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Karl Heinrich MARX et l'aliénation

Publié le 07/04/2005

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L'aliénation n'apparaît pas seulement dans le résultat, mais aussi dans l'acte même de la production, à l'intérieur de l'activité productive elle-même. Comment l'ouvrier ne serait-il pas étranger au produit de son activité si, dans l'acte même de la production, il ne devenait étranger à lui-même ? D'abord, le travail est extérieur au travailleur, il n'appartient pas à son être : dans son travail, l'ouvrier ne s'affirme pas, mais il se nie ; il ne s'y sent pas à l'aise, mais malheureux ; il n'y déploie pas une libre activité physique et intellectuelle, mais mortifie son corps et ruine son esprit. En conséquence, l'ouvrier se sent auprès de soi-même seulement en dehors du travail ; dans le travail, il se sent extérieur à soi-même. Il est lui-même quand il ne travaille pas et, quand il travaille, il ne se sent pas dans son propre élément. Son travail n'est pas volontaire, mais contraint, travail forcé. Il n'est donc pas la satisfaction d'un besoin, mais seulement un moyen de satisfaire des besoins en dehors du travail. Le caractère étranger du travail apparaît nettement dans le fait que, dès qu'il n'existe pas de contrainte physique ou autre, le travail est fui comme la peste. Le travail extériorisé, le travail dans lequel l'homme devient extérieur à lui-même est sacrifice de soi, mortification. Karl Heinrich MARX (1818-1883)

Dans une civilisation où la programmation et l'organisation des loisirs sont devenues l'objet d'une véritable industrie, il est assez banal d'opposer travail et repos, d'insister sur la nécessité d'une « régénération « de la force de travail. Ce qui l'est moins, par contre, c'est de cesser de penser le loisir comme le résidu de l'activité productive obligée, comme ce qui n'a de sens que par rapport au travail. De ce point de vue se développe aujourd'hui une réflexion salutaire qui n'implique pas un rejet de tout travail, mais correspond à une volonté de questionner et de problématiser l'utilisation sociale du « progrès «, dans la mesure où celle-ci conduit à un paradoxe qui ne semble pas faire assez scandale : l'aliénation du travail, c'est-à-dire en bref le processus concret qui rend les hommes « étrangers « à eux-mêmes (alienus). Ne faut-il pas reprendre et approfondir une analyse déjà entreprise par Marx concernant cette aliénation ? La fortune du terme même dans la sociologie moderne (cf G.P. Friedmann) justifierait à elle seule que l'on « revienne aux sources « pour étudier et évaluer, à travers son fonctionnement dans le texte proposé, la portée des analyses qui le sous-tendent.

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« de référence (l'homme non aliéné) au nom duquel une situation concrète est jugée, évaluée, dénoncée.

En ce sens,la problématique qui anime le texte semble encore très proche des problématiques traditionnelles, qui posent uneessence humaine indépendante de l'histoire.

L'extrait proposé est d'ailleurs tiré des Manuscrits de 1844, oeuvre dejeunesse de Marx, où l'influence du philosophe Feuerbach est encore très fortement présente : l'homme y est pensé,indépendamment de ses conditions concrètes d'existence individuelle, comme un « être générique », c'est-à-diresaisi sous l'angle de déterminations universelles, appartenant au « genre » (voir Manuscrits de 1844, premiermanuscrit, Éd.

sociales, p.

61.).

Or, c'est le contenu précis de ces déterminations qui fait problème, dès qu'on serefuse à aborder la réalité sans « idées préconçues », (cf.

Marx, L'Idéologie allemande, première partie).

L'essencede l'homme est-elle prédéfinie, et opposable de ce fait à l'existence concrète ? Si l'on répond par la négative, leconcept même de travail aliéné perd sa substance philosophique.

Pour définir ce qui est « étranger » (alienus), ilfaut avoir au préalable la notion de ce qui est « propre », inhérent à l'identité d'un être.

Or cette notion reste, pourla réalité humaine, une donnée hypothétique.

Cette difficulté n'échappe pas à Marx, qui définit dans les Manuscritsde 1844 l'essence de l'homme comme une « activité vitale » et non comme un ensemble d'attributs précis.l'aliénation n'est pas autre chose que l'inversion caractérisée par laquelle l'essence devient simple moyen del'existence (travailler pour survivre) au lieu de se déployer en une libre manifestation d'elle-même.

(voir Manuscritsde 1844, édition citée, p.

63 : « Le travail aliéné renverse le rapport de telle façon que l'homme, du fait qu'il est unêtre conscient, ne fait précisément de son activité vitale, de son essence, qu'un moyen de son existence.

») Unetelle problématique assujettit l'explication dé la réalité à une abstraction, et elle sera abandonnée deux ans plus tardpar Marx, qui écrira notamment, dans la sixième Thèse sur Feuerbach déjà citée (cf plus haut la rubrique Nature etculture) : « L'essence humaine n'est pas une abstraction inhérente à l'individu isolé.

Dans sa réalité, elle estl'ensemble des rapports sociaux.

»Ce que Marx vise en fait, c'est le rapport d'exploitation qui conduit à l'antinomie du travail (appropriation effectivede la matière brute) et des rapports de propriété, socialement définis, au sein desquels s'organise la production.Mais il faut attendre la conceptualisation du Capital pour élucider l'exploitation sur le plan de son fonctionnementéconomique, de ses conditions effectives.

La thématique de l'aliénation cédera alors la place à une étudeméthodique de l'achat de la force de travail de l'ouvrier, et de la production de plus-value dans le cadre desrapports d'exploitation qui sont rendus possibles par une certaine distribution initiale des biens et des richesses (l'«homme aux écus », c'est-à-dire le capitaliste détenteur des moyens de production, et le « prolétaire », qui n'a queses bras pour travailler, constituant les deux termes fondamentaux de l'« échange » initial).

Il reste que le texteproposé pourrait, du point de vue de la sociologie moderne, recevoir un certain nombre d'approfondissements,concernant plus précisément la caractérisation du travail dans le cadre du développement des techniques deproduction.

Depuis l'avènement du taylorisme et du travail à la chaîne, les sociologues ont fait porter leurs analysessur ce qu'on appelle habituellement la « déshumanisation du travail ».

Morcelé, coupé de toute saisie d'ensemble del'activité productive, le travail en miettes que décrit G.P.

Friedmann est lourd de conséquences pour le producteurlui-même (cf Charlie Chaplin, Les Temps modernes).

La lutte des travailleurs pour une émancipation sociale nesemble plus séparable des revendications « qualitatives » concernant la nature même de l'activité productrice.

Lerêve collectif d'une économie d'abondance où toutes les tâches pénibles seraient automatisées, transférées del'homme à la machine, ne résorbe pas le problème des finalités de la production et du mode de développementéconomique ; il ne peut de plus exprimer qu'une tendance, une aspiration, dont la réalisation totale reste uneéchéance lointaine.

Pas plus que l'impossible recherche d'une libération individuelle dans une adhésion « provisoire »à la logique infernale du salariat (cf le roman de Roger Vailland 325 000 Francs), le stakhanovisme comme apologiedu travail « socialiste » ne représente un « moyen » effectif d'émancipation.

Dans un cas comme dans l'autre, lemoyen posé pour la suppression de l'aliénation est le renforcement de celle-ci ; singulier paradoxe qui asservit leprésent à l'avenir, tout en supposant que le « prix humain » payé laissera l'être intact, en pleine possession de lui-même.

Le héros de Vailland finit mutilé ; Stakhanov se désiste pour l'avenir, et son volontarisme le fait vivre parprocuration.

La problématique de l'aliénation a ceci d'important qu'elle souligne les conséquences humaines,immédiates, de l'exploitation, qu'elle en fait une donnée irréductible, dénonçant par avance toutes les mythologiesdu sacrifice ou du « renoncement provisoire », dont on sait ce qu'elles peuvent recouvrir dans certainescirconstances historiques. Conclusion En fin de compte, alléger le travail, lui redonner un sens et un intérêt, bref, l'« humaniser », relèvent semble-t-ild'une triple condition : un développement maîtrisé des sciences et des techniques, une régulation socialement justede l'économie, et une définition appropriée du mode de développement.

Ces trois aspects s'impliquentréciproquement et signifient tout simplement que le travail restera « aliéné » tant qu'il sera assujetti auproductivisme « anarchique » des « sociétés de consommation », à l'inégalité génératrice d'exploitation, à la logiqueeffrénée du profit capitaliste.. »

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