Devoir de Philosophie

LA CANONIQUE EPICURIENNE

Publié le 18/03/2011

Extrait du document

     La canonique est la justification de la méthode que nous n'avons cessé de suivre dans la physique. Tous les objets dont nous avons successivement défini la nature, les atomes impérissables, l'univers infini, l'âme, les dieux, sont hors de la portée des sens; les principes des choses sont, comme le disait Démocrite, au fond d'un abîme ; ils ne font pas partie, explique Épicure, de ce qui nous est donné, mais de ce qui nous est caché. Au sujet de cet inconnu, qui nous enveloppe de son obscurité, nous ne pouvons nous empêcher de faire des conjectures. Mais le tort commun de ceux qui ne pratiquent pas la méthode d'Épicure est de regarder ces conjectures, quelles qu'elles soient, comme plus certaines que ce qui, étant donné aux sens, est connu avec évidence. Au lieu de conformer à ce qui est connu leurs hypothèses sur l'inconnu, ils entreprennent de contraindre la réalité donnée à se modeler sur l'inconnu tel qu'ils se hâtent de le concevoir. Ils procèdent à priori, et s'obstinent à déduire, alors que la méthode véritable est au contraire d'induire et de procéder à posteriori. C'est du connu qu'il faut aller à l'inconnu; c'est en partant de ce que les sens font saisir avec évidence qu'il faut conjecturer ce qui, par nature, leur reste caché. La méthode expérimentale doit être la méthode de ce qu'Epicure appelle physique, de ce qui, aujourd'hui, recevrait le nom de métaphysique.

« Il n'y a donc point d'idées pures; toutes nos idées naissent des sensations et se réduisent à des sensations: elles seproduisent par contiguïté et par ressemblance : la raison n'ajoute rien au contenu de la pensée ; elle ne fait quecombiner les données des sens. Maintenant qu'il est établi que la raison n'est pas une source originale de connaissances, mais dérive de lasensation, recherchons comment celle-ci se produit. Nature de la sensation.

— Ce qui a fait méconnaître aux philosophes la véritable origine de la sensation, c'est qu'ilsont commencé par étudier la vue ou l'ouïe, au lieu de porter leur attention d'abord sur le sens du toucher, dont lefonctionnement est plus aisé à expliquer.

Entre l'objet vu et l'œil qui voit il n'y a, semble-t-il, aucun intermédiaire, demême qu'entre l'origine du son et l'oreille qui entend.

Alors la sensation paraît être une action à distance, le résultatd'une sorte d'attrait, de sympathie entre le sujet qui sent et l'objet senti.

Tout mystère se dissipe, pour quicomprend que le sens type est le toucher.

Lorsqu'une sensation tactile naît en nous, c'est qu'un corps extérieur aunôtre fait impression sur une partie quelconque de notre peau.

Il n'y a ici aucune action à distance, aucunesympathie mystérieuse.

Un ébranlement s'est propagé, par contact direct, du corps touché dans le corps quitouche» Si ce dernier était inanimé, la sensation ne se produirait pas : il faut, pour qu'elle se produise, que le chocse transmette des parties grossières du corps aux corpuscules plus fins de l'âme, disséminés dans toute la masse ducorps, et que ceux-ci le communiquent à la partie la plus subtile de l'âme concentrée dans le cœur.

La sensationrésulte donc d'un ébranlement déterminé dans l'organisme vivant par un choc extérieur. On ne peut douter que ce soit ainsi que procède le toucher.

C'est sur ce modèle simple qu'il faut se représenter lefonctionnement des autres sens. Quand nous odorons, voyons, ou entendons, aucun intermédiaire n'apparaît entre l'objet senti et l'organe du sens.N'hésitons pas à affirmer qu'il en existe.

Il y a des particules qui s'échappent des corps odorants, et qui, disséminéesde toutes parts dans l'atmosphère, viennent faire impression sur la paroi interne du nez.

Il y a des pelliculesextrêmement minces, qui se détachent sans cesse des objets visibles, et qui se dispersent au loin avec des vitessesinimaginables; ce sont ces pellicules qui, venant frapper sans relâche la partie sensible de l'œil, déterminent en nousles sensations de couleur, de forme et de distance.

Il y a de même des particules de son qui s'échappent des corpsfrappés, et qui, à travers tous les obstacles, à travers même les corps solides, cheminent jusqu'à notre oreille oùelles font impression.

Tous les sens sont donc des variétés du toucher ; et toutes les sensations, si diverses qu'ellessoient, sont dues t des contacts. Ne sourions pas de ces particules de son et de ces pellicules que notre philosophe, par une induction hardie, faitcheminer à travers l'espace.

Sans doute il ignorait que le son n'est pas un corps, mais un mouvement vibratoire desmolécules des corps.

Il ignorait de même la vraie nature de la lumière, ou plutôt ce que nous regardons comme lavraie nature de la lumière.

Il ne savait pas que ce qui se propage entre l'objet vu et notre rétine, quand nousvoyons une couleur, n'est rien de pondérable, n'est pas, par suite, une partie du corps lui-même, et que par làdiffèrent la vision et l'olfaction : il n'avait point nos idées sur l'éther et ses vibrations.

Mais plus est manifestel'ignorance de ce Grec du IIIe siècle avant notre ère, plus ressort le mérite qu'il a eu d'affirmer que toute sensationrésulte d'un contact, et que si rien dans le milieu extérieur ne se propageait de l'objet senti au sujet sentant,aucune sensation ne naîtrait en nous.

En ce qui concerne l'olfaction, les vues d'Épicure se sont trouvéesexactement vérifiées.

En ce qui concerne l'audition et la vision, nous n'admettons plus que ces opérations soientdues à un transport de matière; ce qui, selon nous, se transmet, ce ne sont point des corps, si subtils qu'on lesimagine, c'est un mouvement qui va de particule en particule.

Mais si la science a raffiné la conception duphilosophe, elle n'en a point rejeté l'essentiel. Résultant toujours d'une rencontre, d'un contact immédiat, la sensation, cette première connaissance, n'est àaucun degré notre œuvre, le résultat de notre initiative.

Elle est déterminée dans notre âme par l'objet connu lui-même.

Quand elle pénètre en nous à la suite de l'impression, notre passivité est entière ; nous n'évoquons aucunsouvenir, nous ne formons aucune hypothèse, nous ne faisons aucun raisonnement.

La sensation est une penséesimple, élémentaire, elle est comme un atome de pensée. Gomme l'âme ne participe en rien à la confection de cette pensée, qui est l'œuvre de l'objet même, en tant qu'ellesent, elle ne saurait rien ajouter à ce qu'elle éprouve, ni rien en retrancher.

Passive comme la cire molle, l'âme quisent ne peut que se mouler exactement sur le corps qui laisse son empreinte en elle.

La sensation ne peut aller ni audelà, ni en deçà de l'objet senti.

Elle ne peut être trompeuse.

Il n'y a donc pas d'erreurs des sens. Avec une audace tranquille, au milieu du peuple de sophistes, de sceptiques, de dialecticiens qui remplissaient lesécoles philosophiques de la Grèce, Épicure soutient que toutes les sensations sont vraies. Toutes les sensations sont vraies ! Quelle affirmation scandaleuse ! La marque de la vérité est la non-contradiction.Or, les sensations ne se contre-disent-elles point sans cesse? Elles se contredisent d'un homme à l'autre, puisque levin qui paraît doux à celui-ci est senti comme amer par celui-là; elles se contredisent d'un sens à l'autre, puisque lebâton plongé dans l'eau, qui est droit pour le toucher, est courbé pour la vue ; elles se contredisent enfin pour lemême sens, puisque la tour qui paraît ronde à distance, de près apparaît carrée.

Qu'un sophiste comme Protagorassoutienne la thèse que savoir est sentir, on le comprend, parce qu'au fond, comme tous les sophistes, Protagorasest persuadé qu'il n'y a pas de science, qu'il n'y a pas de vérité.

Mais qu'un dogmatique comme Épicure, qu'un. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles