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CLAUDE BERNARD: Le théoricien de la méthode expérimentale.

Publié le 12/07/2011

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claude bernard

Ce n'est pas du premier coup que Claude Bernard prit conscience du processus rationnel de la recherche scientifique. Ayant fait ses études dans un milieu imbu des préjugés empiristes, il s'en imprégna et d'ailleurs ne s'en dégagea jamais totalement. Mais ils sont plus sensibles dans ses premières œuvres. Pour les empiristes, on le sait, la recherche scientifique consiste à accumuler le plus grand nombre possible de faits. Leur nombre même, estiment-ils, fera apparaître la loi. Telle était par exemple l'idée de Magendie. « M. Magendie (...) voulait toujours les faits seuls. « Magendie étant mort le 5 octobre 1856, dans sa première de ses Leçons sur les substances toxiques et médicamenteuses (Baillière, 1857), Claude Bernard parla longuement des idées scientifiques de son prédécesseur dans la chaire de physiologie expérimentale du Collège de France. Il fit son éloge comme il convenait, mais surtout il campa loyalement le personnage dans son attitude d'empiriste intransigeant. L'intérêt de ces pages résulte surtout du sympathique humour avec lequel le disciple, sans se départir de la reconnaissance due à celui qui l'orienta dans la recherche scientifique, sourit des innocentes manies et de ses idées devenues quelque peu vieillottes.

claude bernard

« ne voyons pas; ils nous enveloppent et nous ne les apercevons point parce que notre attention n'est pas dirigée vers eux.

L'hypothèse nous rend ce service de préparer l'attention.

(Leçons sur la chaleur animale, p.

209.)Car il s'agit de soumettre l'hypothèse à une épreuve réelle et même de chercher à la prendre en faute : « II faut chercher à se démolir soi-même.

» (Principes, 253.) Aussi, bien qu'il emploie également le mot vérifier,Claude Bernard lui préfère contrôler.

Il s'insurge surtout contre ceux qui expérimentent pour confirmer leur hypothèse ou leur théorie.Ces expérimentateurs, qui tiennent compte de l'expérience à la condition qu'elle obéisse à leur théorie sont très communs en biologie et en médecine.

J'en ai parlé ailleurs en les appelant des expérimentateurs à idées fixeset j'ai cherché à les caractériser en disant qu'ils cherchaient dans l'expérience la confirmation de leur hypothèse, au lieu d'y chercher simplement la vérification.

(Principes, p.

220.)L'expérience infirme-t-elle l'hypothèse au lieu de la confirmer ? Rien n'est perdu.

Au contraire, des déceptions de ce genre sont le prélude ordinaire des découvertes.La vérification seule d'une idée préconçue ne conduit en général qu'à la confirmation ou à l'extension d'une théorie connue, tandis que l'apparition d'un fait imprévu constitue la découverte par excellence, parce qu'il enrésulte toujours une notion nouvelle, qui, à son tour, engendrera de nouvelles expériences.

Il est impossible, en effet, de former une hypothèse quelconque qui appelle la vérification expérimentale, si préalablement on n'apas un fait qui serve de base à cette hypothèse.

(Liquides de l'organisme, I, 4-5.)C'est ainsi qu'il fut conduit à préciser le système régulateur de la circulation sanguine par une expérience qui contredisait la conclusion d'un raisonnement fondé sur l'hypothèse couramment admise d'après laquelle lachaleur animale résultait des phénomènes chimiques qui se passaient dans les organes vivants.Les trois moments de la méthode expérimentale.Le schéma classique du processus expérimental inspiré de Claude Bernard distingue quatre moments ou quatre opérations : 1° l'observation des faits; 2° l'invention de l'hypothèse; 3° l'expérimentation instituée pour lecontrôle de cette hypothèse; 4° l'induction ou formulation de la loi.En fait, Claude Bernard réduit ordinairement ce processus à trois démarches articulées ensemble : 1° le fait suggère l'idée; 2° l'idée dirige l'expérience; 3° l'expérience juge l'idée.

Réfléchissons à l'originalité de ce schémaet voyons comment il se justifie ou plutôt s'impose.D'abord, étant donné qu'on n'observe pas utilement sans idée préconçue, notre auteur ne sépare pas l'observation des faits de la formation de l'hypothèse : les faits suggèrent l'idée.Ensuite, entre l'invention de l'idée et l'expérience qui la contrôle, il introduit un intermédiaire — raisonnement ou déduction — dans lequel « l'idée dirige l'expérience ».

Cette direction s'effectue inconsciemment.

Mais il estbon d'en prendre conscience et d'expliciter les processus mentaux implicites : d'abord, pour mieux comprendre l'ensemble du processus expérimental; ensuite pour assurer un contrôle plus rigoureux de l'hypothèse.Enfin, une fois que l'expérience a jugé l'hypothèse, nous sommes au terme du processus, et Claude Bernard omet le quatrième temps du schéma classique : l'induction.

Pourquoi ? Pour des raisons qu'il n'est pas parvenu àexpliciter, à cause, semble-t-il, de son ignorance de la logique élémentaire.

Du moins a-t-i! eu des pressentiments qui lui auraient permis, s'il les avait bien explicités, de fournir une réponse beaucoup plus satisfaisante : ila d'abord vu que l'invention de l'hypothèse se fait, non par induction, mais par intuition, l'esprit percevant la loi générale dans le fait particulier; de cette constatation il a implicitement conclu qu'il n'y avait pas lieud'imaginer, à la fin du processus expérimental, une induction effectuant le passage du particulier au général, ce passage s'étant effectué dès l'invention de l'hypothèse qu'il suffisait de soumettre à un contrôleexpérimental; enfin il a bien vu, sans pouvoir en discerner les raisons logiques, que ce contrôle restait incertain et que, sous son apparence déductive, le raisonnement institué pour juger l'hypothèse recélait une induction.Schématiquement, ce raisonnement expérimental procède de la manière suivante : si l'hypothèse est vraie, il s'ensuit logiquement et nous devons observer que...; or nous observons (ou nous n'observons pas) que...;donc l'hypothèse est vraie (ou fausse).

La troisième partie de l'Introduction développe de nombreux exemples de cette façon de procéder.

En voici un autre qui présente l'avantage d'être bref :La combustion respiratoire a été regardée chez les animaux comme la source principale de la chaleur que le sang est chargé de répandre et de distribuer dans les diverses parties du corps.

Si cette idée est juste, il doit enrésulter que c'est le sang brûlé, c'est-à-dire le sang véneux, qui sera le plus chaud.

C'est ce que l'expérience vient démontrer quand elle est instituée de manière à rendre les conditions exactement comparables pour lesang artériel et pour le sang veineux.

(Rapport, p.

59.)L'expérience n'est qu'une observation invoquée dans un but de contrôle.Ainsi, d'après le schéma que nous venons de développer, l'observation des faits intervient à deux moments : c'est elle qui suggère l'hypothèse; c'est elle, au terme du processus, qui la contrôle.

« L'esprit du savant setrouve en quelque sorte toujours placé entre deux observations : l'une qui sert de point de départ au raisonnement et l'autre qui lui sert de conclusion.

» (Introd., I, I, § 6, p.

41.) Du point de vue méthodologique, il y adonc deux sortes d'observation bien différentes.

Pour les distinguer, Claude Bernard proposa une acception nouvelle du mot « expérience ».Dans l'usage ordinaire, remarque-t-il au premier chapitre de l'Introduction, l'expérience suppose l'intervention de l'expérimentateur dans la production du phénomène, tandis que l'observateur se contente d'enregistrer unphénomène tel que la nature le produit.

Mais la nature, par exemple dans les blessures accidentelles ou dans les maladies, nous présente des faits qui constituent pour le chercheur des expériences toutes faites.

D'ailleursl'expérimentateur ne provoque artificiellement un fait que pour l'observer ou pour l'observer dans de meilleures conditions; par suite, l'observation constitue le moment essentiel de l'expérience.On peut donc dire que les faits, qu'ils soient suscités par l'expérimentateur ou qu'ils se produisent d'eux-mêmes, ne sont connus que par observation.

Ainsi toute connaissance expérimentale se fonde sur l'observation;c'est seulement d'après l'origine des faits observés qu'on peut distinguer de l'observation ordinaire l'observation provoquée qui constitue ce qu'on appelle communément expérience.Mais il serait préférable d'adopter la distinction suivante : avant l'hypothèse, on ne fait que des observations, dont le but est précisément de faire naître une idée ou une hypothèse; une fois cette idée conçue, lesobservations, instituées en vue de son contrôle quels que soient les faits sur lesquels elle portent, constituent des expériences.

Sans doute, on peut distinguer une « observation invoquée » et une « observation provoquée», termes qui correspondent à la distinction observation-expérience au sens ordinaire de ces mots.

Mais, pour le savant, peu importe que le fait qu'il observe soit « provoqué » ou se produise de lui-même : le tout est qu'ilsoit effectivement observé.

C'est pourquoi Claude Bernard aboutit à cette définition : « L'expérience n'est qu'une observation invoquée dans un but de contrôle.

» (Introd., I, I, § 5, p.

34.)Malheureusement, dans ses exposés, Claude Bernard passe constamment de l'acception vulgaire à l'acception méthodologique du mot « expérience », et c'est l'acception vulgaire qui prédomine. « Les trois branches de ce trépied immuable : le sentiment, la raison et l'expérience.

» Aux trois moments du processus expérimental correspondent trois facultés ou trois fonctions ayant chacune leur opération propre.

Après avoir, en s'inspirant de la « loi des trois états » d'Auguste Comte, schématisél'évolution de l'esprit humain en trois étapes : le sentiment qui aboutit aux croyances religieuses, la raison qui élabore les systèmes philosophiques et l'expérience qui se contente de l'étude du donné phénoménal, ClaudeBernard continue (6) :C'est ainsi qu'apparaît par le progrès naturel des choses la méthode expérimentale, qui résume tout en s'appuyant successivement sur les trois branches de ce trépied immuable : le sentiment, la raison et l'expérience.Dans la recherche de la vérité au moyen de cette méthode, le sentiment a toujours l'initiative, il engendre l'idée a priori : c'est l'intuition.

La raison ou raisonnement développe ensuite l'idée et en déduit les conséquenceslogiques; mais si le sentiment doit être éclairé par les lumières de la raison, la raison à son tour doit être guidée par l'expérience, qui seule lui permet de conclure.

(Du progrès dans les sciences physiologiques.

Dans LaScience expérimentale, p.

80.)Dans la dernière phrase de ce passage on peut relever une grave maladresse d'expression : ce n'est pas l'expérience qui guide la raison, mais au contraire la raison qui guide l'expérience; d'autre part, l'expérience permet,non pas de conclure, mais de vérifier si la conclusion déjà tirée est conforme à ia réalité.Il est également regrettable que, pour expliquer l'origine de l'hypothèse, Claude Bernard recoure habituellement à un terme aussi ambigu que « sentiment » : le mot propre est celui qu'il emploie au cours d'e sa brèveexplication : intuition.Ces réserves faites, il faut reconnaître la justesse de l'analyse que nous venons de rappeler : c'est de l'intuition que vient l'initiative, non de l'expérience ou de la raison.

L'explication des faits ou la solution des problèmesest entrevue d'un coup d'oeil divinateur.

La raison et l'expérience n'interviennent qu'après coup : la raison, pour diriger les observations de contrôle; l'expérience pour la réalisation effective des observations.

Ainsi, toutindispensable qu'elle soit, l'expérience ne vient qu'en dernier lieu. « Toute l'initiative expérimentale est dans l'idée.

». »

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