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« La culture est-elle une garantie contre la violence ? »

Publié le 16/08/2012

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Un chrétien croisé du XIIe siècle autant qu’un kamikaze musulman d’aujourd’hui tuent et risquent leur vie au nom de valeurs culturelles qui reposent sur un oubli de la commune appartenance à l’espèce humaine, qui est d’abord commun partage d’un dénuement initial. Voilà pourquoi les enseignements du livre de Robert Antelme, justement intitulé L’espèce humaine, demeurent aussi actuels malgré leur ancrage historique dans une période donnée, celle de l’Allemagne nazie et des camps de concentration. D’une façon différente, il rejoint les leçons de Socrate ou de Freud (et de bien d’autres), selon lesquelles la culture ne vaut que si elle humanise, et qu’elle n’humanise que si elle nous conduit à découvrir nos limites les plus radicales et à les assumer plutôt qu’à s’en distraire. Telle est aussi la position d’Adorno, lorsque dans la Dialectique négative il revient sur son affirmation antérieure selon laquelle « écrire des poèmes après Auschwitz est barbare « : il convient au contraire, reconnaît-il, que la souffrance ait la possibilité de s’exprimer et de s’objectiver, qu’elle ne soit pas hypocritement masquée par les apparences d’une fausse culture. Ce dernier nous révèle d’ailleurs combien nous sortons difficilement de la dialectique entre culture et barbarie.

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« Par ailleurs, nous pouvons considérer que le développement d'une culture générale diversifiée au sein d'un peuple peut également endiguer la violence.

Tel était parexemple le projet des Encyclopédistes français, à l'instar de Diderot et d'Alembert : diffuser la culture scientifique, technique et artistique afin de promouvoirl'intelligence et la démocratie au sein du peuple français.

Mais la culture peut également renvoyer à des règles instituées, telles les lois dans le système juridique oudes principes d'imposition dans le domaine fiscal.

Grâce à un travail de réflexion philosophique et politique (séparation des pouvoirs chez Montesquieu, recherche del'intérêt général chez Rousseau,…), ces règles devraient s'approcher d'un idéal démocratique et entrer au service de tous, sans privilèges ni injustice, donc a priorisans violence.

Pourtant, dès lors que les gouvernants tournent ces règles à leur profit, leur imposition peut en définitive s'avérer violente, et ce d'autant plus que lerégime politique s'éloigne du modèle démocratique. A différents niveaux, par conséquent, la culture peut devenir instrument de pouvoir et de domination, ou encore servir de prétexte à l'expansion d'une forceimpérialiste.

Elle peut également diviser les classes sociales ou les sociétés… Au Corrigé du sujet « la culture est-elle une garantie contre la violence ? » -- page 3/ 5 point que nous en venons à nous demander si elle n'est pas finalement responsable des tensions et des conflits.

Ne conduit-elle pas elle-même à générer de la violence? Comment comprendre cette dynamique qui semble pourtant opposée à sa finalité première ? Il convient peut-être avant tout de ne pas avoir une approche tropidéaliste de la culture.

Si en son sens général elle renvoie à l'ensemble des procédures permettant la survie de l'espèce humaine, elle ne doit pas nous faire oublier quel'homme se civilise avant tout par le travail, dont dépend la survie de chacun.

L'étymologie de culture, « colere » en latin, réfère ce terme à l'agriculture, au soinapporté à la production vivrière.

Or, dès que nous considérons des civilisations complexes, comme l'Egypte des pharaons ou la Grèce antique, nous constatons, d'unepart, une assez forte division du travail et, d'autre part, une nette hiérarchisation entre ceux qui se consacrent au travail productif (des esclaves majoritairement) etceux qui œuvrent dans la sphère de la culture intellectuelle et spirituelle (les classes dirigeantes et le clergé).

Effets du processus culturel de l'humanité, ces divisionsne sont-elles pas responsables de violences spécifiquement humaines ? D'une certaine manière, ce problème est posé par Rousseau au début de la deuxième partie duDiscours sur l'origine et les fondements de l'inégalité : par la propriété et la concurrence, les inégalités sociales s'instaurent entre les hommes et rompent l'égalité deprincipe inhérente à la condition humaine.

Non seulement les fruits de la culture ne sont pas distribués équitablement entre les hommes, mais les dispositifsjuridiques, les théories religieuses, les œuvres d'art et les pensées philosophiques occultent ou justifient un état de fait arbitraire et injuste, ajoute Marx dansL'idéologie allemande, dénonçant une certaine forme d'hypocrisie des processus culturels, diagnostiquée également par Rousseau un siècle auparavant.

A l'échelleinternationale, une mauvaise foi comparable apparaît également à propos de l'impérialisme colonial ou des conflits inter-ethniques.

Il convient néanmoins d'êtreprudent.

Dans quelle mesure la culture en tant que telle fut-elle directement responsable de conflits violents entre les peuples ? N'a-t-elle pas le plus souvent servi deprétexte ? A moins que les différences culturelles ne soient réellement un obstacle à l'entente entre les peuples ? La question de la colonisation mérite une approchecomplexe.

C'est d'abord la supériorité technique et militaire des européens qui leur a permis de se déployer à l'échelle du globe, avec une violence parfois extrême,que ce soit par le biais de l'esclavage (la « traite des Noirs » en direction du Nouveau monde commence au début du XVIème siècle et s'intensifie dans la secondemoitié du XVIIème) ou par l'élimination des autochtones en particulier sur le continent américain (les « Indiens »).

Cette « élimination » fut d'ailleurs conduite defaçon parfois très « élaborée » sur le plan culturel : dans certains passages de son ouvrage De la démocratie en Amérique, Tocqueville montre à quel point lesAméricains du nord ont employé des stratégies juridiques, des mensonges politiques et la manipulation psychologique pour faire fuir les autochtones et les parquer ensuite dans des réserves.

Rétrospectivement, la grande épopée racontée par les westerns hollywoodiens a d'ailleurs eu tendance àocculter cette dimension fondamentale de l'origine des Etats-Unis ; la culture cinématographique construisit alors une sorte de mythe refoulant hors de la consciencedes Nord-Américains la violence avec laquelle ils s'étaient approprié la Terre promise.

Pourtant, comme le suggère d'ailleurs cette dernière expression (Terrepromise), la motivation religieuse n'était pas pour rien dans la colonisation des Etats-Unis.

La culture chrétienne a donc fourni aux premiers immigrants une cautionsupplémentaire dans leur entreprise.

Quant au sud du continent, son partage entre Espagnols et Portugais, scellé dès 1494 avec le traité de Tordesillas, fut cautionnépar le Pape Jules II en 1506.

La culture, dans sa dimension de connaissances et de valeurs acquises au sein d'un peuple ne cesse pourtant de jouer un rôle équivoqueet complexe.

Lors de la Controverse de Valladolid, en 1550, portant sur la question de l'appartenance des Indiens à l'humanité, Sepùlveda utilise la philosophie pournier leur humanité, tandis que Bartolomé de Las Casas, prêtre dominicain, défend leur humanité.

Aucun des deux cependant ne s'extrait d'une approcheethnocentrique, puisque tous deux s'accordent sur l'hégémonie d'une vision chrétienne du monde.

Difficile dès lors de distinguer le rôle joué par la culture au sensrestreint (culture d'un peuple, ensemble des connaissances et valeurs qui le constituent) et celui d'autres dimensions : mercantile, territoriale, politique, stratégique,etc.

Or, des ambiguïtés comparables sont à l'œuvre au sein de chaque société.

A tel point que l'on pourrait se demander si les différences culturelles au sein d'unmême peuple ne constituent pas aussi des facteurs de violence et de discrimination entre les individus.

Lorsque le sociologue Pierre Bourdieu a étudié la manière dontfonctionnait le système scolaire français au cours des années 1960, notamment dans Les Héritiers et La Reproduction, il a démontré à quel point les capacitésculturelles de la famille d'origine, son « capital culturel » (parfois distinct du capital financier, notamment pour les enfants d'enseignants ou d'employés du tertiaire),jouaient un rôle discriminant dans la réussite scolaire.

Une partie des compétences sanctionnées par l'Ecole étaient en effet celles-là même qui étaient valorisées dansces familles de catégories sociales moyenne et supérieure, tandis que les élèves issus de milieux plus modestes rencontraient de grandes difficultés pour les acquérir(et donc accéder à la promotion sociale).

Les débats actuels sur l'Ecole et la mixité sociale continuent d'ailleurs à être alimentés par des analyses critiquescomparables : une certaine violence symbolique s'instaure, par le biais même de la culture.

Pourtant, la culture permet aussi d'accéder à une certaine promotionsociale, comme le souligne Hannah Arendt dans la Crise de la culture ; et même si elle conteste un usage trop utilitariste des connaissances et des œuvres d'art, ellecontinue de partager avec les penseurs des Lumières cette exigence d'une culture pour tous, favorable à la vie démocratique et à l'épanouissement de l'individu.

La Corrigé du sujet « la culture est-elle une garantie contre la violence ? » -- page 4/ 5 culture peut donc aussi bien jouer un rôle discriminant et fonctionner comme une violence symbolique à l'égard de ceux qu'elle exclut, qu'un rôle inverse par lequelelle transcende les différences et les particularités pour ouvrir à l'universel. A quelles conditions peut-elle alors faire obstacle à la violence, y compris à celle qu'elle est capable de générer ? Ne pas la considérer comme une « garantie », n'est-ce pas déjà limiter les risques qu'elle alimente un processus de violence et d'injustice ? Instrumentalisée, utilisée comme instrument de pouvoir, de distinction socialeou même de mérite personnel, la culture devient une arme utilisée arbitrairement ; d'une manière ou d'une autre elle engendre alors des effets de violence, qu'ils soientphysiques ou plus fréquemment sociaux et symboliques (le matériel et le spirituel n'étant d'ailleurs pas complètement dissociables).

Hannah Arendt a donc raison,nous semble-t-il, lorsqu'elle s'insurge contre son usage utilitariste dans le cadre de la culture de masse.

Comment sortir néanmoins d'une approche utilitariste, et toutparticulièrement dans le contexte de la société de consommation et de la culture de masse ? Une culture lucide et responsable, visant à s'affranchir de la violence,exige peut-être avant tout une réflexion sur son sens (sa signification) et sa portée.

En resituant la culture contemporaine dans le cadre d'une crise de la tradition (« lefil de la tradition est rompu ») et nous nous incitant à entretenir avec les œuvres du passé une relation libre et ouverte, elle ouvre la possibilité d'un rapportdémocratique et partagé aux œuvres du patrimoine culturel de l'humanité.

En utilisant la réflexion de Kant dans la Critique de la faculté de juger, elle montrenotamment comment peut s'établir un parallèle instructif entre le jugement de goût (esthétique) et le jugement politique.

Par le dialogue autour d'une œuvre d'art,chacun à la fois exerce sa liberté d'expression et est amené à entendre les arguments d'autrui ; à terme peut se forger un horizon d'universalité : même si chacun n'estpas exactement d'accord ni n'apprécie toujours l'œuvre en question, elle peut apparaître comme une référence partagée dont un jour, peut-être, l'intérêt et l'importanceseront saisis par tous.

De même en politique, les grands projets ne mettent pas tous les participants d'accord (à propos de l'environnement, de la répartition desrichesses, de l'immigration, etc.) ; néanmoins, ce qui fonde la démocratie, et son souci de limiter au maximum la violence (l'usage arbitraire de la force et les. »

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