La loi doit-elle toujours être respectée ?

« [III.

La lettre et l'esprit de la loi.] [1.

Il peut être bon de transgresser la loi.] La solution proposée par Thomas d'Aquin pour résoudre cette contradiction entre la loi et la justice ou l'intérêtcommun ne consiste pas à prévoir les exceptions à cette loi : on pourrait en effet imaginer, après celle qui exige derestituer à chacun son dû, une seconde loi qui préciserait la première en interdisant de rendre leur bien aux fous ouaux traîtres potentiels.

Seulement, outre les difficultés à déterminer pratiquement le degré de folie ou de propensionà la trahison, il faudrait encore prévoir d'autres cas que ces deux derniers (ce qui est impossible, puisque les caspeuvent varier à l'infini) et prévoir des exceptions à cette seconde loi (on pourrait en effet autoriser dans unetroisième loi à rendre au fou tout objet avec quoi il ne peut faire de tort à personne ou à restituer au traître enpuissance son bien, mais en lui en interdisant l'usage complet ou l'exportation).

Il faudrait alors multiplier les lois àl'infini sans même pouvoir s'assurer de ne rien avoir oublié.La réponse de Thomas d'Aquin est tout autre : il faut, lorsque les circonstances l'exigent, transgresser la loi.

Il fautdonc admettre un principe supérieur aux lois.

Le bien consiste à observer la loi quand il le faut, à la transgresserquand il le faut. [2.

La loi est alors respectée dans son esprit.] Thomas d'Aquin n'indique pas la nature de ce principe supérieur à la loi, qui ne peut, par définition, êtreexpressément formulé codifié.

C'est semble-t-il la justice et le bien commun qui donnent substance à ce principe.

Latransgression de la loi ne peut se justifier que par la poursuite de la justice et du bien commun; sinon, c'estl'arbitraire et le mépris du droit.

Cette supériorité de la justice et du bien commun sur la loi ne diminue pasl'importance de cette dernière : au contraire, la loi est pour ainsi dire magnifiée par la justice et le bien de tous.

Cequi est transgressé, c'est, note Thomas, la lettre de la loi, et cette lettre n'a de valeur que pour autant qu'elle restefidèle à son esprit, tel qu'il se manifeste comme souci de justice et de bien commun.

Ce qui fait que la loi est loi,c'est son esprit, non sa lettre. [Conclusion] Thomas d'Aquin résout dans ce texte une contradiction inhérente au concept de loi: la loi n'existe que parce qu'elleest générale et ne s'applique qu'à l'individuel.

Il y a toujours un saut qualitatif entre ce général et cet individuel, ilest par nature impossible d'établir une transition, une médiation entre ces deux ordres de réalité.

La contradictiontoujours possible entre l'application stricte de la loi et la justice ou le bien commun ne fait qu'illustrer cette difficultépropre à la loi.

Si elle peut se résoudre, cela ne pourra se faire qu'à la condition de comprendre que l'essence de laloi réside dans son esprit, non dans sa lettre, et que les principes véritables du droit ne se laissent jamais exprimeren un code qui se prétendrait définitif.. »