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KANT et la causalité

Publié le 22/02/2012

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Le point de départ de Hume était essentiellement un unique, mais important concept métaphysique, à savoir la relation de cause à effet (et, par suite, les concepts qui en dépendent, de force, d'action, etc.); il sommait la raison, qui prétend l'avoir engendré dans son sein, de lui expliquer de quel droit elle pense qu'une chose puisse être de telle nature qu'une fois posée il s'ensuive nécessairement qu'une autre doive aussi être posée; car c'est là ce que dit le concept de cause. Il prouva de façon irréfutable qu'il est absolument impossible à la raison de penser a priori et au moyen de concepts une telle relation, car celle-ci renferme une nécessité; il n'est pas possible de concevoir comment, parce qu'une chose est, une autre serait aussi nécessairement et comment on peut donc a priori introduire le concept d'une telle relation. Il en concluait que la raison se faisait tout à fait illusion sur cette notion, la considérant à tort comme sa propre progéniture, alors qu'elle n'était qu'un bâtard de l'imagination qui, fécondée par l'expérience, a placé certaines relations sous la loi d'association, faisant passer la nécessité subjective qui en dérive, c'est-à-dire une habitude, pour une nécessité objective fondée sur la connaissance. Il en concluait que la raison ne possédait pas la faculté de penser de telles relations, même en général, parce qu'alors ses concepts ne seraient que de pures fictions; et que toutes ses prétendues notions a priori n'étaient que des expériences communes, faussement estampillées, ce qui revient à dire qu'il n'y a pas et qu'il ne saurait y avoir de métaphysique. Mais si précipitée et inexacte que fût la conclusion, elle se fondait cependant sur une enquête et celle-ci aurait bien mérité que les bons esprits du temps se fussent unis pour résoudre, si possible, avec plus de bonheur ce problème et dans le sens où il le proposait; il en serait résulté bientôt forcément une réforme radicale de la science. Mais le sort de tout temps défavorable à la métaphysique voulut que Hume ne fût compris de personne. On ne peut voir, sans en ressentir quelque peine, comment ses adversaires (...) manquèrent si complètement le point du problème. (...) Il ne s'agissait pas de savoir si le concept de cause était exact, pratique, indispensable pour toute la connaissance de la nature; cela Hume ne l'avait jamais mis en doute; mais s'il était conçu par la raison a priori et s'il possédait ainsi une vérité interne, indépendante de toute expérience, par suite une utilité plus étendue et non limitée aux seuls objets de l'expérience, c'est là-dessus que Hume attendait une communication. Il n'était question, en somme, que de l'origine de ce concept et non de son utilité indispensable. (...) Je l'avoue franchement : ce fut l'avertissement de David Hume qui interrompit d'abord, voilà bien des années, mon sommeil dogmatique et qui donna à mes recherches en philosophie spéculative une tout autre direction. Prolégomènes à toute métaphysique future qui pourra se présenter comme science (1783). Traduction Gibelin, Paris, Vrin, p. 10-13.
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« chose à une autre qui n'y est pas intrinsèquement contenue.

Kant exprime donc, dans son propre langage (celui dutribunal de la raison pure), la démarche de Hume : on somme la raison, on mène une enquête, on apporte la preuve, on dépose les conclusions; la question de l'origine des concepts est ainsi reliée à celle de la légitimité de l'usage des concepts. Le problème mis en place par Hume est en effet crucial : derrière l'expérience, il y a toujours la supposition de laconstance de l'expérience (le futur ressemblera au passé); comment le passé peut-il alors faire règle pour le futur ?En quoi sommes-nous assurés de la répétition de l'événement? Qu'est-ce qui nous garantit que notre attente nesera pas déçue ? Quel principe guide ici nos pas ? La réponse est simple en apparence : ce guide, c'estl'accoutumance (custom) ou l'habitude (habit), principe de la nature humaine universellement admis et bien connu par ses effets.

L'expérience de la conjonction constante de deux objets (par exemple, la flamme et la chaleur, laneige et le froid) nous engage à attendre, sous le poids de l'habitude, la chaleur ou le froid lorsque la flamme ou laneige se présente de nouveau à nos sens, et à croire à l'existence de cette qualité.

Cette opération est, selon Hume, inévitable; elle est une sorte d'« instinct naturel » qui ne dépend en aucune manière du raisonnement.

Lacroyance est, pour Hume, une manière de sentir (feeling) plus forte que celle qui accompagne d'ordinaire les simples fictions de l'imagination ; c'est une véritable conviction, et sa source est précisément la conjonction habituelle del'objet qui se présente à nous avec ce qui demeure présent à notre mémoire ou à nos sens.

Dans tous les cas, parune transition habituelle (association d'idées et d'impressions), nous passons d'un objet présent à l'idée d'un autreobjet que nous sommes accoutumés à joindre au premier.

Telle est donc l'opération générale de notre esprit danstout ce qui concerne les choses de fait et d'existence : l'habitude, l'accoutumance, est le principe général qui guidel'opération.

Le concept de causalité n'est donc pas la propre progéniture de la raison; elle n'est qu'un bâtard (c'est-à-dire un enfant illégitime) de l'imagination, dans la mesure où l'expérience de la conjonction fréquente de deux objets ne peut en aucun cas faire accéder légitimement à l'idée d'une connexion nécessaire entre eux. Le lien entre les événements est factuel (même s'il se répète indéfiniment, même si nous sommes convaincusque la flamme brûle et que la neige refroidit), mais jamais on ne saurait affirmer qu'il est nécessaire (il n'y a pascontradiction à concevoir que la nature puisse changer son cours et déconcerter ainsi notre attente).

La seuleorigine de l'idée de connexion nécessaire réside dans l'habitude qui, forgée au fil de la répétition de laconjonction de deux événements, suscite le sentiment d'une liaison coutumière.

Mais cette connexion estsubjective : la nécessité n'existe que dans l'esprit, nullement dans les objets.

Autrement dit, le mécanisme esthors raison, et ce que la métaphysique présente comme concepts a priori relève en réalité d'une série d'expériences sur lesquelles on a collé de fausses étiquettes.

Il y a donc erreur sur l'origine de la marchandiseet il est illégitime de se représenter la prétendue nécessité de la relation de cause à effet uniquement parconcepts et sans aucun recours à l'expérience. 3.

Dans ce texte, l'accord de Kant avec Hume va assez loin.

Tout d'abord, la preuve est considérée comme irréfutable : en termes kantiens, on pourrait dire que la cause ne relève pas d'une simple relation logique deprincipe à conséquence, que tout ce qui concerne les faits, l'existence ne se découvre pas dans l'inhérenced'un prédicat à un sujet, que donc la relation de cause à effet ne dépend pas d'un jugement de typeanalytique qui est simplement explicatif et n'ajoute rien au contenu de la connaissance (dire, par exemple, que tous les corps sont étendus, c'est seulement expliciter le concept de corps, car il y aurait contradiction àconcevoir un corps qui n'occuperait pas un espace).

En revanche, lorsqu'un concept est donné et qu'onprétend le dépasser en y rattachant un autre concept qui n'y est en aucune manière contenu, on pose laquestion de la possibilité d'une connaissance synthétique a priori, qui est, aux yeux de Kant, la question de la possibilité même de la métaphysique, mais question que Hume, en dépit de ses conclusions erronées, aurait sumettre au jour. Ensuite, la première conclusion (la raison se fait illusion sur la notion de causalité) peut, en la prenant telle qu'elle est énoncée et sans préjuger une fois encore des critiques que Kant portera sur les conclusions deHume, être reliée à l'idée kantienne d'une dialectique transcendantale, précisément définie comme ladénonciation de l'illusion (toutefois inévitable) que sécrète la raison dès qu'elle estime pouvoir connaître quelque chose au-delà de l'expérience possible.

Enfin, même la seconde conclusion (la raison n'a pas la faculté de penser de telles relations, même en général, parce qu'alors ses concepts seraient de pures fictions) n'estpas sans évoquer, moyennant les aménagements nécessaires, l'idée que les concepts purs de l'entendement(les catégories) sont irrémédiablement vides tant que ne leur correspond pas une intuition empirique (dansl'espace et dans le temps) qui renvoie à une expérience possible. En revanche, le désaccord, qui concerne les conclusions, n'a pas à faire ici l'objet d'un relevé minutieux; la seule indication sur laquelle on puisse se fonder est donnée dès le début du texte (un unique, mais important concept...) : Hume, précisément, ne s'est attaché qu'au concept de causalité, alors que, parexemple, le principe de la permanence de la substance anticipe lui aussi l'expérience.

Il aurait donc dûgénéraliser la question en y incluant en particulier les propositions de la mathématique pure (qui sont,elles aussi, synthétiques a priori et non pas analytiques comme il le pensait). Répétons-le : avant de relever le défi humien, le propos de Kant est d'en souligner le caractère essentielet, donc, d'en prendre la défense face aux lectures fautives ou mal intentionnées.

L'argument dutroisième alinéa joue sur les notions d'origine et d'utilité : parce que Hume interroge l'origine du concept de causalité, les lecteurs auraient compris (ou voulu faire semblant de comprendre) qu'il en niait l'utilité. 4.. »

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