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Connaitre et aimer

Publié le 28/03/2005

Extrait du document

Dans l'amour, l'imagination tourne à vide : c'est l'image de la cristallisation, évoquée par Stendhal dans De l'amour, celle de la branche tout à fait banale, jetée dans les salines de Salzbourg et qui en ressort magnifique et étincelante. 3)     La connaissance exacte commence avec le deuil de l'idéalisation propre à l'amour. a.      La fin de l'amour coïncide avec un éveil à la lucidité : c'est la fin très connue d'Un amour de Swann : « Dire que j'ai gâché des années de ma vie, que j'ai voulu mourir, que j'ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n'était pas mon genre ! ». Mais alors, sa lucidité ne lui sert plus à rien, puisqu'il a quitté l'être aimé, et ne peut plus souffrir par sa faute... Il connaît, mais il n'aime plus. b.     Inversement, la prise de conscience qui mène à la connaissance s'enracine souvent dans une déception originaire. En général, il faut la brisure soudaine d'un amour (quel qu'en soit l'objet) pour pouvoir penser authentiquement un objet : c'est seulement lorsqu'une chose aimée se révèle au dessous de nos attentes que nous réfléchissons et que nous revenons sur notre expérience immédiate. Toutes les philosophies non eudémonistes, c'est-à-dire qui ne font pas du bonheur la fin de la vie humaine, l'ont bien vu : L'homme le plus lucide est aussi le plus malheureux (Schopenhauer) -et l'amoureux, qui de ce point de vue, verse plutôt du côté de « l'imbécile heureux », n'est pas précisément lucide selon lui.
 
« L’amour est aveugle «, dit le proverbe. Il est vrai que l’amour est euphorique, séducteur, parfois immoral et insensé, que l’on parle à son sujet de « coup de foudre «, de délire, voire de folie, et d’esclavage : en un mot, il est irrationnel, et relève à la fois du hasard de la rencontre et de l’arbitraire du goût. Jamais on n’ira pas prétendre qu’il est « objectif «, et sa logique est étrangère à toute tentative de rationalisation. « Parce que c’était lui, parce que c’était moi «, écrit Montaigne, et Pascal dit encore que « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point «. Ainsi, il est clair qu’aimer ne se justifie pas, et que la possibilité d’une « explication « du sentiment amoureux ne ferait que ternir son éclat. Aimer quelqu’un, de toute évidence, rend plus indulgent envers lui, même et surtout quand on connaît ses tares (« Ceux qu’on aime, on ne les juge pas «, écrit Sartre dans Les séquestrés d’Altona), et peut conduire à préférer cet amour à toute autre valeur pour nous maintenir en sa présence (Simone Signoret : « Le secret du bonheur en amour, ce n’est pas d’être aveugle, mais de savoir fermer les yeux quand il le faut «). Or, connaître, c’est en général viser à l’objectivité d’un savoir qui peut prétendre à l’universalité, être reconnu comme vrai par tous –alors que, pour aimer quelqu’un, nous n’exigeons pas que l’humanité entière lui trouve les qualités ou l’agrément que nous y décelons. Là où la connaissance dicte la prudence et la circonspection pour parvenir à ses fins, l’amour, lui, « est sans mesure «. Là où l’amour poursuit le bien de ce qu’on aime, et nourrit de multiples rêves plus ou moins réalisables, la connaissance ne nous ménage pas et souvent dessille cruellement les yeux de celui qui s’est illusionné.
 

« a.

Pascal pose une différence d'ordre et donc un fossé radical entre raison et foi, raison et coeur : il y a loin entre connaître Dieu et l'aimer.

On voit donc qu'on peut très bien connaître sans aimer : le théologien n'est pas forcément un homme de foi, et le théoricien de la vérité n'est pas nécessairement épris de celle-ci.

Le savant, même de génie, « n'enest pas plus avancé pour son salut » (Pensées, 449, Lafuma), car selon Pascal seulela charité et l'amour de Dieu peuvent sauver.

Il n'y a pas de continuité entre les troisordres, mais une discontinuité radicale (=pas de passage possible de l'un à l'autre) :l'ordre du coeur est ainsi opaque à celui de la raison, qui « ne le connaîtpoint » . b.Il n'y a pas de compromission possible entre connaissance de la vérité et amour desoi ou du monde. Pascal s'insurge contre un opportunisme de la vérité ; une vérité intéressée est partiale, sinon compromise avec l'erreur.

« Les malins sont gens qui connaissent la vérité, mais qui ne la soutiennent qu'autant que leur intérêts'y rencontre...

Hors de là, ils l'abandonnent » (Pensées, 740).

=> Antinomie entre connaissance et adhésion du coeur.c.

Et même, il y a une véritable haine de la connaissance authentique, quand ses vérités nous dérangent ; haine envers celui qui veut nous amener à connaître, parce que cette vérité s'oppose à nos affections privées.

Qu'elle vienne à nous déranger, nous l'avons en« aversion » (Pensées, 978) : « N'est-il pas vrai que nous haïssons la vérité et ceux qui nous la disent et que nous aimons qu'ils nous trompent à notre avantage? » (ibid.). « L'amour propre ne saurait empêcher que cet objet qu'il aime ne soit plein de défauts et de misères [...], il conçoit une haine mortelle contre cettevérité qui le reprend, et qui le convainc de ses défauts » (ibid.).

Au contraire, il faut tenter de connaître sans limiter la connaissance à ce qui nous flatte, nous rassure, nous console .

La vérité n'est pas nécessairement confortable.

2) La cristallisation à l'oeuvre dans la passion amoureuse interdit de connaître l'être ou l'objet aimé. a.

La passion amoureuse focalise l'esprit sur un objet, elle est monomaniaque et empêche de connaître le monde environnant, de voir autre chose que, partout l'objet aimé. « On n'aime plus personne dès qu'on aime » , Proust, Nom de pays : le nom.

La passion amoureuse, ainsi, annule tout ce qui, dans le monde, n'est pas signede l'être aimé : quand il est avec des amis, Swann ramène irrésistiblement la conversation vers ce qui lui rappelleOdette (par exemple, le nom de sa rue, etc.), même quand il ne parle pas d'elle.

L'amour, qui accouche souvent de la jalousie, ne cesse d'interpréter tout ce qu'il voit dans un sens prédéterminé, et donc neconnaît pas justement le réel, mais y injecte un sens prévisible et invariable . b.

De plus, l'amour est aveugle à ce qui ne touche pas de près ou de loin à son objet .

Ainsi la passion, toujours excessive, remodèle le monde entier à l'image de l'objet aimé, elle imagine et projette partout des traces de sa présence, et fait obstruction à une connaissance universelle car elle néglige tout détail indifférent à l'objet aimé .

C'est un des sens de l'adage lamartinien : « Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé ». Le passage de l'absence singulière au néant absolu (tout) inscrit bien l'amour dans un rejet excessif de ce qui necontient pas l'être aimé. c.

L'amour nimbe l'objet aimé de gloire, et le pare de mérites imaginaires. Son aveuglement devant des défauts patents : toujours dans Un amour de Swann, une amie de Swann, en parlant d'Odette, la femme dont il estéperdument amoureux, dit : « Et dire qu'elle est sotte ! », ce dont Swann, homme très raffiné, ne s'aperçoitmême pas.

Mais Proust précise que s'étonner qu'une femme aussi médiocre suscite un attachement aussi violentest comme s'étonner que ce soit un « bacille microscopique » qui se trouve à l'origine d'une épidémie decholéra : cette disproportion est dans la nature de l'amour. Dans l'amour, l'imagination tourne à vide : c'est l'image de la cristallisation , évoquée par Stendhal dans De l'amour, celle de la branche tout à fait banale, jetée dans les salines de Salzbourg et qui en ressort magnifique et étincelante. 3) La connaissance exacte commence avec le deuil de l'idéalisation propre à l'amour. a.

La fin de l'amour coïncide avec un éveil à la lucidité : c'est la fin très connue d'Un amour de Swann : « Dire que j'ai gâché des années de ma vie, que j'ai voulu mourir, que j'ai eu mon plus grand amour, pour une femme quine me plaisait pas, qui n'était pas mon genre ! ».

Mais alors, sa lucidité ne lui sert plus à rien, puisqu'il a quitté l'être aimé, et ne peut plus souffrir par sa faute...

Il connaît, mais il n'aime plus.

b.

Inversement, la prise de conscience qui mène à la connaissance s'enracine souvent dans une déception originaire. En général, il faut la brisure soudaine d'un amour (quel qu'en soit l'objet) pour pouvoir penser authentiquement un objet : c'est seulement lorsqu'une chose aimée se révèle au dessous de nos attentes que nous réfléchissons et que nous revenons sur notre expérience immédiate .

Toutes les philosophies non eudémonistes, c'est-à-dire qui ne font pas du bonheur la fin de la vie humaine, l'ont bien vu :L'homme le plus lucide est aussi le plus malheureux (Schopenhauer ) –et l'amoureux, qui de ce point de vue, verse plutôt du côté de « l'imbécile heureux », n'est pas précisément lucide selon lui.

c.

Si pour penser par soi-même, il faut cesser d'aimer aveuglément et suspendre ses affections particulières, réciproquement il faut, pour aimer, ne pas tout connaître de l'autre. Les moralistes l'ont bien vu : si nous connaissions tout ce que pensent les hommes les uns des autres, nous nous haïrions tous mutuellement.

Il nesemble même pas préférable, pour qu'il y ait de l'amour et non une guerre permanente, que les hommes seconnaissent entre eux avec transparence et sans médiation aucune.. »

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