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Bergson: Le poète est ce révélateur

Publié le 20/04/2004

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bergson
A quoi vise l'art, sinon à nous montrer, dans la nature et dans l'esprit, hors de nous et en nous, des choses qui ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience ? Le poète et le romancier qui expriment un état d'âme ne le créent certes pas de toutes pièces ; ils ne seraient pas compris de nous si nous n'observions pas en nous, jusqu'à un certain point, ce qu'ils nous disent d'autrui. Au fur et à mesure qu'ils nous parlent, des nuances d'émotion et de pensée nous apparaissent qui pouvaient être représentées en nous depuis longtemps, mais qui demeuraient invisibles : telle, l'image photographique qui n'a pas encore été plongée dans le bain où elle se révélera. Le poète est ce révélateur. Mais e part la fonction de l'artiste ne se montre aussi clairement que dans celui des arts qui fait la plus large place à l'imitation, je veux dire la peinture. Les grands peintres sont des hommes auxquels remonte une certaine vision des choses qui est devenue ou qui deviendra la vision de tous les hommes. Un Corot, un Turner, pour ne citer que ceux-là, ont aperçu dans la nature bien des aspects que nous ne remarquions pas. Dira-t-on qu'ils n'ont pas vu, mais crée, qu'ils nous ont livré les produits de leur imagination, que nous adoptons leurs inventions parce qu'elles nous plaisent, et que nous nous amusons simplement à regarder la nature à travers l'image que les grands peintres nous en ont tracée ? C'est vrai dans une certaine mesure mais s'il en était uniquement ainsi, pourquoi dirions-nous de certaines oeuvres - celles des maîtres - qu'elles sont vraies ? Bergson

La thèse énoncée par Bergson prend à contre-pied un certain nombre d'idées reçues dans la tradition philosophique. En effet, elle définit l'artiste comme un observateur et non comme un créateur, elle tourne le dos à l'explication de la beauté en termes d'utilité, elle ne définit pas l'activité artistique comme résultat d'un apport technique, mais comme dépouillement. On peut examiner les conséquences d'une telle définition, l'accès à l'art est-il en fin de compte interdit à l'homme du commun, engagé dans la réalité sociale ?

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« et les poètes « ne seraient pas compris » et leur langage paraîtrait au public aussi hermétique que n'importequel dialecte qu'il n'a jamais entendu auparavant.

C'est pourquoi le talent de l'artiste-écrivain demeure un etunique, car il lui permet de faire apparaître en nous des sentiments qui « demeuraient invisibles » et lacomparaison 4e Bergson est pleinement justifiée.

Le poète est « en effet » un révélateur! Révéler, c'est fairenaître, mettre à jour ce qui jusqu'alors sommeillait; la fonction de l'art n'est donc pas entièrement créatrice,comme beaucoup le croient, mais elle est aussi et surtout une fonction révélatrice, et c'est là toutel'originalité de la pensée de Bergson.

L'art ne crée pas en nous des sentiments nouveaux, mais – et ceci estdifférent – il révèle des sentiments virtuels, il est donc moyen de connaître autrui et le monde, parce quemoyen de connaître aussi l'inconscient de chacun et les sentiments qui y dorment! « Mais nulle part la fonction de l'artiste ne se montre aussi clairement que dans celui des arts qui fait la pluslarge place à l'imitation, je veux dire la peinture ».

Nous abordons ici le deuxième élément dont Bergson sesert pour nous démontrer la fonction de l'art, à savoir : la peinture.

Après nous avoir parlé de ce que l'artrévélait en nous par l'intermédiaire de la littérature, Bergson nous montre ce que l'art révèle en dehors denous par la peinture, parce que la peinture est l'art de l'imitation.

Mais est-elle simplement art de l'imitation?Il serait faux de ne croire que cela, car enfin il est facile d'imiter uniquement et simplement ce qui nousentoure.

L'artiste peintre voit, tout comme nous, le monde qui l'entoure, mais la transposition par des imagesesthétiques de sa propre vision du monde est parfois très particulière.

C'est la raison pour laquelle il n'estpas toujours compris par tous.

C'est parce que « les grands peintres sont des hommes auxquels remonte unecertaine vision des choses » que leurs tableaux ne se contentent pas d'être seulement une imitation de ceque voient leurs yeux.

A titre de justification nous pourrions citer les peintres impressionnistes tels Renoir ouencore ce précurseur de l'impressionnisme qu'est Manet, dont la vision de la nature, constituée de taches decouleur, était une vision particulière.

La Promenade en barque de Manet restera pour beaucoup associée à lacampagne et à la douceur et à la paix que l'on y trouve.

La vision de la nature des peintres cubistes etfauvistes est, elle aussi, assez particulière : pour les cubistes, la nature est réduite à des formesgéométriques, alors que pour les fauvistes elle est au contraire le domaine des couleurs « fauves » (orange,etc...) et qui choquent.

« Un Corot, un Turner, pour ne citer que ceux-là, ont aperçu dans la nature biendes aspects que nous ne remarquions pas.

» Avant Picasso, avions-nous remarqué que le monde était aussiun ensemble de formes géométriques? Avant les impressionnistes, avions-nous remarqué que la lumièretenait une place importante dans la nature et que cette même nature pouvait aussi se représenter par destaches? L'artiste peintre transpose ce qu'il voit et ressent, mais il transpose aussi les plus profondssentiments cachés qui l'occupent.

Par exemple dans son tableau Margot l'enragée, Jérôme Bosch (peintre duXVe siècle) nous présente des hommes-bulles, des maisons à figures de monstres...

Véritables visionspsychanalytiques, ses tableaux auraient beaucoup intéressé Freud, parce que révélant une partie d'uninconscient troublé.

De même, Van Gogh transposait dans ses tableaux la vision d'un monde basculé que seulun schizophrène tel que lui pouvait avoir.

Comme on le voit, la peinture ne révèle pas seulement ce qui esthors de nous mais peut aussi révéler ce qui est en nous, les deux fonctions se complétant.

« La vision deschoses » des peintres est devenue ou deviendra la vision de tous les hommes » : le monde synonyme dechaos nous fera irrémédiablement penser à Van Gogh, la nature déformée par notre inconscient nousramènera toujours à Bosch.Tous ces peintres dont les visions, parfois, nous étonnent et nous déroutent, nous qui sommes trop logiqueset cartésiens, tous ces peintres sont-ils des créateurs? « Dira-t-on qu'ils n'ont pas vu, mais créé, parcequ'ils nous ont livré les produits de leur imagination »? Dira-t-on de tous ces peintres « que nous adoptonsleurs inventions parce qu'elles nous plaisent, et que nous nous amusons simplement à regarder la nature àtravers l'image que les grands peintres nous en ont tracée »? Question difficile à élucider et à laquelle nousserions tentés de répondre par la négative.

En effet a-t-on jamais vu un être humain entière-ment composéde formes géométriques, un paysage fait de taches, et plus encore a-t-on jamais vu des sommets enneigésen Flandre, comme dans ce tableau de Brueghel (peintre du XVIe siècle) : Paysage de Flandre? Il est certainque non.Alors...

l'artiste reproduit-il ou crée-t-il? Nous pensons que la part de création de l'artiste est grande, maisque plus grande encore est la part de vérité dans ce qu'il reproduit.

Reprenons l'exemple de Brueghel ettentons de l'expliquer.

Il est clair que Brueghel n'a jamais vu de sommets enneigés en Flandre, alors pourquoiles avoir placés sur son tableau? peut-être par le souci de vérité, peut-être pour faire penser au spectateurque des hommes partout existent, des hommes du froid.

Cela est si vrai que nous sentons et devinonsl'intention de l'auteur par ce détail de la neige qui « fait vrai ».

Si nous nous amusions uniquement à la vuede certains tableaux, « pourquoi dirions-nous de certaines oeuvres qu'elles sont vraies? » Une oeuvre estvraie quand elle a su faire naître en nous des sentiments que nous n'aurions pu exprimer auparavant, quandelle a su montrer le monde qui l'entourait sous son véritable jour.

Les oeuvres de Picasso se séparent endeux groupes distincts : les oeuvres de l'époque bleue et les oeuvres de l'époque rose.

Les oeuvres del'époque bleue représentent toute la détresse de l'homme à une certaine période, et celle de l'époque rosereprésentent la joie de vivre et le bonheur.

Ces oeuvres sont vraies parce qu'elles montrent un état d'âme etle font partager, parce qu'elles « révèlent ».

Guernica, le célèbre tableau de Picasso, est vrai parce qu'ilexprime mieux que n'importe quel autre la vision d'horreur de la guerre que les hommes ont.

Aussi nouspouvons dire que l'artiste ne se contente pas de créer sans aucune base à sa création, mais qu'il voit et queseul son talent lui permet de rendre ce qui lui paraît vrai.

Il nous mystifie peut-être parce qu'il nous laissecroire à la création de sentiments nouveaux en nous, en fait nous ne faisons que suivre la voie qu'il nousindique.

Bergson a très bien senti cela et tout son texte vise en fait à nous faire nous interroger sur cettevérité dans la fonction de l'art.. »

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