Contre l'historicisme d'E. HUSSERL
Publié le 05/01/2020
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L’histoire, science empirique de l’esprit par excellence, n’est absolument pas en mesure de décider, en un sens positif ou en un sens négatif, ni par ses propres moyens, s’il faut établir une différence entre religion comme formation culturelle et religion comme idée, c’est-à-dire religion valable, entre l’art comme formation culturelle et l’art valable, entre droit historique et droit valide, et, pour finir, entre philosophie historique et philosophie valide ; ou de décider s’il y a, entre forme valable et forme historique, le même rapport qu’entre l’idée et la forme confuse de sa manifestation, pour employer une terminologie platonicienne. Et lorsqu’il est vraiment possible d’examiner et déjuger les formations de l’esprit dans la perspective de pareilles oppositions quant à la validité, le prononcé d’un verdict rigoureux sur la validité elle-même et ses principes normatifs idéaux n’est en rien l’affaire de la science empirique. Le mathématicien, en effet, ne se tournera certainement pas vers l’histoire pour en tirer leçon sur la vérité des théories mathématiques ; il ne lui viendra pas à l’esprit d’établir un rapport entre l’évolution historique des idées et des jugements mathématiques et la question de leur vérité. Comment l’historien aurait-il alors pour tâche de décider de la vérité des systèmes philosophiques existants, voire de la possibilité d’une science philosophique valable en soi ? Et quels arguments pourrait-il jamais avancer qui ébranlassent la croyance du philosophe en l’idée qu’il a d’une vraie philosophie ? Celui qui nie tel système philosophique, et, de même, celui qui nie toute possibilité idéale d’un système philosophique, est dans la nécessité de produire des raisons. Les faits historiques tirés de l’évolution, ou encore les faits les plus universels tirés du mode d’évolution des systèmes en général peuvent constituer de semblables raisons et de bons arguments. Mais des arguments tirés de l’histoire n’autorisent que des conclusions d’ordre historique. Vouloir justifier ou réfuter des idées à partir de faits est absurde.
Edmund Husserl, La Philosophie comme science rigoureuse (1910), trad. De Launay, PUF, 1989, p. 64-65.
À la fin du XIXe siècle, le développement de l'histoire et des sciences humaines conduit à diverses formes d'historicisme : loin de rendre compte de l'histoire, la philosophie n'aurait plus de mode d'existence ni de signification qu'historique. Mathématicien d’origine, Husserl, qui avait déjà refusé de réduire les normes de la logique aux lois d'une psychologie empirique, entend restituer à la philosophie sa valeur propre.

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L'histoire, science empmque de l'esprit par excellence,
n'est absolument pas en mesure de décider, en un sens positif
ou en un sens négatif, ni par ses propres moyens, s'il faut éta
blir une différence entre religion comme formation culturelle
et religion comme idée, c'est-à-dire religion valable, entre
l'art comme formation culturelle et l'art valable, entre droit
historique et droit valide, et, pour finir, entre philosophie his
torique et philosophie valide ; ou de décider s'il y a, entre
forme valable et forme historique, le même rapport qu'entre
l'idée et la forme confuse de sa manifestation, pour employer
une terminologie platonicienne.
Et lorsqu'il est vraiment pos
sible d'examiner et de juger les formations de l'esprit dans la
perspective de pareilles oppositions quant à la validité, le pro
noncé d'un verdict rigoureux sur la validité elle-même et ses
principes normatifs idéaux n'est en rien l'affaire de la science
empirique.
Le mathématicien, en effet, ne se tournera certai
nement pas vers l'histoire pour en tirer leçon sur la vérité des
théories mathématiques; il ne lui viendra pas à l'esprit d'éta
blir un rapport entre l'évolution historique des idées et des
jugements mathématiques et la question de leur vérité.
Comment l'historien aurait-il alors pour tâche de décider de la
vérité des systèmes philosophiques existants, voire de la pos
sibilité d'une science philosophique valable en soi ? Et quels
arguments pourrait-il jamais avancer qui ébranlassent la
croyance du philosophe en l'idée qu'il a d'une vraie philoso
phie ? Celui qui nie tel système philosophique, et, de même,
celui qui nie toute possibilité idéale d'un système philoso
phique, est dans la nécessité de produire des raisons.
Les faits
historiques tirés de l'évolution, ou encore les faits les plus
universels tirés du mode d'évolution des systèmes en général
peuvent constituer de semblables raisons et de bons argu
ments.
Mais des arguments tirés de l'histoire n'autorisent que
des conclusions d'ordre historique.
Vouloir justifier ou réfuter
des idées à partir de faits est absurde.
Edmund HUSSERL, La Philosophie comme science rigoureuse (1910), trad.
De Launay, PUF, 1989, p.
64-65..
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