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Suffit-il de bien parler pour bien penser ?

Publié le 12/04/2011

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Suffit-il de bien parler pour bien penser?

 

On peut interpréter de deux manières le type de rapport entre langage et pensée suggéré par le sujet :

  • soit un rapport de moyen à fin : pour penser, il faudrait parler

  • soit un rapport de dépendance : le langage serait la condition suffisante pour penser. Si le langage fonde la pensée, cela voudrait dire qu'il n'y aurait pas de pensée sans langage.

Mais le sujet précise « bien parler » et « bien penser » : l'un suggère un emploi correct de la langue (système particulier de signes sonores en usage dans une communauté et émis par la voix), un bon usage de la grammaire (ensemble de règles phonétiques, morphologiques et syntaxiques d'une langue) et un vocabulaire riche et approprié à la situation; l'autre évoque un enchainement rigoureux des idées, la présence d'idées pertinentes et appropriées à la situation, enfin le souci de développer une réflexion authentique.

On peut alors tout de suite constater un écart possible enttre bien parler et bien penser incarné par la figure du sophiste telle qu'elle est présentée dans les dialogues de Platon : on peut bien parler (se faire comprendre et même persuader) sans forcément bien penser. Les sophistes ne sont-ils pas justement ces orateurs hors pair qui se vantent de développer n'importe quel sujet, même ceux dont ils ne sont pas pleinement convaincus, et d'en persuader la foule? Y a-t-il donc forcément un lien entre le langage et la pensée? Ne pourrait-on pas, en s'appuyant sur le cas des sourds muets, considérer que la pensée peut fonctionner sans le langage, du moins en tant qu'il est compris ici comme le système de signes articulés susceptible de produire des discours.

On serait alors à distinguer une pensée intérieure et un discours verbal. Mais que vaut une pensée qui ne s'exprime pas, c'est-à-dire qui ne s'extériorise pas, se communiquant à l'autre? En ce sens, la pensée a besoin du langage pour s'extérioriser. Mais les mots expriment-ils bien la pensée? Faut-il considérer que les mots intérieurs, formés dans la pensée sont les mêmes que les mots extérieurs?

Le problème de ce sujet apparaît alors : le langage est-il la condition ou un obstacle de la pensée?

 

  1. Le langage exprime la pensée

A) Nécessité de considérer indépendance de la pensée

  • pour confondre le sophiste

  • pour expliquer l'impression que l'on a d'avoir déjà élaboré la pensée afin de l'exprimer. En ce sens, le langage a pour fonction de « transformer notre discours mental en dicours verbal, et l'enchaînement de nos pensées en enchaînement de mots » Hobbes, Léviathan, I, 4. Mots n'auraient d'existence et de pouvoir que celui de renvoyer à des entités mentales(les idées) dont ils sont les signes.

  • pour distinguer hommes des animaux: Descartes

Les animaux communiquent mais communiquer n'est pas parler. Descartes dissocie les deux fonctions que l'on attribue généralement au langage : exprimer et communiquer. Langage = signe d'une pensée. Communication animale réulte mécaniquement du jeu des passions // langage est souple et peut s'adapter = manifeste caractère non mécanique de la pensée.

B) Bien penser, c'est bien parler

  • « ce qui se conçoit bien s'énonce clairement »

  • texte de Locke

« Comme on ne saurait jouir des avantages et des commodités de la société sans une communication de pensées, il était nécessaire que l'homme inventât quelques signes extérieurs et sensibles par lesquels ces idées invisibles, dont ses pensées sont composées, puissent être manifestées aux autres. Rien n'était plus propre pour cet effet, soit à l'égard de la fécondité ou de la promptitude, que ces sons articulés qu'il se trouve capable de former avec tant de facilité et de variété. Nous voyons par là comment les mots, qui étaient si bien adaptés à cette fin par la nature, viennent à être employés par les hommes pour être signes de leurs idées et non par aucune liaison naturelle qu'il y ait entre certains sons articulés et certaines idées (car, en ce cas-là, il n'y aurait qu'une langue parmi les hommes), mais par une institution arbitraire en vertu de laquelle un tel mot a été fait volontairement le signe de telle idée. Ainsi, l'usage des mots consiste à être des marques sensibles des idées et les idées qu'on désigne par les mots sont ce qu'ils signifient proprement et immédiatement. Comme les hommes se servent de ces signes, ou pour enregistrer, si j'ose ainsi dire, leurs propres pensées afin de soulager leur mémoire, ou pour produire leurs idées et les exposer aux yeux des autres hommes, les mots ne signifient autre chose dans leur première partie et immédiate signification que les idées qui sont dans l'esprit de celui qui s'en sert, quelque imparfaitement ou négligemment que ces idées soient déduites des choses qu'on suppose qu'elles représentent. Lorsqu'un homme parle à un autre, c'est afin de pouvoir être entendu ; le but du langage est que ces sons ou marques puissent faire connaître les idées de celui qui parle à ceux qui l'écoutent. »

Locke, Essai philosophique concernant l'entendement humain, III, 2, § 1, 2, trad. Coste, Vrin, 1972.

Fonction principale du langage = communic ation des idées (+ codage mémoriel des idées), donc langage fonctionne comme un code, produire un message linguistique = associer des mots (sonores ou scripturaux) à des idées. Compréhension = traduction des mots en représentations mentales.

 

Transition : Mais il y a alors assimilation de la pensée et de la conscience conçue comme intériorité d'un être capable d'avoir un sentiment de soi et une représentation des choses. De fait, il faut compter sentir et ressentir dans les modalités de la conscience. La pensée n'est pas uniquement liée à la raison mais aussi au monde confus des affects, des désirs et des pulsions. Les mots, en tant qu'ils sont les mêmes pour tous (condition même de l'échange) ne sont-ils pas trop fixes et trop généraux pour désigner cette réalité toujours changeante et personnelle?

 

  1. Donc le langage pourrait mal exprimer la pensée

A) Le langage dissimule la pensée

- cas du mensonge

B) « ça » parle en moi sans que j'ai pu y penser

  • quel langage pour les affects?

  • Cas du lapsus

  1. Faut-il taire ce que l'on ne peut exprimer?

- problème posé par l'ineffable

 

Transition : jusqu'à présent, le modèle qui nous a permis de penser le rapport entre le langage est la pensée est celui de la traduction : les mots pourraient bien ou mal traduire la pensée. Ce qui évoque toujours une relative indépendance de la pensée par rapport au langage. Mais ce serait oublier un fait essentiel : dans quoi se forme la pensée si ce n'est dans les mots? Le présupposé du sujet nous a suggéré l'idée de deux réalités indépendantes, mais s'il n'y avait qu'un seul type de réalité : le langage?

 

  1. Le langage forme la pensée

A) C'est dans les mots que nous pensons

texte de Hegel

- Merleau-Ponty : « la pensée n'est rien d' »intérieur », elle n'existe pas en dehors du monde et hors des mots. » Phénoménologie de la perception. Merleau-Ponty s'oppose ici à la tradition issue de Platon selon laquelle la pensée serait un discours intérieur de l'âme avec elle-même. La pensée n'est pas une activité interne impliquant des représentations, c'est une ouverture au monde.

- Daudet, Numa Romestan : « nous sommes obligés de lancer les mots pour faire lever les idées »

- illustration : la novlangue de 1984

B) Le langage fait monde

- ce qui s'éonce bien ce conçoit clairement : la pensée se forme au coeur du langage qui lui permet de se clarifier.

- langue différente = manière différente de penser

les sourds muets vivent-ils exactement dans le même monde que les entendants?

  1. La pensée se réduit-elle pour autant au langage?

Quelle est la réalité du langage sans les hommes qui l'utilisent? Sartre : « pour moi, la pensée ne se confond pas avec le langage. Il fut un temps où l'on définissait la pensée, indépendamment du langage, comme quelque chose d'insaississable, d'ineffable qui préexisterait à l'expression. Aujourd'hui, on tombe dans l'erreur inverse. On voudrait nous faire croire que la pensée, c'est seulement du langage, comme si le langage lui-même n'était pas parlé. » Revue de l'Arc, « Jean-Paul Sartre répond », 1966, n° 301.

 

Conclusion : le sujet nous a permis de mettre en évidence un rapport asymétrique entre le langage et la pensée :

  • parole peut exister sans la pensée : on peut parler pour ne rien dire, on peut parler sans savoir ce que l'on dit. Mais alors les mots sont juste des sons creux. Ce qui leur donne leur consistance sont bien les idées dont ils sont les signes. Signes sans signifié.

  • La pensée n'est rien sans le langage.

L'écart entre les deux est-il une richesse ou pose-t-il problème?  

 

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