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Est-on fondé à dire d'une société qu'elle est plus avancée qu'une autre ?

Publié le 27/02/2011

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• L'idée d'avance (ou de retard) ne serait-elle pas solidaire de l'idée de progrès? Comment, par rapport à quoi, établir qu'il y a progrès? — On peut sans doute soutenir que c'est relativement facile de déterminer s'il y a ou non progrès scientifique et technique (encore que...). — Mais dans les autres domaines? Peut-on sans problèmes (ardus) parler de progrès en art, en philosophie, en morale? D'autant que les « progrès « de l'ethnologie (entre autres) nous ont fait mesurer à quel point les mentalités, les valeurs des diverses civilisations étaient hétérogènes entre elles.

— La relativisation des valeurs nous permet-elle encore de poser sans problème, les progrès scientifiques et techniques comme des progrès en soi, indépendamment des valeurs véhiculées par telle ou telle culture? — Enfin l'idée de progrès servant à interpréter l'histoire ne postulerait-elle pas implicitement une histoire linéaire et unique qui fait sans doute problème (en regard des recherches de nombreux historiens contemporains?).

« De surcroît, certaines de ces sociétés ne possèdent pas l'écriture.

Et l'on tient ici l'une des causes de leur retard,selon Hegel dans La Raison dans l'histoire.

D'abord, l'absence d'écriture les prive d'histoire : elles ne peuventconstituer un vaste héritage à léguer aux générations qui les suivent.

Seules les inventions les plus simples, lestours de main ou les préceptes oraux peuvent être transmis.

Ces sociétés n'apportent pas de contribution majeure àl'histoire commune de l'humanité.

Comme l'écrit Hegel elles restent à la marge de l'histoire de l'humanité, « elles n'ylaissent que des pages blanches ». L'histoire du monde n'est pas lelieu de la félicité.

Les périodes debonheur y sont des pagesblanches (La Raison dansl'histoire) Ce que montre l'histoire apparente est unspectacle de violence et de fureur où lebonheur des peuples est la plupart du tempssacrifié.

Les peuples heureux n'ont donc pasd'histoire. Plus largement, lorsque l'on songe à tous les pays qu'il est convenu d'appeler « sous-développés », le signe duretard pour ces sociétés est leur dépendance à l'égard des pays avancés : elles ont besoin des découvertes quis'effectuent dans ces sociétés pour espérer combler leur retard.

À l'inverse, les sociétés développées secaractérisent par une constante recherche de nouveauté.

Elles sont créatrices, alors que les sociétés en retardsont seulement reproductrices ou imitatives.

Et l'Europe occidentale apparaît à nombre de penseurs, à l'instar deHegel, comme un modèle pour les autres sociétés humaines.

On voit donc que le présupposé majeur d'une telleposition est qu'il y aurait une supériorité de certaines sociétés et de certains hommes sur d'autres. En somme, on aboutit à affirmer avec Aristote, dans la Politique, qu'il existe des hommes naturellement supérieurs àd'autres.

Les sociétés en retard seraient constituées de nouveaux barbares, c'est-à-dire d'hommes moinsqu'hommes.

On aperçoit aisément le caractère moralement contestable d'une telle thèse.

Rendons justice à Aristote,il indique lui-même qu'une infériorité sociale ou économique n'est pas nécessairement le symptôme d'une inférioriténaturelle mais peut être le fruit du hasard. Toutefois, on peut contester l'idée même d'une hiérarchie des hommes et des sociétés qu'ils constituent.

Suivonspar exemple le livre I de Du Contrat social de Rousseau dans son analyse de l'esclavage et de l'oppression politique.La domination de certaines sociétés, qu'elle soit violente, lorsqu'il s'agit de colonisation et d'asservissementgénéralisé, ou qu'elle soit apparemment plus douce, lorsqu'il s'agit d'une sorte de « leadership », est contraire àl'essence même de l'homme.

Ce dernier est en effet libre par nature.

Et la domination de certains hommes ou decertaines sociétés ne paraît évidente et naturelle que parce qu'elle s'appuie sur une longue histoire et sur la forcesouveraine de l'habitude. La thèse selon laquelle il y aurait des sociétés en avance et des sociétés en retard nous apparaît commeinacceptable d'abord du point de vue de ses conséquences.

Les sociétés « en avance » peuvent en effet seprévaloir de cette avance pour dominer les autres sociétés.

Elles auraient en effet le devoir d'aider les autressociétés à les rattraper. Cette conception est contestable également du point de vue des principes, car elle nie l'égalité des hommes et ledroit à la différence, ce que contestent les philosophes comme Montaigne (Essais, livre I, « Des cannibales ») qui necroient pas à la supériorité d'une civilisation par rapport à une autre et qui s'ingénient à trouver des supérioritéschez les « sauvages ». Toutefois, les objections simplement éthiques opposées à cette thèse ne sont-elles pas insuffisantes? Le partisande la hiérarchie des sociétés peut aisément répondre qu'il a de l'homme une tout autre idée et qu'il a des valeursmorales différentes.

Pour lui, aider les sociétés archaïques à combler leur retard est plus moral que de les laissertelles qu'elles sont, en arguant de l'égalité naturelle entre leshommes. On peut contester d'une façon très différente la hiérarchie couramment acceptée entre les sociétés.

Il ne suffit eneffet peut-être pas de montrer qu'elle est condamnable.

Il convient surtout de voir si elle n'est pas tout simplementfausse. Opposer les Barbares aux Grecs, les Sauvages aux Civilisés, les « avancés » et les « sous-développés », c'est biensouvent être victime d'une illusion.

C'est adopter ce que Platon nomme, du nom d'un oiseau réputé dans l'Antiquitépour son intelligence, « le point de vue de la grue ».

Dans le dialogue Le Politique, Socrate le jeune, qu'il convient dedistinguer du maître de Platon, opère une série de distinctions entre les êtres vivants.

Parvenu aux hommes, il lesdivise immédiatement en Grecs, d'un côté, et en Barbares, de l'autre.

Mais le porte-parole de Platon, l'Étranger, luifait alors cette remarque : « Si j'interrogeais une grue et non un Grec, que me dirait-elle? Elle diviserait les animauxen plaçant à part l'espèce des grues, et en lui opposant tous les autres êtres vivants.

Tu fais comme elle.

» Demême, celui qui croit à la hiérarchie des sociétés adopte un point de vue qui n'est pas objectif.

Il reste tributaire. »

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