(Éthique à Nicomaque VI, 5, 1 140 a 24 — b 11)
Publié le 23/03/2015
Extrait du document
Au sujet de la prudence, nous pourrions saisir [ce qu'elle est] en considérant quelS hommes nous qualifions de prudents. On est d'avis qu'est prudent celui qui est capable de bien délibérer sur les choses bonnes et utiles pour lui, [et ce,] non pas d'une façon partielle, comme par exemple quelles choses favorisent la santé ou la force physique, mais eu égard au bien-vivre dans sa globalité. Un signe en est que nous qualifions aussi de prudents ceux qui, dans un domaine [pourtant] particulier, calculent bien en vue de quelque fin honnête relativement à laquelle il n'existe aucun art. Il en résulte que d'une manière générale l'homme prudent est celui qui sait délibérer. Mais personne ne délibère sur les choses qui ne peuvent pas être autrement qu'elles ne sont, ni non plus sur celles qu'il n'est pas possible d'accomplir par soi-même. Il s'ensuit que, puisque, d'une part, une science procède démonstrativement et qu'il ne peut y avoir de démonstration, des choses dont les principes peuvent être autres qu'ils ne sont (car ces choses aussi peuvent être autres qu'elles ne sont), et puisque, d'autre part, on ne délibère pas sur les choses qui sont nécessairement [ce qu'elles sont], la prudence n'est ni science ni art : elle n'est pas une science, parce que l'objet de l'agir peut être autrement qu'il n'est, et pas un art, parce que l'agir et le produire diffèrent génériquement. Reste donc que la prudence est une disposition pratique à la vérité, stable et raisonnée, concernant les choses bonnes ou mauvaises pour l'homme. [...]
C'est pourquoi nous tenons tous Périclès et ses semblables pour des [hommes] prudents, car ils sont capables de prendre en considé-ration ce qui est bon pour eux-mêmes et aussi pour les hommes. Tels sont les chefs de famille et les hommes politiques.
(Éthique à Nicomaque VI, 5, 1 140 a 24 — b 11)
«
Textes commentés 55
La prudence (phronèsis) détermine dans chaque situation la norme du
bel-agir en fixant la
« règle droite » (orthos logos) pour le désir.
Elle ne
se borne donc pas à discerner les moyens de l'action (ce serait une
conception technique de la prudence), mais elle discerne aussi les belles
fins et suscite la con-venance réciproque des fins
et des moyens.
Cette
conception
qu'on pourrait dire "circulaire" du temps de la praxis, trouve
un écho dans la méthode même d'Aristote.
De toute évidence, en effet,
un cercle lie la prudence et le prudent: qu'il y ait des hommes prudents
est présupposé dans la définition de la prudence
! Il n'y a cependant là
aucun vice logique, mais une simple application de la doctrine aristotéli
cienne des principes: s'agissant des
«choses qui peuvent être autres
qu'elles ne sont», les principes d'analyse doivent seulement être
endoxaux.
C'est sur les opinions bien admises dans lesquelles se
dessinent des traits constants, dépôts de l'expérience et de la culture
d'un
peuple, qu'on doit faire fond pour cerner une certaine typique de l'objet
étudié.
L' endoxon pris pour principe dans ce texte veut que l'homme prudent
soit
« celui qui sait délibérer» (ho bouleutikos) indépendamment de tout
jugement technique : soit
« eu égard au bien-vivre dans sa globalité »
(pros to eu zèn holôs), soit dans les domaines où« l'art» fait défaut.
La
prudence est donc
typiquement une délibération dans le domaine
pratique.
Ni sophia théorique ni tekhnè productive, elle est cette
« excellence intellectuelle » (aretè dianoètikè) qui discerne la vérité de
!'agir, et il y va avec elle
de« cette pensée et [de] cette vérité [qui] sont
d'ordre
pratique» (VI, 2, 1 139 a 26-27).
Périclès fut-il réellement un
exemple de ce type
d'homme ? Quoi que Platon ait pu en écrire
(cf.
Gorg.
515 e
- 519 a), et en accord avec Thucydide (Guerre du
Péloponnèse I, 140-144) comme avec le plus grand nombre des
Athéniens, Aristote le croit.
Mais on ne trouvera dans son œuvre aucun
panégyrique du stratège athénien, tant
il est vrai que la typologie ne vise
jamais à construire un modèle univoque (ou un arché-type)..
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