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« Il n'y a plus d'après... » de W. HEISENBERG

Publié le 09/01/2020

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La physique relativiste d'Einstein a permis aux scientifiques de remettre en question le déterminisme classique, selon lequel tout événement, de quelque nature qu'il soit, est effet d'une cause et cause d'un effet si bien que, connaissant l'état d'un système à un moment donné, on peut en prévoir en toute certitude l'état ultérieur. Le déterminisme repose donc sur un concept de temps qui se trouve, Heisenberg nous l'explique ici, bouleversé par la relativité.

Il y a cinquante ans, Einstein a découvert que la structure espace-temps n’était pas aussi simple que nous nous la représentons dans la vie quotidienne. Considérons comme passés tous les événements desquels, en principe, nous pouvons savoir quelque chose et comme futurs tous ceux sur lesquels, du moins en principe, nous pouvons exercer une influence ; dans ce cas, nous pouvons nous représenter naïvement qu’entre ces deux groupes d’événements se place un moment infiniment court que nous pouvons appeler présent. C’est la représentation sur laquelle Newton a fondé sa mécanique. Depuis la découverte d’Einstein, en 1905, on sait que, entre ce que je viens d’appeler futur et ce que je viens d’appeler passé, se place un intervalle temporel fini dont la durée dépend de la distance spatiale qui sépare l’événement de l’observateur. Le domaine du présent ne se limite donc pas à un moment infiniment court. La théorie de la relativité admet que, en principe, les actions ne peuvent pas se propager plus vite que la lumière. C’est cet aspect de la théorie de la relativité qui crée des difficultés par rapport aux relations d’indétermination de la théorie des quanta. Selon la théorie de la relativité, les actions ne peuvent se propager qu’à l’intérieur du domaine spatio-temporel ; ce domaine est strictement limité par ce qu’on appelle le cône de lumière, c’est-à-dire par les points de l’espace-temps atteints par une onde lumineuse qui part d’un centre d’actions. Ce domaine de l’espace-temps est donc, il convient de le souligner, strictement délimité. D’autre part, la théorie des quanta a montré que, quand on précise la position et qu’on délimite strictement l’espace, il en résulte une indétermination infinie de la vitesse ainsi que de l’impulsion et de l’énergie. Cela montre dans la pratique que, si l’on essaye de formuler mathématiquement l’action réciproque des particules, il apparaît toujours un nombre infini de valeurs d’énergie et d’impulsion qui empêchent une formulation mathématique satisfaisante. Au cours des dernières années, ces difficultés ont été l’objet de nombreuses expériences qui n’ont pourtant abouti à aucun résultat concluant. Pour l’instant il faut se contenter de l’hypothèse que, dans les domaines infinitésimaux de l’ordre de grandeur des corpuscules, l’espace et le temps ont une imprécision particulière, ce qui veut dire que même les concepts d’avant et d’après deviennent indéfinissables pour des intervalles de temps aussi réduits [...]. Ceci fait comprendre que la physique atomique se soit éloignée de plus en plus des relations déterministes.

D’abord et dès les débuts de la science de l’atome, par le fait que l’on s’est mis à considérer les lois déterminantes des processus à grande échelle comme des lois statistiques. En principe on maintenait encore le déterminisme, mais en pratique on comptait avec le caractère incomplet de nos connaissances des systèmes physiques. Ensuite, dans la première moitié du siècle, par le fait que le caractère incomplet de la connaissances des systèmes atomiques était désormais considéré comme une partie essentielle de la théorie. Enfin, tout récemment, parce que, pour les durées et les espaces infinitésimaux, le concept de chronologie semble devenir un problème, bien que nous ne puissions pas encore dire comment se résoudront ces énigmes.

Wemer Heisenberg, La nature dans la physique contemporaine, coll. « Idées », Éd. Gallimard, 1962, pp. 56-58.

« en 1905, on sait que, entre ce que je viens d'appeler futur et ce que je viens d'appeler passé, se place un intervalle temporel fini dont la durée dépend de la distance spatiale qui sépare l'événe­ ment de l'observateur.

Le domaine du présent ne se limite donc pas à un moment infiniment court.

La théorie de la relativité admet que, en principe, les actions ne peuvent pas se propager plus vite que la lumière.

C'est cet aspect de la théorie de la relati­ vité qui crée des difficultés par rapport aux relations d'indétermi­ nation de la théorie des quanta.

Selon la théorie de la relativité, les actions ne peuvent se propager qu'à l'intérieur du domaine spatio-temporel; ce domaine est strictement limité par ce qu'on appelle le cône de lumière, c'est-à-dire par les points de l'espace­ temps atteints par une onde lumineuse qui part d'un centre d'actions.

Ce domaine de l'espace-temps est donc, il convient de le souligner, strictement délimité.

D'autre part, la théorie des quanta a montré que, quand on précise la position et qu'on déli­ mite strictement l'espace, il en résulte une indétermination infinie de la vitesse ainsi que de l'impulsion et de l'énergie.

Cela montre dans la pratique que, si l'on essaye de formuler mathématique­ ment l'action réciproque des particules, il apparaît toujours un nombre infini de valeurs d'énergie et d'impulsion qui empêchent une formulation mathématique satisfaisante.

Au cours des der­ nières années, ces difficultés ont été l'objet de nombreuses expé­ riences qui n'ont pourtant abouti à aucun résultat concluant.

Pour l'instant il faut se contenter de l'hypothèse que, dans les domaines infinitésimaux de l'ordre de grandeur des corpuscules, l'espace et le temps ont une imprécision particulière, ce qui veut dire que même les concepts d'avant et d'après deviennent indéfi­ nissables pour des intervalles de temps aussi réduits [ ...

].

Ceci fait comprendre que la physique atomique se soit éloignée de plus en plus des relations déterministes.

D'abord et dès les débuts de la science de l'atome, par le fait que l'on s'est mis à considérer les lois déterminantes des proces­ sus à grande échelle comme des lois statistiques.

En principe on maintenait encore le déterminisme, mais en pratique on comptait avec le caractère incomplet de nos connaissances des systèmes physiques.

Ensuite, dans la première moitié du siècle, par le fait que le caractère incomplet de la connaissances des systèmes ato­ miques était désormais considéré comme une partie essentielle de la théorie.

Enfin, tout récemment, parce que, pour les durées et les espaces infinitésimaux, le concept de chronologie semble devenir un problème, bien que nous ne puissions pas encore dire comment se résoudront ces énigmes.

Werner Heisenberg, La nature dqns la physique contemporaine, coll.

« Idées », Ed.

Gallimard, 1962, pp.

56-58.. »

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