Explication de texte: Rousseau, Lettre à C. de Beaumont

Expliquer le texte suivant :

Vous supposez [ ... ] que l’homme apporte avec lui sa raison toute formée, et qu'il ne s’agit que de la mettre en œuvre. Or cela n’est pas vrai ; car l’une des acquisitions de l’homme, et même des plus lentes, est la raison. L’homme apprend à voir des yeux de l'esprit ainsi que des yeux du corps ; mais le premier apprentissage est bien plus long que l’autre, parce que les rapports des objets intellectuels ne se mesurant pas comme l’étendue, ne se trouvent que par estimation, et que nos premiers besoins, nos besoins physiques, ne nous rendent pas l’examen de ces mêmes objets si intéressant. Il faut apprendre à voir deux objets à la fois ; il faut apprendre à les comparer entre eux ; il faut apprendre à comparer les objets en grand nombre, à remonter par degrés aux causes, à les suivre dans leurs effets ; il faut avoir combiné des infinités de rapports pour acquérir des idées de convenance, de proportion, d’harmonie et d'ordre. L’homme qui, privé du secours de ses semblables et sans cesse occupé de pourvoir à ses besoins, est réduit en toute chose à la seule marche de ses propres idées, fait un progrès bien lent de ce côté-là : il vieillit et meurt avant d’être sorti de l’enfance de la raison.

Rousseau, Lettre à C. de Beaumont

Si C. de Beaumont suppose « que l'homme apporte avec lui sa raison toute formée », il n'est pas seul dans ce cas. La raison, dans la tradition de la philosophie, est en effet affirmée comme une fonction présente dans l'homme par nature. Ni Platon ni Aristote ni leurs successeurs antiques ne s'interrogent sur son éventuelle formation.Tout au plus considèrent-ils qu'elle ne devient totalement performante qu'après une certaine maturation. Il suffit de la laisser croître, puis de l'orienter convenablement.

On se préoccupe davantage de son usage correct (comme le fait Aristote avec son Organon) que d'une interrogation sur son 

A. Elle est aussi nécessaire que celle de la vision

Puisqu'il est nécessaire (tout le monde peut le constater) d'apprendre à voir << des yeux du corps >>, il doit être facile de comprendre qu'un apprentissage des << yeux de l'esprit >> est également obligatoire.

Et de même que la vision d'un nouveau-né est extrêmement faible, ne se précisant que grâce à sa maturation physiologique et à son expérience, on doit admettre que son esprit, initialement dépourvu d'idées, devra

évoluer par apprentissage. L'hypothèse d'un esprit tout formé est d'autant moins vraisemblable qu'elle attribue à l'esprit une plénitude originelle dont le corps est privé, et que l'on voit mal ce qui justifierait ce privilège de l'esprit sur le corps : s'il est possible de concevoir un corps sans esprit, on voit mal ce que pourrait être un esprit sans corps, sinon Dieu. Or l'homme est, non pas Dieu, mais bien sa créature.