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Est-ce un progrès de ne pas croire ?

Publié le 05/08/2005

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(...) Lorsque l'on croit, l'estomac s'en mêle et tout le corps est raidi. Le croyant est comme le lierre sur l'arbre. Penser, c'est tout fait autre chose. On pourrait dire : penser, c'est inventer sans croire. Imaginez un noble physicien, qui a observé longtemps les corps gazeux, les a chauffés, refroidis, comprimés, raréfiés. Il en vient concevoir que les gaz sont faits de milliers de projectiles très petits qui sont lancés vivement dans toutes les directions et viennent bombarder les parois du récipient. Là-dessus le voilà qui définit, qui calcule ; le voilà qui démonte et remonte son gaz parfait, comme un horloger ferait pour une montre. Eh bien, je ne crois pas du tout que cet homme ressemble un chasseur qui guette une proie. Je le vois souriant, et jouant avec sa théorie ; je le vois travaillant sans fièvre et recevant les objections comme des amies ; tout prêt à changer ses définitions si l'expérience ne les vérifie pas, et cela très simplement, sans gestes de mélodrame.

Croire, c'est adhérer à une pensée, à un dogme, sans avoir fondé rationnellement cette adhésion, et sans être forcément capable d'en rendre raison autrement qu'en déclarant « j'y crois «. Le verbe « croire « est souvent opposé au verbe « savoir « qui, lui, désigne une adhésion rationnellement justifiée à une idée. Il peut s'employer pour de nombreux objets différents – on peut croire à une idée, croire en quelqu'un -, mais le mot « croire « pris dans un emploi absolu fait généralement référence à la croyance religieuse. Il faudra donc s'intéresser à la fois au mécanisme de la croyance en général et à celui de la croyance religieuse.

« Ne pas croire «, ce serait refuser ce type d'adhésion, par exemple parce qu'elle nous semblerait insuffisamment fondée ou insuffisante eu égard aux exigences et aux capacités de la pensée rationnelle. C'est donc une certaine attitude de la pensée qui est interrogée ici.

Plus précisément, il est demandé ici si le fait de ne pas croire peut ou ne peut pas être considéré comme un progrès. La notion de progrès renferme l'idée d'une amélioration dans le temps – il y a un état antérieur au progrès, et cet état serait ici celui de la croyance. Le processus par lequel on sort de la croyance est-il souhaitable ? Répondre positivement à cette question supposerait que l'on se livre à une analyse critique du phénomène de la croyance, que l'on en examine les avantages et les insuffisances. En quoi le fait de croire peut-il être insuffisant, ce qui impliquerait que l'on éprouve le besoin de le dépasser, ce qui constituerait le progrès en question ici ? En quoi, plus spécifiquement, un refus de la croyance religieuse pourrait-il constituer un progrès ? A l'inverse, le phénomène de la croyance ne présente-t-il pas certains avantages propres, si bien que vouloir s'en passer présenterait le risque de perdre certains bénéfices ?

Répondre au sujet demandera, on le voit, un travail de définition du fait de croire, dans le but d'en définir les bénéfices et les inconvénients, et de trouver des critères pour décider si ne pas croire est ou non un progrès.

 

« Kant, Critique de la raison pure « L'acte de tenir pour vrai (la créance) est un fait de notre entendement quipeut reposer sur des raisons objectives, mais qui exige aussi des causessubjectives dans l'esprit de celui qui juge ; quand cet acte est valable pourchacun, pour peu qu'il ait seulement de la raison, la raison en estobjectivement suffisante, et le fait de tenir pour vrai s'appelle alors conviction.

Quand il a uniquement son fondement dans la nature particulière du sujet,on le nomme persuasion.La persuasion est une simple apparence, parce que le principe du jugement,qui réside simplement dans le sujet, est tenu pour objectif.

Aussi un jugementde ce genre n'a-t-il qu'une valeur personnelle, et la créance ne secommunique pas.

Mais la vérité repose sur l'accord avec l'objet, et parconséquent, par rapport à cet objet, les jugements de tout entendementdoivent être d'accord (consentientia uni tertio consentiunt inter se).

La pierrede touche servant à reconnaître si la créance est une conviction ou unesimple persuasion est donc extérieure : elle consiste dans la possibilité de lacommuniquer et de la trouver valable pour la raison de chaque homme ; caralors on peut au moins présumer que la raison de l'accord de tous lesjugements, malgré la diversité des sujets entre eux, reposera sur unfondement commun, je veux dire sur l'objet, avec lequel, par suite, tous lessujets s'accorderont, prouvant par là même la vérité du jugement. La persuasion ne peut donc pas, à la vérité, se distinguer subjectivement de la conviction, si le sujet a devant lesyeux la créance simplement comme un phénomène de son propre esprit ; l'épreuve que l'on fait sur l'entendementd'autrui des raisons qui sont valables pour nous, afin de voir si elles produisent sur une raison étrangère le mêmeeffet que sur la nôtre, est cependant un moyen qui, bien que purement subjectif, sert, non pas sans doute àproduire la conviction, mais à découvrir la valeur toute personnelle au jugement, c'est-à-dire à découvrir en lui cequi n'est que simple persuasion.

Si l'on peut en outre expliquer les causes subjectives du jugement, causes que nous prenons pour des raisons objectives de ce jugement, et par conséquent expliquer notre créance trompeuse comme un événement de notreesprit, sans avoir besoin pour cela de la nature de l'objet, nous mettons alors l'apparence à nu et nous ne seronsplus trompés par elle, bien qu'elle puisse toujours nous tenter jusqu'à un certain point, si la cause subjective decette apparence tient à notre nature.

Je ne peux affirmer, c'est-à-dire exprimer comme un jugement nécessairement valable pour chacun, que ce quiproduit la conviction.

Je puis garder pour moi ma persuasion, si je m'en trouve bien, mais je ne puis ni ne dois vouloirla faire valoir hors de moi.La créance ou la valeur subjective du jugement par rapport à la conviction (qui a en même temps une valeurobjective) présente les trois degrés suivants : l'opinion, la foi et le savoir.

L'opinion est une créance qui aconscience d'être insuffisante subjectivement aussi bien qu'objectivement.

Quand la créance n'est suffisante quesubjectivement, et qu'en même temps, elle est tenue pour objectivement insuffisante, elle s'appelle foi.

Enfin cellequi est suffisante subjectivement s'appelle savoir.

La suffisance subjective s'appelle conviction (pour moi-même), lasuffisance objective, certitude (pour chacun).

Je ne m'arrêterai pas à éclaircir des concepts aussi faciles àcomprendre.

» La critique que le sujet invite à formuler à l'égard de la croyance peut aussi amener à poser le problème du lieninévitable entre croyance et subjectivité.

On peut développer ce lien, demander ce qu'apporterait le fait derenoncer à cette subjectivité de la croyance, ce que cela apporterait en termes de progrès.

Si la croyance estsubjective elle est figée, elle ne permet peut-être pas d'élaboration commune de la pensée – or cette élaborationpeut être envisagée comme une des conditions du progrès.

* La singularité et les limites de la croyance : faut-il refuser la croyance ou simplement la limiter par laraison ?. »

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