Est-il absurde de désirer l'impossible ?
Publié le 20/06/2009
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Introduction :
Chercher à éteindre le soleil ou à respirer de l'eau est absurde : on sait que c'est impossible, il est donc irrationnel de chercher à le réaliser. Le désir semble sans limites : on peut désirer des montagnes d'or, on peut rêver d'avoir des ailes, le désir repousse les limites du possible. Le désir se nourrit de fantasmes qu'il peut forger contre toute considération rationnelle de leur possibilité.
Mais connaît-on bien les limites du possible et de l'impossible? Ce qui est impossible à un moment ne l'est plus à un autre et c'est en désirant l'impossible qu'on le rend possible. Il était impossible d'abolir l'esclavage au XVI e siècle et l'esclavage a été aboli à la fin du XVII e siècle par ce que certaines personnes se sont obstinées à désirer l'impossible. L'impossible n'est donc pas absolu, c'est à dire à jamais impossible, il peut être relatif, c'est à dire impossible dans certaines conditions et possible dans d'autres. Si l'impossible est relatif, est-il irrationnel de désirer l'impossible?
I : Le désir est toujours désir de l'impossible
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Le désir comme manque
Le désir est un manque insatiable. À la différence du besoin qui peut être satisfait, le désir n'a pas de limites, dans le Gorgias, Platon compare le désir à un tonneau percé. Le désir ne regarde donc pas la limite du possible, la logique du désir est au contraire de repousser toute limite.
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L'objet du désir est impossible
Le propre du désir est d'être illimité et qu'aucun objet ne soi capable de le limiter, par conséquent l'objet du désir ne peut pas exister. L'objet du désir est impossible, d'un point de vue logique cela signifie qu'il enveloppe une contradiction comme l'idée d'un cercle carré par exemple. La contradiction inhérente à l'objet du désir est que cet objet ne doit pas exister ou être possible pour le sujet sans quoi le désir n'existerait plus. Désirer c'est manquer sans qu'une satisfaction soit possible l'objet du désir ne peut donc pas exister, il est impossible.
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Il est naturel de désirer l'impossible
Désirer l'impossible n'est pas absurde, au contraire c'est naturel. Ce n'est absurde que si l'on ne comprend pas le mécanisme du désir. Mais dès lors que l'on comprend que le désir fonctionne en cherchant l'impossible, il est rationnel de nourrir le désir d'impossible pour l'augmenter. Le fantasme peut être défini comme l'image de l'objet impossible du désir : le sujet se représente l'objet du désir à travers des fantasmes et cela nourrit et accroit son désir.
II: Un calcul absurde
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L'impossible pris pour le possible
Le désir ne serait pas désir s'il n'espérait pas atteindre son objet, personne ne cherche à atteindre un cercle carré par exemple. Au fond du désir, il y a en fait l'espoir que le fantasme est possible. Ce qui anime le désir c'est l'idée de repousser les limites du possible. Mais ce mouvement ne peut avoir de fin, comme nous l'avons vu, il tend inexorablement à l'impossible. Le désir repose donc sur une erreur : la confusion du possible et de l'impossible.
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Le malheur
Désirer l'impossible conduit fatalement au malheur. Si le désir est illimité, c'est une illusion de croire que l'on pourra le satisfaire par un moyen quelconque, plus on cherchera à le combler plus on creusera le manque. Dans la République, Platon décrit l'homme qui ne suit que son désir : c'est un tyran qui tue père et mère, qui ne recule devant rien pour multiplier les plaisirs, cultivant le malheur autour de lui et aggravant sans cesse son propre mal. Il vit une existence absurde par ce qu'il s'obstine à l'impossible et en fin de compte cette vie est indésirable.
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La sagesse du désir
Au lieu de suivre la voie illimitée vers laquelle nous entraine le désir de l'impossible, on peut chercher des désirs rationnels qui peuvent être satisfaits. Épicure distinguait les désirs nécessaires et les désirs non nécessaires. Pour atteindre le bonheur qu'il définit comme la paix de l'âme, il faut éviter les désirs non nécessaires qui produisent des troubles infinis dans l'âme. Il faut s'efforcer de ne penser qu'aux désirs nécessaires et à les satisfaire sans les augmenter.
III : L'idéal
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Les limites du possible
Il faut distinguer l'impossible logique de l'impossible pratique. L'impossible logique est une idée qui enveloppe une contradiction comme l'idée d'un triangle à quatre angles : l'idée d'une figure à quatre angles est contradictoire avec la définition du triangle. L'impossible pratique est une impossibilité de fait : il m'est impossible de porter une voiture par ce que je n'ai pas la force suffisante, mais l'idée de porter une voiture n'est pas contradictoire en elle même. Les limites de l'impossible et du possible pratique sont mouvante, le temps et le progrès les font bouger : l'homme ne pouvait pas voler jusqu'à ce qu'il invente des machines volantes. Ainsi les limites du possible sont souvent illusoires et liées à l'ignorance et aux préjugés d'une époque.
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L'idéal asymptotique
Une idée rationnelle et possible en elle même, mais impossible d'un point de vue pratique à un moment donné peut constituer un idéal. Contrairement à la recherche d'une satisfaction du désir dans une poursuite du plaisir illimitée et impossible d'un point de vue pratique, l'idéal n'est pas absurde. L'idéal donne sens à l'existence en l'orientant dans la direction d'un but à atteindre. Même si ce but demeure impossible d'un point de vue pratique, on peut s'en rapprocher de façon asymptotique. De cette façon l'homme peut progresser en cherchant à réaliser la justice, la paix...
3) Le désir raisonnable de l'impossible
Si l'idéal demande de repousser les limites du possible pratique, en revanche, il ne cherche pas l'impossible logique. Le désir de l'impossible peut donc s'associer à une vie rationnelle. Platon critique la poursuite absurde du plaisir par ce qu'elle conduit à une impossibilité et une impasse pratique, mais il soutient qu'il est bon de rechercher des Idées transcendantes et donc impossibles à atteindre. L'amour peut ainsi conduire à une conduite absurde : la débauche à jamais insatisfaites, ou à une conduite rationnelle : l'amour de l'Idée du Beau, cause de toutes les beautés particulières.
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Problématique :
« Soyons réalistes, demandons l'impossible » : le slogan a, depuis 1968, traversé les décennies et est devenu, comble de l'ironie dusort, une forme de boutade commerciale ornant les t-shirts que vendent les magasins de souvenirs de Montmartre.
Pourtant, la blagueavait, sous forme d'oxymore, pour but de faire un pari : redonner à l'utopie une valeur politique, et faire en sorte de manifesterl'exigence morale ultime constitutive de toute existence sociale : l'amélioration du sort de chacun.
Considéré sous cette forme, « désirer l'impossible » n'est peut-être pas totalement absurde.
Si en effet, à proprement parler, désirerl'impossible semble relever du pari fondamentalement absurde, puisqu'il s'agirait alors de s'attacher à vouloir une chose dont un saitpertinemment qu'elle ne peut advenir, peut-être qu'une telle vision des choses est trop restrictive, puisqu'elle se polarise uniquementsur l'objet du souhait (l'impossible) sans prendre en compte le chemin de sa réalisation (ce que permet de faire une motivationutopique).
Désirer l'impossible semble donc une formule qui n'est pas seulement paradoxale dans sa forme, puisque, sur le fond, ledésir de l'impossible peut correspondre à un dépassement de soi et à une motivation qui grandit celui qui la formule.
Nous nous attacherons ainsi tout d'abord à montrer que désirer l'impossible ne semble pas avoir de sens pour celui qui s'attache àvouloir atteindre ce qu'il ne peut.
Nous montrerons ensuite que le désir de l'impossible a toutefois un sens souhaitable, si tant est quecelui qui formule le désir est averti de l'utopie de son désir.
Nous en viendrons alors enfin à constater que le désir de l'impossible estune motivation existentielle qui permet de modifier sa vision du réel, afin de ne pas se laisser emprisonner dans des alternativesrestreintes.
Plan rédigé proposé
1.
Désirer l'impossible, une absurdité coûteuse.
Ia.
Désirer l'impossible peut à l'évidence sembler absurde, puisque celui qui veut atteindre une chose se voit immédiatement contrariédans la possibilité d'atteindre l'objet de son souhait.
Le désir d'une chose impossible est donc un non sens logique, puisque le désir nepeut trouver à se réaliser, ne parvient pas à identifier les moyens de son développement.
Ib.
Outre l'absurdité logique du fait de désirer l'impossible, l'absurdité est morale : celui qui désire l'impossible se place dans unesituation de frustration constante, présente et future.
Présente puisqu'il ne possède pas ce qui a une valeur ultime pour lui, et futurepuisqu'il sait qu'il ne pourra pas la posséder.
Ic.
Désirer l'impossible n'échappe ainsi à l'absurdité qu'à la condition que celui qui formule le désir ne soit pas au courant del'impossibilité de le satisfaire.
En revanche, désirer l'impossible ne peut être, à l'instar de Mai 68, une revendication et une chosesouhaitable, tant cette revendication conduit à agir en dépit du bon sens et de la saine raison.
2.
Désirer l'impossible, une utopie utile.
IIa.
Cette vision instrumentale et rationnelle de l'existence humaine est toutefois problématique, puisque le désir de l'impossible setrouve strictement jugé à l'aune de la réalisation possible comme objectif exclusivement souhaitable.
Or cette vision utilitaire del'action de l'homme n'est pas évidente, puisqu'elle en vient à ignorer que c'est peut-être au moins autant le désir qui est souhaitable,que l'objet désiré.
IIb.
En ce sens, désirer l'impossible est une manière de vouloir se dépasser et aller au-delà de ce qui est réaliste.
Le désir de ce quin'est pas possible n'a en ce sens pas de valeur comme impossible, mais possède un sens réel du point de vue de celui qui souhaite etse sert de ce souhait pour se perfectionner et chercher à atteindre le meilleur.
IIc.
Désirer l'impossible n'est donc pas absurde, à la condition que celui qui désire ne prise pas ce qu'il désire pour posséder ce qu'ildésire, mais plutôt pour jouir du fait de désirer.
Le désir devient donc un miroir de soi, qui permet à l'individu désirant de chercher àatteindre le mieux pour soi.
3.
Désirer l'impossible pour le rendre réel.
IIIa.
Subordonner le sens du désir d'impossible à la conscience de l'impossibilité revient toutefois à ignorer, voire à dénoncer la partd'utopie présente dans le désir de l'impossible.
En d'autres termes, dire que l'impossible du désir impossible n'est qu'une absurdité, etqu'il n'a de sens qu'au regard de celui qui désire, revient à se méprendre sur le sens et les possibilités offertes par une utopiemilitante, qui a elle-même pour fonction de rendre possible des choses autrement impossibles.
IIIb.
En ce sens, le propre de l'utopie est de changer radicalement une situation, en donnant existence à des choses qui n'auraient pasété possibles si chacun ne s'était pas efforcé de croire à l'impossible.
L'impossible peut ainsi devenir réel à la condition de ne passupposer que le réel n'a qu'un sens, et qu'il est s'impose à l'homme de façon fatale et définitive.
IIIc.
Dès lors, désirer l'impossible est une forme de gageure proprement humaine, ou de pari constitutif de l'existence, dans la mesureoù le projet de l'impossible oblige l'homme à se dépasser et à créer des conditions qui n'auraient pas existées sans cela.
L'impossiblemontre à l'homme qu'il ne maîtrise jamais parfaitement le sens du possible et du réel, et que c'est ) force de se contraindre qu'il peutparvenir à réaliser des choses qu'il considéraient à tort comme impossibles..
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