Devoir de Philosophie

La durée et la mémoire

Publié le 09/01/2020

Extrait du document

L'ÉNIGME DE LA SUCCESSION ET LA MÉMOIRE

Un tel flux mérite bien le nom de durée puisqu'il naît de l'interpénétration des trois moments du temps : le passé se prolonge dans le présent et le présent s'enfle déjà des possibles que lui ouvre l'avenir. Le philosophe français Bergson consacre à la durée de très profondes analyses en la définissant comme « la masse fluide de notre existence psychologique tout entière », c'est-à-dire la manière dont les états psychiques se succèdent en se fondant les uns dans les autres. Cette fusion, cette « zone mobile » de devenir forme le tissu même de la temporalité. Bergson va opposer ce temps originaire de la durée au temps mathématique, objectif, mesurable, temps recomposé par notre intelligence pour les besoins de son action. Pour Bergson, il est clair que « la durée vécue par notre conscience est une durée au rythme déterminé, bien différente du temps dont parle le physicien ». Mais quel physicien ? Il faut bien voir que, dans la première moitié du XXe siècle, un bouleversement intervient dans la conception scientifique du temps. La physique galiléenne, qui présuppose un ordre déterminé entre cause et effet, est en effet remise en question par la théorie einsteinienne de la relativité, telle que nous en parle ici le physicien Heisenberg (texte 6). Certes, la physique classique a toujours affirmé la réversibilité des processus physiques, mais elle tient toutefois pour assuré l'ordre strict de détermination causale. Désormais, le temps ne pourrait plus accompagner en son ordre l'ordre même du déterminisme.

C'est donc tout à la fois la philosophie et la physique du XXe siècle qui remettent en cause un temps physique conçu comme une succession d’instants homogènes, c'est-à-dire de même nature, identiques, superposables et substituables les uns aux autres.

Pour nous en tenir à la philosophie, insistons sur le fait qu'ainsi définis, ces instants sont quantifiables. Pour Bergson, le temps de la durée au contraire ne se laisse pas nombrer. Les instants qui le composent sont hétérogènes, chacun a son individualité propre, qui ne peut se confondre

Nous avons vu qu'en eux-mêmes, passé, présent et futur étaient insaisissables. Si l'on considère en revanche les traces qu'ils gravent dans l'esprit, une détermination de leur mode de présence devient possible. C'est là ce que va montrer saint-Augustin : au futur se substitue l'attente du futur (anticipation de l'avenir), au passé se substitue le souvenir, au présent se substitue la durée de l'attention; quand je suis attentif à quelque chose, la tension présente de mon esprit ébauche déjà une trace, c'est-à-dire un commencement de souvenir.

Il devient alors possible de mesurer le temps en fonction de ['acte psychique qui consiste dans le jeu conjugué des trois opérations que sont l'anticipation, le souvenir et la perception attentive. Le temps est moins perceptible en lui-même que par l'intermédiaire de ce qu'Augustin nomme la distension de l'âme {distensio animi}. La distension est un effort de l'esprit - ou de l'âme - pour retenir ce qui vient de se passer, se rendre attentif à ce qui advient, enfin anticiper ce qui va venir. L'âme, en quelque sorte, se gonfle et se distend au point que les trois moments du temps forment une unité qu'il est impossible de fractionner (texte 1). Cette continuité provoque un flux indivisible entre les trois moments du temps, flux qui annule en sa tension même la division ponctuelle de la temporalité en instants abstraits.

Nous parvenons à ce point à un résultat important. En effet, l'enquête sur le temps s'est déplacée progressivement d'un questionnement aporétique sur le passage du temps vers une prise en compte thématique de la succession dans la continuité, en un mot de la durée.

Première conséquence. La question ontologique : « le temps est-il étant ou non-étant » se trouve, sinon résolue, du moins éclairée par une affirmation : le temps est à la fois présence et absence. Les traces gravées dans l'esprit

« sont en elles-mêmes les signes - présents -d'une absence.

Tout se passe comme si le temps était le phéno­ mène (c'est-à-dire !'apparaître) du non-é tant .

Seconde conséquence .

Le présent, envisagé du point de vue de la distension de l'âme, perd son caractère de simp le laps de temps sans épaisseur et sans limite assignable pou r dési­ gner lunité des tro is moments du temps, passé, présent, futur.

No us passons alors du présent ponctuel au présent élargi, gage de la présence du temps.

--· LE PRÉ SENT ÉLAR G I Est-il possi ble alors· de faire paraître ce prése nt dans la pureté de son phénomène? C'est à une telle entreprise que se livrera Husser l en proposant une analyse phénomé­ nologique de la temporalité.

La phénoménologie est le nom donné par Husserl à une méthode ph ilosophique qui se propose, par la descr iption des choses elles-mêmes, en dehors de toute construction concep tuelle, de décr ire les structures de la conscience .

Dans son ouvrage Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps, c'est la conscience temporelle que Husserl soumet à cette méthode.

Il s'agit de tenter une description directe de !'ap paraît re du temps qu i mette à nu la const itution de la durée.

« Comment se cons tituent le temps lui-même, la durée et la succession des objets?» Telle est la question direct rice de J'enquête husserlienne.

Pour dégager ces phénomènes .

Husserl propose de suspend re l'examen du « temps object if », c'est -à-dire du temps mesuré par l'hor ­ loge, du temps cosmologique (temps de la nature) pour s'en tenir uniquement à la description du flux temporel ori­ ginaire de la conscience, c'est-à-dire la man ière dont le temps se constitue en apparaissant à la conscience .

À l'aide du concept de rétention (texte 2), Husse rl va montrer que la succession tem pore lle n'est pas de l'ordre d'une juxtaposition linéaire d'instants, mais d'un flux unifié et continu.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles