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LA CONSCIENCE PROFESSIONNELLE

Publié le 17/01/2022

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conscience

1. Lecture - La résistance du mécanicien.

(Un matin, le mécanicien Rogeau perçoit un bruit anormal dans la machine à vapeur. Pour éviter l'accident, il va roder à l'émeri et à l'huile la glissière de la bielle.)

A l'arrêt du repas, de midi à treize heures, Rogeau réduisit la vitesse à 30 tours pour maintenir un limage doux, puis repartit à 50. A dix-huit heures, assis devant la bielle, il continuait d'y doser attentivement l'huile et l'émeri, et jugeait qu'il fallait y passer la nuit...

Rogeau cherchait le silence de la bielle et n'aurait de repos qu'à son glissement huilé. Son coup régulier le berçait. A minuit, il en comprit le danger et que le sommeil approchait de lui. Il avait déjà, dans sa vie de mécanicien, beaucoup passé de nuits, mais c'était la première qu'il veillait presque immobile, dans l'attention pure...

A deux heures, Rogeau sentit le souffle du sommeil lui piquer les yeux. Il posa une main sur le cylindre chaud, et, du manche de sa louche à mélanger l'huile et l'émeri, se tapa sec sur les doigts. Il comprit, à voir soudain la clarté plus grande, combien il avait été près de dormir.

A travers les vitrages de la salle, il voyait les étoiles assister à son travail. Indifférent à elles et à toute la douceur du monde, il n'était qu'un ouvrier qui veut bien faire son métier. Le démon du sommeil avait quitté son corps...

Rogeau écouta le sifflet de sortie de l'équipe de nuit... Fier de sa résistance et de venir seul à bout de sa grande tâche, sans un battement de ses paupières ouvertes depuis vingt-cinq heures, il continuait sa besogne qui savait l'usine.

« J'ai commencé, dit-il, je finirai «

Il dura tout le jour, ferme à son poste. La bielle ne donnait plus qu'un tapement très sourd, mais qui augmentait s'il dépassait les 70 tours. Il n'avait pas encore gagné la bataille contre la 600 chevaux.

A sa trente-sixième heure, le chef d'entretien Andrieu vint pour le remplacer... Rogeau refusa de quitter :

« Il n'y en a plus, dit-il, que pour une heure ou deux. Ça ne vaudrait rien de changer de main. Avant minuit, je serai couché et le volant fera ses 90 tours. «

De nouveau, parurent les étoiles. Entre ses paupières rapprochées où il sentait des piqûres, on ne voyait plus de ses yeux qu'une clarté mince mais

Il savait maintenant que le bercement de la machine ne l'endormirait pas. Il vit au fond de l'ombre commencer la lumière d'un jour nouveau. Le sifflet de six heures domina les bruits de l'usine, puis le piétinement des six cents ouvriers de l'équipe de nuit. Celui qui ne dormait pas regarda passer ceux qui allaient dormir, et, derrière le vitrage blême, sa pâle figure aux sourcils froncés avait les traits de la mort et la lumière de l'orgueil. Il finit à midi trente, dans sa cinquante-cinquième heure de travail...

La machine, sauvée, tournait sans bruit à 90 tours.

D'après Pierre HAMP - Le travail invincible. Nouvelle Revue Française

 

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