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La main est-elle un outil ?

Publié le 02/10/2005

Extrait du document

Double ajustement, qui a pour conséquence, une extraordinaire adaptation de l'outil. La pelle à remuer la terre pourrait être immense, selon la visée qu'elle contient. L'exigence qu'elle soit a en main », la ramène, selon les lois de la prise et de la mécanique musculaire, à des proportions quasi-invariables.Tout se passe comme si la main allait chercher dans les objets naturels, sa propre image, dégagée des limites de son immédiateté. L'animal rend l'instrument à la nature après immédiat usage. L'homme va chercher dans les choses, en les façonnant, la dimension de la temporalité. Il accumule du temps dans l'outil, pour ensuite en gagner. Il s'ensuit qu'il conserve l'outil, au-delà de la situation présente, comme une possibilité, à l'avenir, de résoudre des situations analogues possibles, avec leurs difficultés supputées. L'outil acquiert un usage général, à travers une finalité conçue plus que ressentie. L'outil devient un schéma général d'action, valable pour des conditions abstraitement définies, hors de tout environnement concret.

« L'outil porte trace de la main qui l'a créé.

Dès qu'il existe, aussi grossier soit-il, il devient un éducateur pour la mainqui le crée.La main acquiert les habitudes gesticulatoires qui sont nécessaires à la fabrication.

Il est remarquable que ladécouverte des outils préhistoriques révèle l'existence de véritables ateliers où la fabrication se poursuivait encommun, sans doute par un dressage des mains novices à cette activité.L'outil existant impose des habitudes à la main qui doit s'en servir.

Sans doute, nous heurtons-nous ici au problèmede l'évolution, la transmission d'un apprentissage.

A ceci près, nous constatons bien aujourd'hui que l'usage d'unoutil déforme la main en la spécialisant.

Les déformations professionnelles de la main sont nombreuses et souventaisément reconnaissables.

Au niveau de notre propre expérience, nous savons bien qu'après l'achat d'un nouveaustylo, par exemple, la main s'adapte au nouvel outil à écrire, et réciproquement la plume du stylo se déforme, parl'usage qu'en fait notre main, au point quelquefois que nous sommes seuls à pouvoir nous en servir commodément.On peut imaginer tout le chemin parcouru par la main à travers les outils, depuis le silex taillé jusqu'à l'outil stylo, oul'outil bistouri.

La main s'est perfectionnée dans le sens d'une plus grande habileté générale, et, en même temps,dans le sens d'une adresse spécialisée.

Quelquefois, en surmontant péniblement des antagonismes dus à laspécialisation du travail.

La main disciplinée à la pioche souffre en devenant main à activité délicate, et inversementla main disciplinée aux travaux délicats souffre sur le manche des pioches.On peut donc dire que la main est une création des outils, non seulement en tant qu'activité, mais aussi commesensibilité.

Il n'y a de travail manuel convenablement exécuté et économiquement, que si la main est devenuecapable de sensibilité à travers l'outil qui la prolonge.

La sensibilité du charpentier est « au bout » de son marteau,et sur les dents de sa scie.

En écrivant, je sens ma plume.

La main qui a créé l'outil peut disparaître.

Elle se lègueen même temps que l'outil, à ceux qui prendront celui-ci en main.Nous nous sommes efforcés de rester aussi près que possible du plus simple des dialogues entre la main et l'outil.

Ily a toujours un moment où ce dialogue se fait intime et comme direct.

Mais si l'outil est une création complexe quirévèle l'intelligence et la pensée, la main elle-même, est aussi un produit de l'intelligence, et même de laconnaissance.

Les créations de L'Homo faber contenaient virtuellement les progrès vers l'Homo sapiens, mais nonpoint directement.

La science acquise par les hommes retentissait sur la main et sa conduite.

Le dialogue de la mainet de l'outil n'est pas un dialogue séparé.

Il intéresse l'homme tout entier et met en jeu ses plus hautes facultés. Le verbe grec cheirotonein signifie «tenir solidement dans sa main».

Comme le fait Achille, maniant son épée sur le champ de bataille ou Ulysse à la barre de son navire.

De la chirurgie à la chiromancie, que ne fait-on avecla main — et d'abord, dessiner le monde ? L'intelligence de la main André Leroi-Gourhan nous apprend que l'évolution des mammifères montre un développement parallèle de laboîte crânienne et des capacités de préhension: «la construction crânienne suit la typologie fonctionnelle dela main» (le Geste et la Parole, 1964).

Les mains saisissent, retournent, comparent: cela donne à réfléchir.Elles frappent, portent, lancent: l'homme fait l'expérience de sa force.

Elles touchent, caressent: quand lesvoix se taisent, les mains peuvent encore parler.

Dans Éloge de la main (1943), Henri Focillon écrit : « l'espritfait la main, la main fait l'esprit».

La main n'est pas le prolongement du corps : elle en est l'expression la pluspure et la plus complète.

Médiatrice entre l'homme et le monde, elle le façonne et l'anime.Le monde qui est «à portée de main» se déploie devant les hommes dans son « être disponible».

Mais cetusage du monde, dont la première médiation est la main, se dévoile aussi dans l'usage par la main des outilsqu'elle invente.

«L'action même de marteler découvre la "maniabilité" spécifique du marteau et cettemaniabilité révèle le monde dans son "ustensilité", dans ses usages possibles.

Le mode d'être de l'outil danslequel celui-ci manifeste de soi ce qu'il est, nous le nommons l'être disponible », écrit Heidegger (Etre etTemps, 1927).

La main et l'outil renvoient ainsi à un usage du monde qui est aussi celui de la pensée.Prolongée par le geste, la main désigne des directions dans l'espace, organise des mesures, et les outils del'arpenteur en établissent la cartographie.

« Sans la main, point de géométrie », écrit encore Focillon.. »

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