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Machiavel, Le Prince, chap. XXV. Commentaire

Publié le 09/03/2014

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«  Je n'ignore pas cette croyance fort répandue : les affaires de ce monde sont gouvernées par la fortune et par Dieu ; les hommes ne peuvent rien y changer, si grande soit leur sagesse ; il n'existe même aucune sorte de remède ; par conséquent, il est tout à fait inutile de suer sang et eau à vouloir les corriger, et il vaut mieux s'abandonner au sort. Opinion qui a gagné du poids en notre temps, à cause des grands bouleversements auxquels on assiste chaque jour, et que nul n'aurait jamais pu prévoir. Si bien qu'en y réfléchissant moi-même, il m'arrive parfois de l'accepter. Cependant, comme notre libre arbitre ne peut disparaître, j'en viens à croire que la fortune est maîtresse de la moitié de nos actions, mais qu'elle nous abandonne à peu près l'autre moitié. Je la vois pareille à une rivière torrentueuse qui dans sa fureur inonde les plaines, emporte les arbres et les maisons, arrache la terre d'un côté, la dépose de l'autre ; chacun fuit devant elle, chacun cède à son assaut, sans pouvoir dresser aucun obstacle. Et bien que sa nature soit telle, il n'empêche que les hommes, le calme revenu, peuvent prendre quelques disposions ; construire des digues et des remparts en sorte que la nouvelle crue s'évacuera dans un canal ou causera des ravages moindres. Il en est de même de la fortune ; elle fait la démonstration de sa puissance là où aucune puissance ne s'est préparée à lui résister ; elle tourne ses assauts où elle sait que nul obstacle n'a été construit pour lui tenir tête. « 

 

Machiavel, Le Prince, chap. XXV.

 

Machiavel analyse cette croyance double communément admise au fatalisme : l’ordre du monde serait régi par la fortune, c’est-à-dire par les circonstances extérieures et par Dieu. Mais selon cette hypothèse il n’y a pas d’autre solution que de s’en remettre au destin. La résignation signerait la mort de toute action, elle paralyserait toute entreprise. Cette croyance naïve ne vient pas de rien, elle trouve sa raison d’être dans l’histoire et en particulier dans l’histoire de l’Italie. En effet, l’Italie du XVIe siècle est traversée par des changements brusques, par des alliances étranges, par des conflits permanents, en proie à des invasions étrangères. L’Italie est alors constamment ravagée, pillée par les armées françaises, espagnoles, allemandes et suisses. Or cette croyance au fatalisme est nocive puisqu’elle interdit d’agir politiquement pour une Italie unifiée et puissante. Machiavel dissocie le fatum, le destin de la fortuna, de la fortune. La différence s’opère au niveau de la liberté. Le destin s’oppose au libre arbitre alors que la fortune, c’est-à-dire la nécessité des faits, est la condition de la liberté. La réflexion de Machiavel sur la fortuna découle de sa méditation sur l’histoire.

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« des armes et la vaillance du prince de ceux qui s’acquirent par la violence et le hasard.

Le prince ne peut donc pas s’en remettre uniquement au hasard.

Il dispose d’une liberté d’action qu’il doit conduire selon sa virtù.

Dès lors s’installe une relation dialectique entre le déterminisme et le hasard.

Ce renvoi poétique au fleuve illustre parfaitement cette dialectique entre l’objectivité des faits historiques et la subjectivité du prince.

Par le recours à la métaphore du fleuve torrentiel et de la construction des digues , il montre comment l’homme est à même de prévenir et de prévoir les moyens d’agir sur ce qui est.

La fortune est la situation factuelle à partir de laquelle l’homme peut intervenir.

Elle est la matière avec laquelle le fondateur d’un État doit compter.

Pa r conséquent, la fortune est d’autant une nécessité que l’homme n’intervient pas.

Elle se transforme en destin tout aussitôt où l’on démissionne.

Cette croyance a des raisons d’être.

Machiavel rappelle implicitement les turpitudes de son époque : guerre incessante, bouleversement politique perpétuel, difficultés économiques.

Et ainsi face à ces faits imprévisibles, on est enclin à la résignation.

Mais relève le Florentin, il ne faut pas confondre la cause et l’effet.

Ce n’est pas parce que les faits sont là que nous ne sommes pas libres, c’est parce qu’on à renoncer à notre liberté que nous croyons que le destin règne.

La puissance de la liberté est sans contourner ce qui est peut maîtriser ce qui se donne comme nécessaire.

À quoi veut en venir l’auteur du Prince ? Le fatalisme n’est que l’abnégation de la volonté, ou plus exactement de la virtù , c’est-à -dire de cette capacité, de cette force d’âme dont doit faire prince le prince s’il ne veut pas se laisser emporter par le fleuve des choses.

La fortune sans la virtù devient pure nécessité, la virtù sans la fortune n’est que simple fantasmagorie.

Dès lors la fortune est l’occasion de qui sait prendre les choses en main, de l’homme habille qui cesse de s’illusionner.

Plus la virtù est puissante, plus la fortune est un point d’appui.

Comprise avec lucidité, la fortune est la voie de l’action.

Ce qui signifie qu’elle lève la possibilité d’agir et d’avoir une vue d’ensemble sur les rapports de force en présence.

La virtù est une juste appréciation de la situation dans le cours de l’histoire.

Machiavel distingue la nécessité de la fortune.

La nécessité désigne des situations insurmontables lorsque nous sommes frappés de cécité, la fortune est la possibilité de dompter cette nécessité pour incarner le virtù .

Le prince doit se montrer opportuniste au sens propre du terme en saisissant une circonstance pour prévenir les pièges de la nécessité.

L’opportunisme consiste à agir au bon moment et de la bonne manière.

Ce qui signifie un grand pouvoir d’adaptation et d’une cons tante vigilance quand au déroulement des faits.

Le faitalisme machiavélien n’est pas un fatalisme.

Ne retenir que les faits en présence ne veut pas dire à la manière des stoïciens qu’il faille s’y abandonner.

Le fatalisme s’explique par l’obstination des hommes qui refusent de changer lorsque la fortune varie.

Machiavel prend soin de détacher la fortuna du décret d’un Dieu.

En effet, elle n’est pas le désir ou la volonté de Dieu.

Elle n’est pas pour autant la laïcisation du Dieu des Chrétiens.

Elle n’est en aucun cas ce qui pourrait s’assimiler à la providence divine.

Elle est donc plus proche du kairos grec, le moment opportun.

Le prince doit agir au moment propice.

C’est dire que l’État doit être laïc.

Et les autorités religieuses ne s’y sont pas trompées en mettant le Prince à l’index.

C’est que l’ouvrage entre en conflit avec la pensée religieuse.

Les qualités du prince sont incompatibles avec la morale chrétienne, notamment lorsque Machiavel recommande d’avoir sans scrupule recours à la cruauté envers autrui.

De plus il conduit une critique sévère contre les principats ecclésiastiques (chap.

XI).

De f ait, il leur reproches trois choses : d’une part l’immoralité dont fait preuve le pape et la communauté religieuse, d’autre part, la religion favorise en affaiblissant l’État de constituer un frein à la puissance militaire.

Enfin et surtout, les valeurs re ligieuses neutralisent la virtù du prince.

L’homme est apte à maîtriser la fortuna sinon totalement du moins en grande partie.

Il faut asservir le fleuve des événements pour l’endiguer dans le sens qui doit nous servir.

La volonté et la raison à l’œuvre au sein de la virtù amènent le prince à adopter une vision globale de la situation.

Savoir et voir c’est pouvoir.

La fortuna qui est en apparence l’ennemi du pouvoir politique doit devenir un allié.

Pour reprendre l’image du fleuve, si le courant des événeme nts emporte tout sur son passage, il ne s’agit pas de fuir mais de lutter contre en ajustant notre comportement, en renonçant à la. »

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