Imaginer une lettre à la manière des Provinciales sur l'existentialisme.
Publié le 18/02/2011
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Si l'existentialisme est moins actuel aujourd'hui que lorsque ce sujet fut proposé, les élèves de nos classes terminales sont sans doute mieux en mesure d'en parler que les élèves de Première. Toutefois, si l'exposé de la doctrine philosophique n'était guère à leur portée, ils pouvaient plus aisément évoquer la mode existentialiste et dégager d'une oeuvre connue quelques thèmes essentiels de la littérature existentialiste. Quant à l'imitation des Provinciales, elle n'était que la transposition de procédés rencontrés au cours de l'étude préalable de quelques extraits.
«
crie, on sort et c'est la mort.
»J'en étais là de ma lecture lorsque je m'aperçus que je me trouvais devant la maison de mon ancien professeur dephilosophie, Érostrate.
Le hasard m'avait-il conduit là? ou le projet inconscient de le consulter à son tour? Jel'ignorais, mais je montai incontinent et sonnai à sa porte.
Je fis part de l'objet de ma visite et je fus aussitôtintroduit dans le bureau de mon maître.
II - LA PHILOSOPHIE EXISTENTIALISTE
Érostrate, accoudé à la fenêtre, semblait ne pas me voir.
Après quelques instants, il se retourna.
Son regard avaitun air étrange.— Je voyais, me dit-il, passer dans la rue mon propre enterrement.
Je ne pus dissimuler un mouvement de surprise.Mais il continua :— Oui, je me voyais mort; je voyais mon corps allongé dans le corbillard.
Je ressentais les chocs légers de ma têtecontre le bois, la raideur de mes membres ankylosés.
Et j'entendais les jugements que portaient sur moi les amisvenus m'accompagner jusqu'à ma dernière demeure : « C'était un grand philosophe », « Érostrate fut le Socrate' denotre époque », « Érostrate est un fumiste »...
Mais vous n'êtes pas venu là pour écouter mon oraison funèbre.Heureux de mettre un terme à une situation qui devenait gênante, je lui demandai aussitôt s'il voulait m'instruire dece qu'il fallait entendre par Existentialisme.— Très volontiers, me dit-il.
J'aime les gens curieux, car la curiosité est le commencement de l'angoisse quicaractérise l'attitude existentialiste.— N'est-ce pas, lui dis-je, la simple expression du pessimisme d'une génération désaxée par la guerre?— N'en croyez rien.
L'existentialisme n'est pas une mode, et ceux qui, par snobisme, témoignent de l'engouementpour cette doctrine sans la comprendre, ne nous intéressent pas.
Sachez donc que c'est une philosophie à laquellese rattachent des penseurs comme Kierkegaard, des chrétiens comme Jaspers et Gabriel Marcel, aussi bien que desathées comme Heidegger et Sartre.
Ce qu'ils ont en commun, c'est qu'ils estiment que l'existence précède l'essenceou, si vous voulez, qu'il faut partir de la subjectivité.— Maître, ce langage philosophique m'embrouille.
Ne pourriez-vous me dire la même chose en des termes plussimples?— Bien volontiers.
Connaissez-vous cette brochure de Sartre, me dit-il, en prenant dans sa bibliothèque uneplaquette intitulée « L'Existentialisme est un Humanisme »? Il l'ouvrit à la page et je lus : « Qu'est-ce que signifie icique l'existence précède l'essence? Cela signifie que l'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde et sedéfinit après ; l'homme tel que le conçoit l'existentialiste, s'il n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord rien.
Il nesera qu'ensuite, et il sera tel qu'il se sera fait.
L'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait.
» Mais Sartre ajouteencore : « Il se rend compte qu'il ne peut rien être (au sens où on dit qu'on est spirituel, ou qu'on est méchant, ouqu'on est jaloux) sauf si les autres le reconnaissent comme tel.
Pour obtenir une vérité quelconque sur moi, il fautque je passe par l'autre.
»— Il me souvient d'avoir lu dans l'Enfance d'un chef, de Sartre, cette phrase qui définit donc une attitudeexistentialiste : « Le vrai Lucien, il le savait à présent, il fallait le chercher dans les yeux des autres.
»— Si je comprends bien sa pensée, dis-je, la petite fille qui se regarde dans une glace et se trouve belle, fait del'existentialisme, comme M.
Jourdain faisait de la prose.— Ne raillez point, reprit sérieusement Érostrate.
Toute conscience de notre existence suppose une sorte dedédoublement par lequel nous nous saisissons directement comme nous paraîtrions aux autres.
Dans le Mur, le hérosqui attend son exécution voit son cadavre, comme je voyais le mien tout à l'heure.
Il voit son corps avec ses yeux,il l'entend avec ses oreilles, mais comme s'il lui était devenu étranger.De même toute notre vie n'est que l'image que nous en laissons.
« Un homme s'engage dans sa vie, dessine safigure, et en dehors de cette figure il n'y a rien.
Évidemment cette pensée peut paraître dure à quelqu'un qui n'a pasréussi sa vie.
Mais d'autre part, elle dispose les gens à comprendre que seule compte la réalité, que les rêves, lesattentes, les espoirs permettent seulement de définir un homme comme rêve déçu, comme espoirs avortés, commeattentes inutiles; c'est-à-dire que cela les définit en négatif, non en positif.
»— Alors je comprends le sens de cette angoisse du héros de Huis-clos qui, étant mort, souffre de ne plus pouvoircesser d'être un lâche, de ne plus pouvoir modifier l'image que les autres se sont faite de son attitude.
Et ces deuxphrases prennent toute leur signification : « Tu n'es rien d'autre que ta vie.
L'enfer, c'est les autres.
»Érostrate me regardait en silence par-dessus ses lunettes, comme s'il hésitait à croire que j'eusse vraiment comprissa pensée.
Peut-être, comme au moment de mon arrivée, était-il absorbé par la contemplation de l'image qu'illaisserait de sa vie.
J'esquissai un mouvement comme si j'avais eu l'intention de me retirer.
Il me fit signe de ne pasbouger.— Voyez-vous ce que c'est que l'erreur de ceux qui définissent notre doctrine comme une doctrine du désespoir.Loin de là.
Si l'homme n'est pas naturellement bon, il n'est pas non plus naturellement mauvais ; il n'est rien d'abord.Il lui appartient de se faire bon ou mauvais.
Notre doctrine oppose à toute prédestination comme à toutdéterminisme l'affirmation de la liberté humaine.
Les hommes souhaitent trouver une excuse à leurs faiblesses, àleurs lâchetés, dans l'action du milieu, ou de l'hérédité, dans un déterminisme organique ou psychologique.
Les «salauds» de la Nausée se sont choisis comme tels; il ne dépendait que d'eux d'être lucides et, honnêtes.
Noussommes pleinement responsables, parce que nous sommes libres, et chacun de nos actes nous engage.
De là notreangoisse : car chacun de nos actes engage notre existence et nous ne pourrons plus empêcher que notre existencesoit ce que nous l'aurons faite.Je n'étais pas convaincu que l'homme fût pleinement libre et qu'il pût à n'importe quel instant faire n'importe quelchoix.
Mais je ne voulus pas soulever ce débat.
J'objectai seulement :.
»
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