Herbert Marcuse est mort
Publié le 19/11/2011
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Le 29 juillet de cette année, le philosophe Herbert Marcuse est mort à Starnberg (en Baviere) où, âgé de quatre-vingts ans, il était revenu vivre après quarante-six années d'exil. Né à Berlin en 1898, H. Marcuse a fait ses études de philosophie aux universités de Berlin et
de Fribourg. 1917-1918: le vent de la révolution souffie sur une Europe rendue exsangue par la grande guerre. A vingt ans, de tels événements laissent une emprunte profonde et, de fait, la victoire des bolcheviques en novembre 1917 tout comme le sanglant échec des Spartakistes en janvier 1919 vont indiquer définitivement à H. Marcuse ce qu'il considérera désormais comme les chances du socialisme et les limites de ses espoirs.
«
H.
Marcuse et S.
Freud : le freudo-marxisme
Ce qui a dégagé la pensée de Marcuse et l'a
fortement personnalisée fut la rencontre de la psy
chanalyse, choc décisif d'où naquit Eros et Civili
sation (1955), ouvrage considéré comme l'un
des grands classiques du freudo-marxisme.
Freudo
marxisme, Freud et Marx, voici réunies les forces
présidant à la révolte individuelle et celles prési
dant à la révolte sociale.
A K.
Marx,
H.
Marcuse
ajoute S.
Freud qui disait : « Le véritable héros est
celui qui se révolte contre l'autorité paternelle et la
vainc.
,.
Aussi s'érige-t-il aussitôt contre les analys
tes américains qui font de l'intégration sociale un critère de santé individuelle et de la cure une tech
nique d'adaptation.
De l'opposition freudienne entre Eros et
Thanatos, H.
Marcuse fait
de Eros la société qui
ouvre et de Thanatos, celle qui réprime.
Au refoule
ment freudien, il substitue la notion de répression sociale, puissante mais non invincible et, à la suite de W.
Reich (Psychologie de masse du fascisme, 1934}, fait de l'Amour une force révolutionnaire.
Marxiste, élève de Freud, Marcuse utilise ces deux
formes de pensée pour dénoncer ce qu'il appelle la
nature fondamentalement répressive de toute socié té et montre, dans deux de ses ouvrages, de quelle
manière cette répression est à l'œuvre dans deux
grands types
de société: Marxisme soviétique (1958} et, pour la société capitaliste: L'homme
unidimensionnel (1964).
Pourtant, contre Freud
lui-même, Marcuse
affll111e qu'il pourrait exister
une société non-répressive si cessaient les refou
lements qu'il dénonce (du corps, des Jeux, de la
créativité), refoulements dus à la récuperation et à
la mercantilisation systématiques
de l'instinct éro~ tique.
Société de consommation, société répressive,
Marx, Freud: avec W.
Reich, H.
Marcuse devait
devenir le maître à penser de la jeunesse des années
soixante.
L'utopie importe plus que les doctrines
Durant les grandes révoltes américaines de 1964
puis celles qui secouèrent l'Italie en 1966, le nom de Marcuse servit de bannière sur les barricades et
dans les campus universitaires.
En France, il ne fut
connu qu'en mai 68, un seul de ses ouvrages Eros
et Civilisation y ayant alors été traduit.
Mais les thèmes qu'avait agités Marcuse, son marxisme non
communiste et sa constante dénonciation de la
société « surrépressive » représentaient alors l'ou
verture que cherchaient les étudiants ~ui accolèrent
son nom à celui de W.
Reich pour s opposer aux
philosophies dogmatiques et revendiquer l'utopie.
D'ailleurs Marcuse
ne pensait-il pas que, si la clas se ouvrière de certains pays n'était plus objective
ment révolutionnaire, l'union des marginaux et des opprimés - les jeunes, les femmes, les minorités
ethniques -suffirait à faire triompher la « bonne cause».
Pourtant, philosophe, théoricien et non
révolutionnaire violent, Marcuse n'a pas tardé à
désavouer sévèrement
les excès auxquels une appli- cation
outrée
de sa pensée pouvait conduire et ce fut fermement qu'il condamna par exemple Daniel
Cohn-Bendit, tout comme il affirma que, pour lui, «détruire l'Université,.
était un mot d'ordre stupi de ; l'Université demeurant à ses yeux l'un des rares espaces de liberté où l'on pouvait justement
apprendre à penser et favoriser l'épanouissement
d'une
« sensibilité nouvelle ».
Les voies de la libération
Esprit critique, Marcuse a du reconnaître les limites de la révolte estudiantine ainsi que celles de sa propre pensée puisque, selon lui, la récupération en fut telle que la libération des mœurs alors enga gée n'a finalement abouti qu'à transformer le sexe en marchandise, à lui ôter son contenu subversif et
à vider l'individu moderne de son potentiel révolu
tionnaire.
De plus,
si certains comme Gilles Deleuze en
France ou plus particulièrement Rudi Dutschke en
Allemagne
se définissent encore comme ses disci
ples ou, tout au moins, pe~tuent l'idée de tenir
compte du désir humain (dans lequel Marcuse
voyait
une force critique et révolutionnaire}, grand
nombre de ses émules de mai 68 proclament
aujourd'hui des idées tout à fait contraires affir
mant contre Marcuse que la libération
de l'homme
semble impossible, son aliénation tenant plus à un
état naturel qu'à l'organisation d'une société
répressive.
Mais , constater la récupération des forces
révolutionnaires n'a pas clos
le débat pour ce phi
losophe dialecticien qui, après mai 68, s'est encore
demandé s'il restait
des voies de libération dans un
monde où il disait que ni le capitalisme ni le mar
xisme soviétique n'étaient en train de mourir mais
resserraient au contraire leur étreinte « surrépressi ve »à chacune des crises qu'ils avaient à traverser.
Ce fut à répondre à cette question que H.
Marcuse
consacra
ses dernières œuvres (Vers la libération 1969 - la Fin de l'utopie 72 ...
).
·
Pour
Marcuse, changer une société sans qu'en même temps l'Homme change ses besoins, ses tech
niques et ses rapports à l'autre sexe est inutile ou, en tout cas, peu opérant.
La société non-répressive
dont il rêvait ne pourra être, selon lui, que le fait des individus eux-mêmes lorsque «cessant d'être
endoctrinés et manipulés jusque dans leurs ins
.
tincts, ils seront devenus libres de choisir ».
Quoi ? Pour obtenir une telle autonomie, longtemps Mar
cuse a proclamé qu'il faudrait établir wie « dictatu re éducative,.
dont le premier acte, disait-il, serait de fermer la télévision.
Utopie, pessimisme, dictature.
Aujourd'hui
H.
Marcuse ne peut désormais plus défendre sa
propre pensée et celle-ci appartient tout autant à
ceux qui vont
se réclamer de lui qu'à ceux-là qui
vont le critiquer.
Marcuse sera-t-il « marcusien,.
d'ici dix à vingt ans, durant ces années qu'il annon
çait comme devant être « terribles » et pour les
quelles il a préconisé, lors de sa dernière grande
interview, que la révolution devrait être· poétique ?.
»
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