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En quoi l'art est-il libérateur ?

Publié le 29/06/2009

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Lorsque nous parlons d’art, nous désignons en vérité deux réalités distinctes. Jusqu’au dix-huitième siècle, le terme « art « désignait l’ensemble des techniques de production d’artefacts : tel était encore le cas dans le Discours sur les sciences et les arts (1750) de Jean-Jacques Rousseau. Ainsi, l’activité de l’artiste et celle de l’artisan étaient recouvertes par le même terme. Or, il semble que ces deux activités ne soient pas entièrement réductibles l’une à l’autre, qu’elles possèdent chacune une spécificité à élucider. Par conséquent, il nous faudra au cours de ce travail préciser d’une part ce qui distingue l’art de l’horloger de celui du poète, l’activité du coutelier de celle du plasticien ; et toujours préciser à laquelle de ces deux activités singulières nous pensons lorsque nous employons le signifiant « art «.

 

Une chose libératrice est un moyen par lequel nous conquérons une liberté qui nous fait actuellement défaut. Donner une définition simple et univoque de la liberté n’est possible qu’au prix d’une simplification inacceptable du concept de liberté. En effet, pour définir la liberté, il faut nécessairement faire référence à un terme qui s’oppose à elle. Ainsi on peut définir la liberté par opposition à l’esclavage : alors elle est la condition d’une personne qui n’est pas sous la dépendance d’une autre. Elle s’oppose également à la contrainte, puisqu’elle est le pouvoir de faire ce que l’on veut ; mais elle s’oppose également à l’oppression, en tant qu’elle est le droit de faire tout ce que les lois permettent, sous réserve de ne pas porter atteinte aux droits d’autrui. Enfin, elle s’oppose au déterminisme, puisqu’elle est le pouvoir de la raison humaine de se déterminer en toute indépendance.

La question « l’art est-il libérateur ? « ne saurait que nous surprendre, dans la mesure où ce dernier peut être conçu comme une activité qui par définition n’a aucune fin, et qui trahit sa nature propre (ce qu’il paye par la médiocrité et l’échec de ses productions) en prétendant servir un but. Mais ne pouvons-nous pas dépasser cette conception en montrant que l’art est par définition libérateur de l’esprit contre l’oppression de la doxa (le sens commun, la parole de tout un chacun que personne n’assume) ? Enfin, ne peut-on penser l’art comme ce qui est libérateur plus que spirituellement, ou métaphoriquement, et comme ce qui a bel et bien une efficacité dans le monde ? Cela pose le problème de la capacité des œuvres de l’esprit humain à engendrer des effets dans l’univers concret, dans le monde des actes et non des idées, auquel nous nous efforcerons de répondre. Cependant, la question au centre de notre réflexion sera de montrer dans quelle mesure l’art est capable d’avoir une action libératrice dans le monde de la pensée aussi bien que dans celui des actes. 

« exemple.

Or, il semble bien qu'en étant un genre de la représentation d'évènements fictifs, transportant par l'espritle spectateur dans un autre temps et une autre réalité politique et sociale que celle à laquelle il est effectivementintégré, le théâtre est fondamentalement néfaste pour le public.

En effet, au lieu de l'inciter à consacrer sa réflexionà ce qui existe bel et bien, il le fait se perdre dans une méditation absconse et improductive sur ce qu'il n'est pas : ilfavorise donc l'aliénation politique et sociale des individus qui forment le public, en leur permettant de se divertir, depenser à autre chose qu'aux conditions réelles de leur aliénation.

Nous dirons donc en nous appuyant sur l'exempledu théâtre que l'art en général est loin d'être libérateur : il est au contraire un relai de l'oppression qui s'exerce déjàsur nous. II.

L'at nous libère du joug de la doxa a.

Le problème du totalitarisme de la langue « Depuis les temps anciens jusqu'aux tentatives de l'avant-garde, la littérature s'affaire à représenter quelquechose.

Quoi ? Je dirai brutalement : le réel.

Le réel n'est pas représentable et c'est parce que les hommes veulentsans cesse le représenter par des mots, qu'il y a une histoire de la littérature [...] ou pour mieux dire desproductions de langage, qui serait l'histoire des expédients verbaux, souvent très fous pour réduire, apprivoiser,nier, ou au contraire assumer ce qui est toujours un délire, à savoir l'inadéquation fondamentale du langage et duréel.

Je disais à l'instant que la littérature est catégoriquement réaliste, en ce qu'elle n'a jamais que le réel pourobjet de désir ; et je dirai maintenant, sans me contredire [...], qu'elle est tout aussi obstinément irréaliste ; ellecroit sensé le désir de l'impossible ».

Roland Barthes, Leçon inaugurale prononcée le 7 janvier 1977 au Collège de France. Dans ce texte célèbre, Roland Barthes produit un discours sur le paradoxe qui, selon lui, se trouve compris dans ladéfinition même de la Littérature : cette dernière est à la fois réaliste et irréaliste, au mépris du principearistotélicien de non contradiction.

En effet, d'après Roland Barthes, la Littérature n'a pas d'autre objet que dereprésenter le réel, c'est-à-dire de figurer dans le langage un univers qui se veut le reflet de celui qui est devant lesyeux de l'écrivain.

Car figurer le réel, ce n'est pas autre chose que de chercher à le restituer sous une formelittéraire, a opérer une translation entre le domaine sensible et le domaine des mots.

Alors que le réel estchangeant, multiple, indéfinissable et ondoyant, la langue est quant à elle, pour reprendre l'expression fameuse deRoland Barthes lui-même « totalitaire ».

En effet, la langue est toujours dotée de catégories rigides qui découpent leréel a priori, qui orientent et pré déterminent la vision du réel qui sera la notre avant même que nous nous y soyonsrapportés.

Il y a donc une autorité impérieuse de la langue sur la manière dont nous pensons, une oppression contrelaquelle la poésie, notamment, est un moyen efficace de lutter.

De tout ceci nous pouvons donc tirer à propos desarts qui se servent du langage (la chanson, toutes les formes et genres littéraires) qu'elles sont libératricespuisqu'elles permettent un affranchissement par rapport aux structures étouffantes de la langue. b.

L'art comme libération du solipsisme Mais c'est en un autre sens que nous pouvons dire que l'art est libérateur : car il engage une lutte contrel'oppression rampante de la doxa.

Par doxa, nous entendons le discours qui n'est véhiculé par personne en particuliercar il est imputé à tout le monde en général, mais qui ne laisse pas de prétendre à une autorité de contrôle sur leschoix individuels.

La doxa c'est ce qui nous dit « les choses sont ainsi et doivent le rester » et qui n'a aucuneréponse rationnelle lorsque nous lui en demandons la raison.

Contre ce discours impersonnel à la volonté d'ingérencedans les destinées de chacun, l'œuvre d'art nous présente un discours signé qui nous engage à concevoir la réalitéd'une manière que nous n'aurions pas su imaginer sans elle et renouvelle la perception que nous en avons.

C'estainsi que l'œuvre d'art nous offre une autre fenêtre sur le monde, une autre manière de l'envisager.

Si nous prenonsl'exemple des œuvres d'art pictural, nous pouvons concevoir un tableau comme la matérialisation et le partage de lavision singulière du monde par un artiste que nous n'aurions jamais eu sans lui.

Un Cézanne est plus qu'une toile quireprésente la réalité avec le nom « Cézanne » inscrit quelque part sur la toile : c'est une fenêtre sur le monde telque l'a vu Cézanne et qui reflète son propre monde intérieur.

Nous dirons donc que l'art est bel et bien libérateur decette pensée qui n'émane de nulle part mais que chacun est disposé par les autres à écouter (la doxa) puisqu'elleprésente une autre manière, originale, inattendue, de considérer le monde et les choses.

Comme l'écrivait FranzKafka : « La littérature est la hache qui vient briser la mer gelée en nous ».

L'art est donc libérateur en ceci qu'il nous affranchit du solipsisme auquel nous sommes voués.. »

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