Trosne, par exemple, pense que le vagabond est par état "l'ennemi de la société". Il écrit dans son Mémoire sur les vagabonds et sur les mendiants (1763) : "Les vagabonds sont pour la campagne le fléau le plus terrible. Ce sont des insectes voraces qui l'infectent et qui la désolent, et qui dévore journellement la subsistance des cultivateurs". 

Les recherches sur la criminalité montrent que le délit urbain par excellence est le vol et c'est dans la sédition que le menu peuple libère son agressivité contre la disette ou l'impôt direct. La violence des errants, quant à elle, est plus fruste et plus criminelle. Elle peut être collective comme le montre l'exemple de la bande de Forez, bande de vagabonds brigands toujours renaissante entre 1750 et 1773, malgré les poursuites de la maréchaussée. 

L'étape de la prostitution succède fréquemment à celle de la mendicité pour les femmes. Le commerce de leur corps devient une alternative pour tenter de subvenir à leurs besoins. Parfois même, entre la pratique d'une profession et l'exercice de la prostitution, pour les femmes du peuple, la frontière est très poreuse. L'âge moyen des femmes qui se prostituent est de 26 ans. À Paris, "vaste théâtre de prostitution", moins d'un tiers des femmes arrêtées sont originaires de Paris et de sa proche banlieue. 

D'où l'assimilation de la misère à la vie libertine, la débauche, aux copulations illégitimes et aux abandons d'enfants. On s'inquiète d'un danger moral et on associe au mendiant l'origine de la rupture du traité social. 

L'errance des gens sans aveu et "demeurant partout" est éminemment suspecte et ne peut manquer d'être identifiée comme une menace pour l'ordre établi. En 1656, l’Edit du roi «portant établissement de l’Hôpital Général pour le Renfermement des pauvres mendiants de la Ville et Faux-bourgs de Paris «, note en effet que les mendiants risquent de constituer « comme un peuple indépendant « ne connaissant « ni loi, ni religion, ni supérieur, ni police «, telle « une nation libertine et fainéante qui n’avait jamais reçu de règles «. 

C'est l'un des nouveaux reprochex que l'on fait aux pauvres, celui de ne pas participer à l'économie du pays 

 

 

L'accroissement de cette pauvreté constitue une menace pour la société à plus d'un titre : elle porte en elle les germes d'une scission dans la société, elle génère un climat de violence et d'insécurité et participe d'une déchéance morale. Il semble alors nécessaire à la Monarchie et aux congrégations religieuses de mettre en place des solutions pour y remédier. 

 

 

Fidèles à sa tradition de charité chrétienne, l'Église se préoccupe des pauvres en les nourrissant, en les soignant, en les instruisant et en les formant en diverses institutions. Dieu est le créateur d'une société avec des riches et des pauvres, la pauvreté apparait alors moins comme un mal qu'une nécessité à accepter. Les secours paroissiaux aux pauvres honteux, aux malades, aux infirmes, aux chômeurs temporaires vivent portés par des institutions qui relèvent principalement de trois types : la compagnie ou la confrérie de charité, les bureaux paroissiaux impliquant l'action des curés et des fabriques, les confréries de corps et de métiers mobilisées par l'assistance à apporter dans un secteur, un milieu socio-professionnel. Le curé de Montoire, Antoine Moreau, le « père des pauvres «, fonde les Sœurs du très Saint-Sacrement et de la Charité en 1662. Aux trois vœux traditionnels il ajoute celui de « servir les pauvres « et recommande pour les Sœurs : « il faut qu’elles sachent qu’elles sont tenues de porter à manger aux pauvres malades, aller faire leurs lits, balayer leurs places, les nettoyer dans leurs ordures, remuer leur paille, panser leurs plaies et autres œuvres de charité «. Cette confrérie perdure et est très active au XVIIIème siècle 

Pendant tout le XVIIIème siècle, les initiatives privées cléricales ou laïques ont perduré, mais avec des formes nouvelles. Les fondations charitables se développent au détriment des legs proprement religieux. Le mouvement de création de petits hôpitaux et des hospices paroissiaux après 1770 va dans le même sens. 

L'Hôtel-Dieu quant à lui, prouve la permanence du vieux modèle médiéval d'établissement bon à tout faire, les pauvres sont remis en état par un meilleur régime alimentaire, les malades soignés autant que faire se peut. 

Le XVIIIème siècle voit aussi l'émergence de l'idée de philanthropie. Littéralement "amour de l'humanité", cela se traduit par la volonté d'améliorer la condition de ses semblables. Des sociétés philanthropiques se multiplient : interventions multiples en faveur de la création d'école et de fabriques dans les campagnes afin de freiner la migration. Dans les villes, l'action philanthropique se traduit par les souscriptions de secours, les dons, les ventes de charités, les représentation théâtrales dédiées aux bonnes causes. On peut alors donner l'exemple de la Maison philanthropique qui regroupe 600 membres de l'aristocratie. Ces associations philanthropiques paraissent plus laïcisées, porteuses d'une pratique éclairée de la bienfaisance. Cela compose un paysage complexe, à demi mondain, à demi charitable entrainant avec lui avec succès une part de l'opinion. Cependant, elle connait des effets pervers car l'idée de bienfaisance s'accompagne d'une volonté de reconnaissance. À Paris, le Journal de Paris assure après 1788 dans ses colonnes la publicité des dons qui ont été fait en mentionnant les noms. 

 

 

Au XVIIIème siècle la notion de charité subit de forts assauts, Montesquieu et Voltaire estime que l'aumône encourage l'oisiveté, Turgot attaque les fondations dans l'Encyclopédie et les physiocrates sont convaincus que rendre pauvres productifs est le seul moyen des les aider. Avec la laïcisation de la charité, le rôle de la Monarchie dans l'assistance s'accroit. Sous quelles formes s'exprime-t-il ? 

 

 

Dans la France d'Ancien Régime, le roi est un roi nourricier. Il se doit de pourvoir aux besoins de ses sujets. Par l'expression d'"économie morale", l'historien E. J. Thompson désigne un mode traditionnel d'organisation des subsistances qui impose aux autorités de contrôler les marchés et d'imposer un juste prix en évitant le monopôle et la spéculation. Ainsi la Monarchie entend permettre au plus grand nombre l'accès aux denrées rudimentaires. Cette politique est mise à rude épreuve au cours du siècle, sous l'influence des physiocrates, qui prônent une libéralisation du marché. Comme le décrit le curé de Chirat-l'Église en Bourbonnais, cette politique a eu des effets néfastes sur la société. Il rédige dans le registre paroissial une petite chronique, année par année, sur la libéralisation du commerce des grains instaurée par l'édit du 19 juillet 1764. À l'année 1770, il écrit : " La misère fut plus considérable que jamais. Les métayers se tirant bien d'affaire, mais tous les locataires, sabotiers, journaliers étoient réduits à la dernière misère, ce qui peuplait les chemins de pauvres". 

La politique sociale gouvernementale en matière de lutte contre la pauvreté connait deux grandes inflexions. La première s'étend de 1700 à 1764 et est caractérisée par une législation importante appuyée sur les Hôpitaux Généraux. La deuxième phase va naturellement de l'année 1764 à l'année 1789 et se définit par la transformation des Hôpitaux Généraux en Dépôts de mendicité et par une répression plus sévère. Les grands principes des politiques municipales sont de fait l’exclusion des étrangers, l’interdiction de la mendicité, le dénombrement et la classification des nécessiteux, le ciblage des secours en fonction des bénéficiaires. 

Depuis les années 1610, les autorités locales et le pouvoir royal pensent avoir trouver la solution au problème des pauvres dans "l'enfermement". La société se protège et se "sépare" de l'inutile, de celui qu'on soupçonne de colporter les "pestes". Selon l'expression de l'historien M. Foucault, le "Grand enfermement" désigne l'internement des mendiants et des vagabonds dans des établissements assez vastes, les hôpitaux généraux aux statuts divers mais dont le modèle commun était l'Hôpital général de Paris. Créé en 1656 par le pouvoir royal, il rassemble, à Paris, la Salpêtrière (pour les femmes et les jeunes filles), Bicêtre (pour les hommes) et la Pitié (pour les jeunes garçons). Le roi l'a doté de quantité de revenus et exempté de charges. Les pauvres convaincus de mendicité ou de vagabondage étaient arrêtés, en ville, par le Lieutenant de Police ou les archers de l'hôpital général, et à la campagne, par la maréchaussée. Ils étaient placés en détention à temps ou à perpétuité. Il s'agissait à la fois d'asiles et de prisons car ils subvenaient aux besoins des mendiants mais les aliénaient de leur liberté. 

De nombreuses lettres patentes ont assigné aux hôpitaux généraux le but de lutter contre "l'oisiveté et le libertinage" par le travail et l'éducation religieuse. 

La mise au travail des fainéants improductifs est à l'ordre du jour pour évite famine, misère et dépopulation. Par la déclaration du 18 juillet 1724, déclaration célèbre "qui semble réunir toutes les précédentes, et les remplacer toutes", l'administration centrale s'engage à fournir du travail aux chômeurs et aux indigents : "en proposant une subsistance et un travail assuré à ceux des mendiants valides qui n'en auront pu trouver, nous leur ôtons toute excuse de désobéir à la loi, et nous sommes par-là en état d'établir des peines plus sévères, puisqu'ils sont entièrement les maîtres de les éviter." 

Le Contrôleur Général Joseph Marie Terray , suivi par Turgot, envisage après 1770, l'utilisation plus systématique des ateliers de charité pour pauvres valides tel que les journaliers sans emploi. Il s'agit d'établissements d'assistance publique qui reposent sur des travaux d'intérêt général confiés aux plus défavorisés. Ils apparaissent déjà sous le règne de Louis XIV mais se multiplient dans seconde moitié du XVIIIème siècle. Ils répondent au souci d'assister par le travail et de fournir un salaire plus qu'une aumône. Par exemple, des établissements textiles sont organisés pour les femmes, les enfants et les vieillards tandis que des chantiers routiers sont destinés aux hommes. La Monarchie trouve au début du siècle, une solution dans la déportation pénale vers les colonies. C'est ainsi que l'ordonnance du 10 novembre 1718 recommande l'arrestation des délinquants au zèle pour ensuite "faire passer aux colonies ceux qui seront en estat d'y servir, et de pourvoir à la punition des autres." 

Mais l'augmentation du nombre d'indigents et de mendiants dans la seconde moitié du XVIIIème entraine une modification de la politique mise en place. On observe qu'à partir de 1764, la législation se fait de plus en plus rude à l'égard des pauvres et les Hôpitaux généraux voient leurs objectifs premiers dévoyés. Désormais, il ne s'agit plus d'aider les pauvres à trouver du travail et à les réintégrer mais plutôt de les confiner dans des dépôts de mendicité, de les isoler. Vers 1700, le lieutenant de Police évalue la population enfermée dans les divers établissements de l'Hôpital Général de Paris à moins de 9000 personnes; en 1786, ses évaluations atteignent un peu plus de 13000 internés. Les dépôts de mendicité sont des établissements de "réclusion des mendiants et gens sans aveu". Institués pour suppléer l'Hôpital Général par arrêt du roi en 1767, ils revêtent un aspect répressif plus marqué. 

 

 

La politique mise en place par la Monarchie ainsi que les actions charitables mettent en évidence des évolutions dans les attitudes face à la pauvreté, la prise de conscience d'un changement des attentes et des exigences. Cependant, quelles ont été les limites de cette volonté de lutte contre la pauvreté ? 

 

 

Partout, les ressources ont trois origines principales : les biens et rentes propres qui proviennent de l'accumulation des dons et de la gestion des établissement, les bienfaits des rois sous formes diverses (dons, exemptions…), et les charités publiques, quêtes dans les paroisses, aumônes diverges… Les statistiques générales enregistrent une situation qui se détériore au fils des ans. Les ressources puisées dans les Églises s'effondrent et passe de 11% à 2%. Les pratiques charitables sont directement interrogées par ce recul que peut expliquer un détachement généralisé de la religion comme un transfert partiel vers des gestes nouveaux. On le sent à Rouen quand les recteurs de l'hôpital général écrivent en 1768 : "Les aumônes et charités sont en diminution, ce qui provient de la grandes misère et langueur des manufactures et du commerce qui nécessitent les personnes aisées à une multitude de charités et assistance particulières." Quant aux bienfaits du roi, les exemptions tendent à se transformer en subventions, signe pour les administrateurs d'une volonté de contrôle des budgets de l'assistance. La politique de financement de l'assistance est un échec tout au long du siècle. 

L'assistance est elle-même attaquée dans ses fondements et doit faire face à des attaques médicales et financières contre les hôpitaux généraux et des voix s'élèvent également contre les dépôts de mendicité, considérés comme inhumains. Dans les deux cas, le principe rejeté est celui de l'existence d'institutions permanentes d'assistance. Cette vue nouvelle s'inscrit dans une géographie européenne de la réussite charitable avec en tête les Provinces-Unies : "Qu'on jette un coup d'oeil sur les Villes les plus florissantes de la Hollande, on n'y rencontre aucun mendiant, mais aussi n'y-a-t-il pas de maisons de Charité. Tout homme est obligé de travailler pour vivre, il est aidé s'il est dans le besoin, il est justement arrêté s'il n'est que vagabond et fainéant". 

 

 

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Le XVIIIème siècle témoigne d'une forte instabilité populaire. Les pauvres ne sont pas seulement les errants sans attaches, ce sont aussi des gens dont le salaire ne permet pas de subvenir à leur besoins premiers. La situation économique de la France aggrave leur situation lors de brefs et violents épisodes de crise. L'image du pauvre que l'on considère de plus en plus comme un danger social évolue en même temps que l'assistance. La charité tend à se laïciser et délègue une partie de ses responsabilités au pouvoir royal. Renfermement ou mise au travail, la question restera irrésolue au cours du siècle et les politiques mises en œuvre ne parviendront pas à éradiquer la pauvreté. La question du financement des institutions devient de plus en plus prégnante au XVIIIème siècle. Elle s’accompagne de la montée d'un mécontentement croissant au sein de la société.

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