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Comment puis-je me distinguer d'autrui ?

Publié le 23/03/2011

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   Deux écueils menacent les élèves qui choisissent ce sujet. Lesquels ? Le premier est constitué par une bonne connaissance d'un cours sur la notion d'autrui doublée d'une absence de réflexion sur le sujet. Le second est formé au contraire d'une méconnaissance de tout ce qui concerne la notion d'autrui. Dans ce dernier cas l'élève ne peut que naviguer à vue en allant d'une banalité à l'autre. Dans le premier, il peut avoir l'illusion d'avoir rédigé une bonne copie en passant en toute bonne foi à côté du sujet. C'est dire qu'une interrogation solide et documentée sur la notion d'autrui doit se doubler d'une réflexion sur la question même du sujet : comment puis-je me distinguer d'autrui ? D'abord, il s'agit de bien poser cette interrogation dans le cadre du rapport moi-autrui en se demandant quel est son soubassement ou son ancrage philosophique. 

« Sartre (« Le conflit est le sens originel de l'être-pour-autrui » (L'Être et le Néant, p.

431), du conflit.

Passer d'autruinon seulement à l'autre mais aussi aux autres, ce n'est nullement se contenter de remplacer un terme par un autre,c'est s'ouvrir à une autre dimension de l'existence.

« Prenons les autres à leur apparition dans la chair du monde ».Si nous écoutons cette invitation de Merleau-Ponty (Signes, p.

22), nous constatons que c'est la présence desautres comme de moi-même au monde qui fonde notre existence. C'est sans doute la parole qui constitue le principal trait d'union entre les autres et moi.

« Les autres m'ont appris àparler, m'ont donné la parole, mais, ce faisant, ils ont peut-être étouffé en moi une voix originale, et faible et lenteà se libérer », (Georges Gusdorf, La Parole, p.

47, P.U.F.).

Lorsqu'un enfant apprend à parler, il n'emploie pas pourcommencer le pronom « je ».

Il est en quelque sorte le spectateur de sa propre conduite.

En utilisant dans son sensplein le « je », il délaisse alors l'aspect pré-personnel que revêtait jusque-là sa pensée.

Or la question qui sous-tendle fait de savoir pourquoi et comment je cherche à me distinguer d'autrui, naît peut-être bien de ma situation ausein du langage.

L'individu n'est-il pas, de son enfance à sa maturité, et même jusqu'à sa mort, un simple spectateurou un semblant d'acteur sur la scène du langage qui est aussi celle du monde ? Implicitement ou explicitement, jeparle pour dire quelque chose à quelqu'un.

Mais si la parole est ce qui me relie aux autres, je dois si je veux me fairecomprendre, me mettre sur le même terrain qu'eux.

L'autre ne peut m'entendre, me comprendre, que si je quitte monunivers personnel pour un terrain d'entente qui puisse nous être commun.

Plus ce terrain est plat, et plus lebavardage va bon train.

A la limite, mes paroles ne charrient plus rien d'autre que des banalités.

Ce n'est plus ma «personnalité » que j'exprime puisque je ne fais au contraire que me dissoudre chaque jour davantage dans le vastecreuset social des lieux communs.

Désormais la voix monotone et anonyme du langage passe-partout fait tairechaque voix singulière et originale.

Au sein du langage, je cours le risque de n'être plus, sous la pression du on,c'est-à-dire de tout le monde et de personne, que l'ombre de moi-même.

Mais c'est là un risque inévitable et lelangage m'offre aussi la chance de rencontrer authentiquement les autres dans le monde.

Encore faut-il pour celaque les choses soient claires et que je me distingue en propre des autres.

Prenons avec Rilke l'exemple de l'amour.Les magazines et les romans psychologiques insistent souvent sur le caractère de fusion qui serait inhérent àl'amour.

Or ce n'est peut-être pas tant de fusion que de confusion ou d'enchevêtrement qu'il faudrait sans douteparler surtout chez les êtres jeunes.

« Là est l'erreur si fréquente et si grave des jeunes.

Ils se précipitent l'un versl'autre, quand l'amour fond sur eux, car il est dans leur nature de ne pas savoir attendre.

Ils se déversent, alors queleur âme n'est qu'ébauche, trouble et désordre.

Mais quoi ? Que peut faire la vie de cet enchevêtrement dematériaux gâchés qu'ils appellent leur union et qu'ils voudraient même appeler leur bonheur ? — Et quel lendemain ?Chacun se perd lui-même pour l'amour de l'autre, et perd l'autre aussi et tous ceux qui auraient pu venir encore.

Etchacun perd le sens du large et les moyens de le gagner » (Rilke, Lettres à un jeune poète, Œuvres, I, Le Seuil, p.335). Dans l'introduction, nous avons vu que la réponse à la question du sujet pouvait prendre trois directions quicorrespondent aux trois grands sens du verbe se distinguer.

Nous avons déjà en partie envisagé la première(comment puis-je me séparer d'autrui ou me singulariser par rapport à lui ?).

A vrai dire nous avons même remplacé« autrui » par « les autres » au cours de l'analyse des termes de la question.

Ce point essentiel vaut pour les troistypes de réponses que nous allons donner.

Pour en revenir une dernière fois à la première direction, nous pouvonsremarquer que se séparer des autres n'est nullement le signe d'un mépris ou l'indice d'une rupture qui pourrait avoirdes conséquences dramatiques.

De même, se singulariser ne doit pas forcément être pris en un sens pauvre etpéjoratif mais au sens fort de combattre pour sa singularité.

Que signifie un tel combat ? D'abord éviter lapromiscuité, faire échec par tous les moyens à toute tentative de mainmise, en un mot être totalement présentsans jamais donner prise à la curiosité psychologique.

Ensuite ne pas predre de temps à se considérer, ne pass'attarder sur soi-même.

Ceux que René Char nomme les « voluptueux de vie maudite » et ceux qui se prennent ausérieux aboutissent au même échec : ils finissent par se perdre et par tourner en rond.

« Il ne faut pas savoir ceque Ton est pour l'être avec grandeur » (Joë Bousquet, Le Meneur de Lune, in : Œuvre romanesque complète, tome2, Albin Michel, p.

287).

Enfin, il convient de noter que ce qui me permet de me distinguer des autres n'est en rienréductible à un quelconque différend mais suppose une réelle différence sur la même toile de fond : le monde.

Làencore écoutons le poète : « Un monde où tu as voulu entrer sans te détacher de toi, tu le détaches de lui-même...Chacun est aussi séparé de lui-même que la fleur de sa tige, mais un avec l'immensité que tout espace contient...Chacun sera s'il devient l'autre, c'est-à-dire la condition d'être tout comme lui » (Joë Bousquet, ibid, p.

397). En ce qui concerne la seconde voie, à savoir celle des moyens dont je puis disposer pour m'illustrer aux yeux desautres, il faut déjà constater qu'elle me rend de fait tributaire de ces autres devant qui je veux briller.

Ce n'est plusce qu'on est qui importe, mais ce qu'on représente.

Qu'est-ce que l'on entend au juste par cette expression ? « Onsait que par cette expression l'on entend la manière dont les autres se représentent un individu, par conséquent cequ'il est dans leur représentation.

Cela consiste donc dans leur opinion à son sujet et se divise en honneur, rang etgloire » (Schopenhauer, Aphorismes sur la Sagesse dans la Vie, P.U.F., p.

1).

Nous suivrons ici l'analyse deSchopenhauer.

Commençons par le rang.

La notion de rang n'est qu' « une valeur de convention, ou, pluscorrectement, une valeur simulée » (id., ibid., p.

47).

Je puis bien me distinguer des autres en arborant avecostentation ma rosette de la légion d'honneur, mais je confonds alors précisément la distinction et l'honneur enoubliant de surcroît que « c'est avec des hochets que l'on mène les hommes » (Napoléon, Pensées pour l'action,P.U.F., p.

64).

L'analyse de l'honneur est plus complexe.

En effet l'honneur peut d'abord porter sur ce qui touche àla sphère des obligations et des devoirs ainsi qu'à celle des rapports entre ce que Schopenhauer nomme le tien et lemien.

Tel est pour lui, au sens large du terme, l'honneur bourgeois.

Mais l'honneur s'attache également à l'exerciced'une fonction : « c'est l'opinion générale qu'un homme revêtu d'un emploi possède effectivement toutes les qualitésrequises et s'acquitte ponctuellement et en toutes circonstances des obligations de sa charge » (id., ibid., p.

51).Enfin l'honneur sexuel, centre de drames, d'intrigues ou de divertissements réels ou imaginaires, ne doit pas être. »

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