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A QUOI RECONNAIT-ON LE STRUCTURALISME ?

Publié le 10/02/2015

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II apparaît que la structure enveloppe un objet ou élé­ment tout à fait paradoxal. Considérons le cas de la lettre, dans l'histoire d'Edgar Poe telle que Lacan la commente; ou le cas de la dette, chez L'Homme aux rats. Il est évident

1. C. LÉvt-StnAuss, Le Totémisme aujourd'hui, p. 115.

que cet objet est éminemment symbolique. Mais nous disons s éminemment s, parce qu'il n'appartient à aucune série en particulier : la lettre est pourtant présente dans les deux séries d'Edgar Poe; la dette est présence dans les deux séries de L'Homme aux rats. Un tel objet est toujours présent dans les séries correspondantes, il les parcourt et se meut en elles, il ne cesse de circuler en elles, et de l'une à l'autre, avec une agilité extraordinaire. On dirait qu'il est sa propre métaphore, et sa propre métonymie. Les séries dans chaque cas sont constituées de termes symboliques et de rapports différentiels ; mais lui, semble d'une autre nature. En effet, c'est par rapport à lui que la variété des termes et la varia­tion des rapports différentiels sont chaque fois déterminées. Les deux séries d'une structure sont toujours divergentes (en vertu des lois de la différenciation). Mais cet objet singulier est le point de convergence des séries divergentes en tant que telles. Il est « éminemment « symbolique, mais précisément parce qu'il est immanent aux deux séries à la fois. Comment l'appeler, sinon Objet = x, Objet de devinette ou grand Mobile? Nous pouvons toutefois avoir des doutes : ce que J. Lacan nous invite à découvrir dans deux cas, le rôle particulier d'une lettre ou d'une dette — est-ce un artifice, à la rigueur applicable à ces cas, ou bien est-ce une méthode vraiment générale, valable pour tous les domaines structurables, critère pour toute structure, comme si une structure ne se définissait pas sans l'assignation d'un objet

x qui ne cesse d'en parcourir les séries? Comme si l'oeuvre littéraire par exemple, ou l'oeuvre d'art, mais d'autres oeuvres aussi, les oeuvres de la société, celles de la maladie, celles de la vie en général, enveloppaient cet objet très particulier qui commande à leur structure. Et comme s'il s'agissait toujours de trouver qui est H, ou de découvrir un x enveloppé dans l'oeuvre. Il en est ainsi pour les chansons : le refrain concerne un objet = x, tandis que les couplets forment les séries divergentes où celui-ci circule. Ce pour quoi les chansons présentent vraiment une structure élémentaire.

Un disciple de Lacan, André Green, signale l'existence du mouchoir qui circule dans Othello, parcourant toutes les

séries de la pièce 1. Nous parlions aussi des deux séries du prince de Galles, Falstaff ou le père-bouffon, Henri IV ou le père royal, les deux images de père. La couronne est l'objet = x qui parcourt les deux séries, avec des termes et sous des rapports différents ; le moment où le prince essaie la couronne, son père n'étant pas encore mort, marque le passage d'une série à l'autre, le changement des termes symboliques et la variation des rapports différentiels. Le vieux roi mourant se fâche, et croit que son fils veut prématurément s'identifier à lui; pourtant le prince sait répondre, et montrer dans un discours splendide que la couronne n'est pas l'objet d'une identification imaginaire, mais au contraire le terme émi­nemment symbolique qui parcourt toutes les séries, la série infâme de Falstaff et la grande série royale, et qui permet le passage de l'une à l'autre au sein de la même structure. Il y avait, nous l'avons vu, une première différence entre l'imaginaire et le symbolique : le rôle différenciateur du symbolique, par opposition au rôle assimilateur réfléchissant, dédoublant et redoublant de l'imaginaire. Mais la seconde frontière apparaît mieux ici : contre le caractère duel de l'imagination, le Tiers qui intervient essentiellement dans le système symbolique, qui distribue les séries, les déplace relativement, les fait communiquer, tout en empêchant l'une de se rabattre imaginairement sur l'autre.

Il va de soi que l'organisation des séries constitutives d'une structure suppose une véritable mise en scène, et exige dans chaque cas des évaluations et interprétations précises. Il n'y a pas du tout de règle générale; nous touchons ici au point où le structuralisme implique tantôt une véritable création, tantôt une initiative et une découverte qui ne vont pas sans risques. La détermination d'une structure ne se fait pas seulement par un choix des éléments symboli­ques de base et des rapports différentiels où ils entrent; pas seulement non plus par une répartition des points singuliers qui leur correspondent; mais encore par la constitution d'une seconde série, au moins, qui entretient des relations complexes avec la première. Et si la structure définit un champ problématique, un champ de problèmes, c'est au sens où la nature du problème révèle son objectivité propre dans cette constitution sérielle, qui fait que le structura­lisme se sent parfois proche d'une musique. Philippe Sollers écrit un roman, Drame, rythmé par les expressions «Pro­blème « et « Manqué «, au cours duquel des séries tâton­nantes s'élaborent (« une chaîne de souvenirs maritimes passe dans son bras droit... la jambe gauche au contraire semble travaillée par des groupements minéraux n). Ou bien la tentative de Jean-Pierre Faye dans Analogues, concer­nant une coexistence sérielle des modes de récits.

 

Or qu'est-ce qui empêche les deux séries de se réfléchir simplement l'une l'autre, et dès lors d'identifier leurs termes un à un? L'ensemble de la structure retomberait dans l'état d'une figure de l'imagination. La raison qui conjure un tel risque est étrange en apparence. En effet, les termes de chaque série sont inséparables en eux-mêmes des décalages ou déplacements qu'ils subissent par rapport aux termes de l'autre; ils sont donc inséparables de la variation

« 294 LA PHILOSOPHIE IV d'un esprit du temps, mais qui se mesure aux découvertes et créations singulières dans chacun de ces domaines.

Les mots en -isme, en ce sens, sont parfaitement fondés.

On a raison d'assigner la linguistique comme origine du structuralisme : non seulement Saussure, mais l'école de Moscou, l'école de Prague.

Et si le structuralisme s'étend ensuite à d'autres domaines, il ne s'agit plus cette fois d'analogie : ce n'est pas simplement pour instaurer des méthodes « équivalentes >> à celles qui ont d'abord réussi dans l'analyse du langage.

En vérité il n'y a de structure que de ce qui est langage, fût-ce un langage ésotérique ou même non verbal.

Il n'y a de structure de l'inconscient que dans la mesure où l'inconscient parle et est langage.

Il n'y a de structure des corps que dans la mesure où les corps sont censés parler avec un langage qui est celui des symp­ tômes.

Les choses mêmes n'ont de structure que pour autant qu'elles tiennent un discours silencieux, qui est le langage des signes.

Alors la question « Qu'est-ce que le structura­ lisme? J> se transforme encore - Il vaut mieux demander : à quoi reconnaît-on ceux qu'on appelle structuralistes? Et qu'est-ce qu'ils reconnaissent eux-mêmes? Tant il est vrai qu'on ne reconnaît les gens, d'une manière visible, qu'aux choses invisibles et insensibles qu'ils reconnaissent à leur manière.

Comment font-ils, les structuralistes, pour reconnaître un langage en quelque chose, le langage propre à un domaine? Qu'est-ce qu'ils retrouvent dans ce domaine? Nous nous proposons donc seulement de dégager certains critères formels de reconnaissance, les plus simples, en invo­ quant chaque fois l'exemple des auteurs cités, quelle que soit la diversité de leurs travaux et projets.

I.

PREMIER CRITÈRE LE SYMBOLIQUE Nous sommes habitués, presque conditionnés à une cer· taine distinction ou corrélation entre le réel et l 'im.aginaire.

Toute notre pensée entretient un jeu dialectique entre ces. »

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