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La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale

Publié le 22/03/2015

Extrait du document

« Nous qui n'avons pas seulement un héritage spirituel, mais qui encore ne sommes de part en part rien d'autre que de (tels) "devenus" dans l'histoire de l'esprit, nous avons ainsi et ainsi seulement une tâche à accomplir qui nous soit véritablement propre. Nous ne la gagnons pas par la critique de n'importe quel système actuel ou transmis par une tradition déjà ancienne, par la critique d'une "vision du monde" scientifique ou pré-scientifique — et pourquoi pas à

la fin d'une vision du monde chinoise ?         mais nous y parvenons seulement à partir d'une compréhension critique de l'unité d'ensemble de l'histoire, de notre histoire. Car celle-ci possède une unité spirituelle, tirée de l'unité et de la puissance instinctive d'une tâche qui veut s'accomplir dans le devenir historique (dans la pensée de ceux qui philosophent les uns pour les autres, et supra-temporellement les uns avec les autres), à travers les divers degrés de la non-clarté jusqu'à une clarté suffisante, jusqu'à son élaboration finale dans la totale transparence. Alors notre histoire ne se dresse pas seulement devant nous comme quelque chose qui est par soi-même nécessaire, mais comme quelque chose qui, à nous philosophes d'aujourd'hui, nous est confié. Nous sommes en effet précisément ce que nous sommes en tant que fonctionnaires de l'humanité philosophique moderne [...]

Une telle façon d'éclairer l'histoire par une question en retour sur la fondation originelle des buts qui lient la chaîne des générations à venir dans la mesure où ils continuent leur vie en elles sous des formes sédimentées, mais qui en même temps peuvent toujours être réveillées et être rendus de nouveau à la vie par la critique [...] n'est rien d'autre que l'auto-méditation authentique du philosophe. «

Edmund Husserl,

 

La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, 1935-36, trad. G. Granel, Gallimard, 1976, p. 82-83.

« Textes commentés Le point de départ de cette définition de la tâche philosophique actuelle comme « question en retour » est le constat d'une crise des sciences européennes, c'est-à-dire de la raison.

Sans remettre en cause la rigueur propre à ces sciences -il a d'abord été mathématicien -, Husserl relie directement la réduction positiviste de l'idéal de rationalité et de scientificité à la fameuse crise éthique des valeurs.

Cet extrait part du constat que nous sommes d'abord des héritiers, c'est­ à-dire que notre héritage ne vient pas s'ajouter de l'extérieur et après coup à notre être, mais le constitue.

Or, comme tout héritage, celui-ci demande à ce que nous nous l'approprions ; et dans la mesure où cet héritage est spirituel, son appropriation passe par une interrogation critique destinée -précise la fin du texte - à tirer de sa léthargie une vie enfouie sous les couches d'une sédimentation traditionnelle (et on pourrait penser cette « auto-méditation du philosophe » comme une nouvelle compréhension du célèbre précepte « connais-toi toi­ même » ).

Husserl précise en second lieu la nature de cet héritage et de la tâche qui en résulte : De quelle histoire sommes nous les héritiers ? et A quoi devons-nous appliquer notre critique ? Il faudrait reconnaître dans l'histoire non pas une multiplicité de systèmes ou de visions du monde particuliers, mais une unique puissance spirituelle qui cherche son accomplissement, dont nous sommes aussi responsables ou qu'il nous incombe de servir en tant que « fonctionnaires ».

Mais -ce que ne dit pas ce texte -de quelle nature est cette puissance ? Husserl cherche à montrer que l'essence ou l'esprit de l'humanité européenne, son telos, c'est-à-dire ce à quoi elle aspire et ce qui a donc orienté son histoire, est un idéal de rationalité dont la dimension est aussi éthique, et qui, né en Grèce, s'est perdu, lorsque cette rationalité s'est vue réduire au calcul.

De ce point de vue, l'idéal galiléen d'une mathématisation de la nature représente un tournant majeur de cet obscurcissement.

On remarquera qu'une telle conception de l'histoire échappe à l'alternative entre le scepticisme auquel conduit naturellement le relativisme historique et une métaphysique de l'histoire comme celle de Hegel ; ici, l'unité spirituelle et téléologique de l'histoire est pensée comme une tâche qui incombe à l'Europe.

Mais si cette unité a le statut d'une Idée en un sens kantien, on ne trouve pas chez Kant une telle compréhension du temps historique en tant que tradition et héritage.

45. »

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