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Est-il absurde de désirer l'impossible ?

Publié le 22/02/2012

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Corrigé Introduction Au moins depuis Aristote, on a coutume de distinguer possible, réel et nécessaire : le nécessaire, c'est ce qui ne peut pas ne pas être ; le réel, c'est ce qui est ; le possible, c'est ce qui peut être. De ce point de vue, l'impossible, c'est ce qui ne peut pas être, ce qui n'est pas à présent réel, qui ne l'a jamais été et ne le sera jamais : l'impossible, ce n'est pas simplement l'irréel voire l'improbable, ce n'est pas seulement ce qui n'est pas, c'est ce qui n'a aucune possibilité d'être. Or comme l'affirmait Leibniz, ce qui ne peut pas être, c'est le contradictoire : un cercle carré est une contradiction dans les termes, et donc une impossibilité absolue. Tel est le principe fondamental de la logique, le principe de contradiction selon lequel l'être ne se contredit pas, et le contradictoire est impossible. Cette porte ne peut pas être à la fois uniformément grise et non grise ; cet animal ne peut pas être à la fois un oiseau et un mammifère : quand nous attribuons à un même sujet deux prédicats contraires qui s'excluent l'un l'autre, nous formons un jugement contradictoire, lequel est nécessairement faux, parce que l'objet qu'il décrit ne peut pas exister.

« est un destin funeste, c'est le désir d'immortalité qui contient en lui-même une contradiction indépassable.

Celui quivoudrait être immortel se figure qu'en allongeant la durée de la vie, on augmente la quantité de plaisir ; or le plaisirn'est pas une quantité, mais un état, une qualité, comme telle insusceptible de degré.

Qu'importe alors de vivrecinquante ans ou un millier d'années : un bonheur parfait n'est pas plus intense de durer plus longtemps.

Celui quidésire l'immortalité mécomprend donc la nature du bonheur.

Pire même : en posant comme désirable ce qui ne l'estpas, il se rend malheureux ici et maintenant, puisqu'il se persuade que son plaisir dépend de quelque chose que detoute manière il n'obtiendra jamais.

Les désirs vains sont par nature illimités : ce qui est censé les contenter ne lescontente en fait jamais, parce qu'ils en veulent toujours plus.

Tel est le signe de leur insigne contradiction et il suffitde s'en rendre compte pour revenir à plus de raison, c'est-à-dire pour dépasser leur absurdité. II.

Désir et dépassement du donné Ce n'est pas le train du monde qui rend impossible la satisfaction de certains désirs : c'est le désir lui-même qui estpétri de contradictions.

Faudra-t-il alors qualifier d'absurde l'existence qui n'aura pas réussi, par un effort sublime dela volonté, à dépasser tout désir et tout appétit ? Or comme un tel dépassement est à l'évidence une conduitedestinée à demeurer sans exemple, n'est-ce pas d'avance réputer absurde la vie humaine elle-même ? Ou alorsn'est-ce pas plutôt Épicure lui-même qui aurait mécompris la nature du désir et celle de la satisfaction véritable ? Ilsuffit de penser à l'exemple pris par Pascal dans ses Pensées : cet homme qui court derrière son chien à la poursuited'un lièvre, que cette chasse amène à battre la campagne une journée entière, refuserait sans nul doute une proiesi piteuse si on venait à la lui offrir.

Manière de dire que lorsque nous désirons quelque chose, ce n'est jamais cettechose qui est au fond l'objet de notre désir : le désir désire désirer, il se nourrit de sa propre faim.

S'agit-il là d'unecontradiction le privant par avance de tout sens ? Non pas si l'on comprend enfin que la satisfaction est plus dans lapoursuite que dans le contentement.

Et c'est précisément ce qu'affirme Rousseau lorsqu'il soutient qu'on n'est «heureux qu'avant d'être heureux ».

C'est en fait l'obtention de ce qu'on désirait qui est toujours décevante.

End'autres termes, le désir est à lui-même sa propre fin, et sa propre satisfaction.

C'est pour cette raison qu'il esttoujours désir de l'impossible, impossibilité qui elle-même n'a rien à voir avec la stricte impossibilité logique (lecontradictoire) : ce qui contente le désir, c'est de désirer non un impossible, mais un pur possible, c'est-à-dire unepossibilité qui ne se réalisera jamais.

Dès que le possible désiré devient réel en effet, le désir s'en détourne et semet à la recherche d'un autre objet : ce n'est pas alors qu'il est absurde de désirer, c'est bien plutôt que lasatisfaction n'est pas là où l'on a naïvement tendance à le penser.

Davantage même : lorsque Épicure recommandede nous en tenir aux désirs naturels et nécessaires (boire lorsqu'on a soif, manger lorsqu'on a faim), il réduit en faitla sphère désirante aux seuls besoins.

C'est pourquoi d'ailleurs, quant au bonheur, il fait des animaux nos modèles.Mais précisément, comme l'affirme Hegel dans la Phénoménologie de l'esprit, les animaux « ne restent pas devant leschoses sensibles comme si elles étaient en soi, mais ils désespèrent de cette réalité et dans l'absolue certitude deleur néant, ils les saisissent sans plus et les consomment ».

Ce qui caractérise les animaux en effet, c'est qu'ilsn'ont jamais que des besoins : ils prélèvent dans la nature de quoi les satisfaire et s'en trouvent contents.

L'animalest d'emblée parfaitement tout ce qu'il est, il mène au sens propre une existence sans avenir, il est incapable de sechanger lui-même, et encore moins de modifier son monde.

Pour l'animal donc, il n'y a aucun possible : il est tout cequ'il peut être et son monde ne peut être autre chose que ce qu'il est déjà.

N'ayant pas conscience de sa propreexistence, n'étant rien à ses propres yeux sinon un pur néant, l'animal désespère du monde, c'est-à-dire n'en attendrien et n'a rien à en attendre : les vaches ne regardent pas passer les trains, elles n'attendent pas leur venue, maisexistant sans avoir la conscience d'exister, elles ne savent que prélever des choses dans le réel et les anéantir parla consommation.

La vache broute de l'herbe et la digère, c'est-à-dire l'anéantit : n'étant rien pour elle-même, ellen'est rien d'autre qu'une pure puissance d'anéantissement.

L'homme en revanche n'est jamais tout ce qu'il peut être,son présent n'est pas la simple continuation de son passé.

Parce qu'il a conscience de sa propre existence, il peutfaire retour sur elle et la transformer ; il peut aussi et surtout, du même coup, transformer le monde par son travail :pour l'homme et pour l'homme seul, le réel n'est pas le tout de l'être.

Au contraire, ce donné naturel, l'homme leprend et le nie : par son travail, il cultive et modifie la nature, il la plie à ses volontés, il la met à son service, ill'aménage ; bref, il ne se contente pas de la prendre telle qu'elle est, il la transforme pour rendre possible ce quinaturellement ne l'était pas.

Il nous est impossible de voler et si nous étions des êtres de pure nature (desanimaux), nous nous serions tenus à cette impossibilité première, qui au reste ne nous serait jamais apparue commeimpossibilité (la vache ne regrette pas de ne pas savoir nager).

Mais nous sommes des êtres spirituels pour qui ledonné ne suffit pas : c'est parce qu'il nous est naturellement impossible de voler que nous désirons le faire, et parnotre travail, par notre technique, nous avons rendu possible ce qui par nature ne l'était pas.

Désirer l'impossiblealors, ce n'est rien d'autre que désirer tout court.

Et cela est la marque de la dignité humaine. Conclusion Parce qu'il est un être conscient de sa propre existence autant que du monde, l'homme est un être pour qui ledonné jamais ne suffit.

C'est pour l'homme et lui seul qu'il y a du possible, c'est-à-dire aussi de l'impossibilité.

Etrendre possible ce qui ne l'était pas, dépasser le présent pour plier le donné à notre vouloir, voilà le secret de lagrandeur humaine.

Tel est le sens de la leçon hégélienne : l'homme est l'être qui dépasse le réel donné vers lepossible, il est celui par qui le possible advient, c'est-à-dire aussi celui par qui est l'histoire, qui n'est rien d'autreque celle de notre acharnement à rendre possible ce qui ne l'était naturellement pas.

C'est pourquoi « rien de grandne s'est accompli sans passion » : c'est parce que le désir est toujours désir de ce qui n'est pas que l'homme,jamais, ne se contentera de ce qui est.

L'absurdité alors, ce serait bien plutôt de nier la grandeur du désir enmécomprenant que c'est lui qui, en nous empêchant de nous contenter du donné, nous ouvre à la possibilité de. »

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