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Faites le procès de l'imagination. Les moralistes incriminent cette « maîtresse d'erreur et de fausseté ». Les poètes volent à son secours. Évoquez le réquisitoire, la défense, et prononcez vous-même le jugement définitif.

Publié le 18/06/2009

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« Où cours-tu si vite, Philathlos ? — Je vais au Pirée, Philologos, je suis fort pressé, car un de mes parents doit arriver aujourd'hui d'Éphèse, et je crains que le procès auquel je viens d'assister ne m'ait mis en retard. Adieu donc, ne me retiens pas. Une autre fois je te raconterai cette affaire assez extraordinaire. — N'aie pas peur, Philathlos, je viens d'apprendre que le bateau attendu pour aujourd'hui arrivera demain seulement; les orages de ces derniers jours ont ralenti sa course. Tu peux en toute tranquillité me raconter ce que tu as entendu, si du moins cela ne t'ennuie pas. — Non, certes; je le ferai avec plaisir. Figure-toi que l'on a jugé l'imagination. Les moralistes l'attaquaient vigoureusement comme tu pourras t'en rendre compte par mon récit fidèle. Mais les poètes l'ont défendue avec passion; enfin, c'est un philosophe, comme il convient, qui a prononcé la sentence définitive. — Ma foi, ce n'est point là procès banal, cela nous change des affaires d'héritages et de fraudes dont nous sommes rassasiés. Commence donc, je t'en prie.

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« des choses et des hommes, nous allons jusqu'au jardin secret, jusqu'à la fontaine scellée d'où jaillissent leurscaractéristiques les plus ténues en leur singularité irremplaçable.

L'imagination est la faculté de l'intériorité, car lescouleurs, les bruits et les parfums ont des attaches profondes avec la suprême valeur des choses : ils manifestent ànos sens l'acte d'amour par lequel le Créateur pose les êtres mutuellement solidaires.

Nous ne nions pas que lessciences découvrent les lois immuables, nous disons pourtant que l'imagination nous fait aller au-delà.Voici comment l'un d'entre nous essaie d'exprimer cela : ...Quand tu parles, comme un arbre qui de toute sa feuille s'émeut dans le silence de midi, la paix en nous peu àpeu succède à la pensée.Par le moyen de ce chant sans musique et de cette parole sans voix, nous sommes accordés à la mélodie de cemonde.Tu n'expliques rien, ô poète, mais toutes choses par toi nous deviennent explicables.

(CLAUDEL) Et il faut dire maintenant combien cette faculté est, pour celui qui reste fidèle à sa destination première, principe depurification et de libération.

Libération, cet ordre formel, rigide, forgé par l'entendement technique pour soumettre lemonde à ses fins utilitaires; purification du regard, qui ne se porte plus sur les êtres avec un désir de lucre, maisavec émerveillement et respect.

Notre imagination nous permet de déchiffrer les symboles du monde; mais pourrait-ilêtre sensible à ces mystérieuses correspondances, celui dont l'oeil ne serait pas radicalement pur ? Le regard n'a-t-ilpas sa racine dans le coeur ? Nous connaissons les choses et les hommes pour autant seulement que nous savonsles accepter dans leur totalité, sans rien leur imposer qui brime leur spontanéité ou leur liberté, jusqu'à leurpermettre de nous prendre la vie. 0 Besme, je ne parle pas selon ce que je veux, mais je conçois dans le sommeil.Et je ne saurais expliquer d'où je tire ce souffle, c'est le souffle qui m'est retiré.Dilatant ce vide que j'ai en moi, j'ouvre la bouche.Et ayant aspiré l'air dans ce legs de lui-même par lequel l'homme à chaque seconde expire l'image de sa mort,Je restitue une parole intelligible, (CLAUDEL) dit encore le même poète.

0 juges, ne condamnez pas aveuglément l'imagination par laquelle nous accueillons ledivin et bondissons vers lui. III.

--- LE JUGEMENT DÉFINITIF PHILOLOGOS. - Pour moi, ce discours me cause quelque émotion, et j'avoue avoir peine maintenant à trancher le débat.PHILATHLOS. - Tous, en effet, furent un peu ébranlés, mais le philosophe s'est tiré d'embarras grâce à une distinction des mieux venues; juges-en plutôt : Il me semble, dit-il, que les deux parties n'ont pas en vue la mêmefaculté ou du moins le même usage de l'imagination.Les moralistes ont eu raison de condamner sans pitié la rêverie par laquelle l'homme se refuse à regarder le inondetel qu'il est, se renferme dans son individualité la plus capricieuse, et au lieu de s'ouvrir aux êtres, tente de lesabsorber pour en faire sa pâture.Les poètes, de leur côté, ont exalté à bon droit l'imagination, faculté de l'accueil et du don, qui ne contredit pas laraison, mais la dépasse, car elle en est le principe de la fin.Remarquons-le pourtant, l'homme est un être si étrange que parfois il semble renfermer en lui mille personnagesdifférents ou même opposés qui, tour à tour, s'avancent sur le bord de la scène pour réciter leur rôle, et s'éloignentensuite à l'arrière-plan, chargés d'une fonction plus ou moins effacée.

Que chacun donc contrôle son imaginationpour ne point faire la bête en croyant participer aux secrets divins, ni se croire poêle si l'on n'est qu'un vainparesseux.

C'est parce que l'imagination est une des plus hautes facultés de l'homme qu'il faut la défendre le pluspossible contre tout usage sacrilège.

»PHILATHLOS. - Ce furent là les dernières paroles du juge.

Sa sentence te convient-elle P PHILOLOGOS. — Peut-être, PHILATHLOS, mais elle est un peu brève, et bien des questions restent à résoudre.

Du moins pourrait-elle être l'occasion de réflexions qui l'approfondiraient.PHILATHLOS. - C'est aussi mon avis.

Aussi réfléchissons, et lorsque nous aurons à nouveau l'occasion de nous rencontrer, nous mettrons en commun nos découvertes.

Adieu.PHILOLOGOS. - Tout à fait d'accord, ami.

Porte-toi bien.. »

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