HABITUDE ET RÉFLEXE

« La vie sociale nous fait contracter des habitudes.

Compter, lire, jouer au bridge, nager, danser sont des habitudessociales, qui ne deviennent pas à proprement parler des besoins.

Plus on a l'habitude d'un plaisir, plus il faut unedose forte ou un objet raffiné pour éprouver un plaisir.

Lorsqu'on ne peut plus agrandir la dose ou raffiner, on netrouve plus de plaisir, on est blasé. Il arrive souvent que l'habitude ne soit qu'une manière de satisfaire un besoin préexistant à l'habitude; en effet, parhabitude, fumer devient un besoin : un homme commence à fumer par imitation, et parfois avec dégoût; aprèsquelque temps, il a besoin de fumer.

L'habitude semble avoir créé le besoin; mais il y avait un besoin préexistant àl'habitude le besoin de s'exciter et de se calmer à la fois en société; il s'agit d'une tendance à laquelle s'offrent demultiples moyens de satisfaction possibles.

Ce besoin de stimulant et de calmant est satisfait par la cigarette; audébut elle dégoûtait mais, par le jeu de l'habitude, la cigarette devient le moyen précis de satisfaire cette tendancequi préexistait à l'habitude.

Il est assez difficile de le démontrer et cependant on le croira en réfléchissant que cettetendance indéterminée est satisfaite ailleurs par des boissons alcoolisées ou par l'opium, etc...

L'habitude de fumern'a donc pas créé le besoin : elle a précisé la manière de satisfaire le besoin 1. d - On voit donc que la nature n'est pas une « première coutume ».

Toute habitude est le passage d'une naturepremière à une nature seconde: cela suppose de la plasticité', ce n'est pas un automatisme de réaction quel'habitude, mais l'acquisition d'aptitudes de réaction. 3° L'habitude, dans son dévidement, n'est-elle pas faite d'une cascade, d'un enchaînement de réflexes? L'habitude est une suite de mouvements dont chacun semble frayer le passage au mouvement qui le suit — uneorganisation de mouvements dont chacun semble appeler tous les autres dans la série.

N'est-ce pas une cascade deréflexes qui s'enchaînent? Le réflexe est instantané, simple; l'habitude suppose un être en qui l'action enrichit lanature : dans l'activité vitale apparaît avec l'habitude une survivance du passé dans le présent, une accélérationmécanique de l'un par l'autre.

Cela est déjà de l'ordre de la mémoire élémentaire. De plus, l'habitude est un tout dans lequel l'agencement, l'organisation des éléments est plus importante encore queleur succession.

Si l'un des actes de l'habitude ne se produit pas, je remanie le plan d'ensemble : si ma voiturerefuse de démarrer parce que la batterie ne fonctionne plus, j'aurai recours à la manivelle.

Dans l'habitude, le toutdomine la partie, c'est pourquoi l'habitude véritable n'existe vraiment que chez les êtres supérieurs. Conclusion : Le réflexe est un instrument de la nature originelle, l'habitude un instrument grâce auquel nous dépassons cettenature; et si l'habitude ne peut imiter totalement la nature, et en ce sens n'est jamais une seconde nature, onpourrait dire que, réciproquement, la nature ne peut imiter l'habitude et qu'elle ne peut suffire à nous la fairecomprendre.

L'habitude ne peut appartenir qu'à un être capable de vouloir et de pouvoir dépasser sa propre nature,et c'est pourquoi, même lorsqu'elle imite le réflexe, elle provient toujours d'une autre source.. »