LA MORALE DE PLATON
Publié le 15/03/2011
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Nul n'est méchant volontairement. — La plupart des hommes s'imaginent que la morale consiste à prononcer des imprécations contre ceux qui se conduisent mal; le vulgaire, en effet, cherche peu les causes et n'est pas habile à les trouver : aussi attribue-t-il à la volonté des hommes leur méchanceté. Or, est-il possible que nous voulions le mal, c'est-à-dire la souffrance, la destruction? En vérité, nous ne le voulons ni pour nous, ni pour les autres. Ce que veut vraiment le matelot qui peine sur la mer et risque tous les jours sa vie, ce n'est pas la fatigue, la faim et la soif, ce sont les richesses que la pêche ou le commerce lui promettent; ce que veut le malade qui, sur Tordre du médecin, avale un breuvage amer, ce n'est pas la sensation désagréable, mais la santé qu'il croit s'assurer par ce moyen. De même l'homme qui vole ou qui tue ne veut pas le mal d'autrui ; s'il passe par-dessus la douleur de sa victime, c'est qu'il est fasciné par l'image du bonheur qu'il s'attend à trouver dans la possession de l'argent, du pouvoir, ou dans l'accomplissement de sa vengeance. Pour pouvoir se produire dans une âme humaine, il faut qu'une volonté se revête de quelque apparence de bien ; de même qu'il y a des idées impliquées dans les opinions les plus fausses, de même il y a une volonté bonne au fond des volontés les plus perverses ; l'absurde, comme tel, ne peut trouver place dans l'intelligence, le mal comme tel ne peut trouver place dans la volonté. Mais nous ne faisons pas plus attention à notre volonté profonde que nous ne faisons attention aux idées impliquées dans nos opinions. Pressés par la nécessité de vivre, c'est-à-dire par le besoin de nous nourrir et de nous reproduire, nous ne prenons pas le temps de réfléchir à la vraie nature du bien que nous poursuivons ; nous nous contentons d'en avoir une opinion; nous nous précipitons sur tous les objets qui en ont l'apparence. Préoccupés des moyens, nous oublions la fin.

«
savent : c'est une sorte d'inspiration, de grâce divine qui les tourne vers le bien.
La moralité est chez eux comme uninstinct; elle se propage de l'un à l'autre par l'exemple ou par la poésie, mais sans qu'aucun de ces hommes de cœursoit capable d'expliquer en détail les motifs de ses actes.
Quelquefois même, lorsqu'ils sont intelligents et versésdans la sophistique, ces esprits généreux, comme les deux frères Glaucon et Adimante, sont frappés de la justessedes théories selon lesquelles la vertu n'est qu'une illusion.
Malgré l'évidence des arguments, ils résistent pourtant ;ils voudraient que quelque habile dialecticien vînt réfuter par des preuves ces doctrines que leur cœur repousse.Tous, du reste, n'ont pas cette heureuse obstination : nombreux sont ceux pour qui le premier éveil de la réflexiondissipe toute croyance morale.
La morale de la force.
— A ceux-là, à ceux qui ont réussi à s'affranchir des prestiges et des enchantements del'éducation, les préceptes qui recommandent la tempérance, le respect des droits d'autrui, et condamnent l'ambitionet la violence, paraissent n'être que des entraves que la multitude médiocre tâche de mettre à l'homme fort.
Celle-ciest à la fois sotte et lâche ; elle n'est pas capable de concevoir de grandes passions, ni, après les avoir conçues,de les satisfaire ; mais elle ne consent pas à avouer son impuissance, elle en fait alors une vertu.
Elle craint par-dessus tout la venue d'un maître qui la mène comme elle le mérite ; aussi s'efforce-t-elle de circonvenir les enfants,elle leur promet des récompenses humaines et divines, s'ils consentent à vivre une vie paisible et médiocre, et lesmenace de châtiments imaginaires, s'ils ont l'audace de s'élever au-dessus de la condition commune et de faireservir les autres à la satisfaction de leurs désirs.
C'est ainsi que peu à peu s'est constitué, par la complicité de tous,un faux idéal delà vie morale, que les philosophes ont la naïveté de prendre au sérieux, et qui consisterait à n'avoirbesoin de rien.
Tout serait parfait le jour où l'homme serait réduit à l'état de la pierre et du cadavre.
En vérité, letriomphe de cette morale de mensonge et de convention serait la mort de l'humanité.
Vivre, c'est désirer; la naturene veut pas d'une égalité factice entre les hommes ; à chacun selon sa force, voilà lu justice selon la nature, sinonselon la loi.
L'homme supérieur est celui qui n'est pas dupe des hypocrisies morales ; au lieu de refréner ses désirs, illaisse prendre à ses passions tout l'accroissement possible, sûr qu'il est de les satisfaire par son habileté et sonaudace.
Jamais n'a été plus vigoureusement exposée que par Calliclès, dans le Gorgias de Platon, ce qu'on pourrait appeler lamorale des meneurs d'hommes; c'est la môme au fond que nous trouvons chez nos romantiques, lorsqu'ilsdéfendaient les droits du génie et de la passion, c'est la même qui séduit encore nos contemporains chez l'AllemandNietzsche; c'est la morale éternelle des grands tyrans, que continuera toujours sans doute à adorer l'humanité.Platon reconnaît qu'ils ont raison contre ceux qui ne voient dans la morale qu'un moyen d'amoindrir l'homme, dediminuer l'intensité de sa vie.
Si la morale peut être sauvée, il faut qu'elle ne nous demande que des sacrificesapparents, et nous rende au centuple ce que nous lui aurons donné.
Platon reconnaît que le plus grand nombre deshommes n'est vertueux que par nécessité, et en somme par impuissance ; mais il y a aussi quelques justes qui ont lepouvoir de nuire aux autres, et qui s'en abstiennent, par respect pour les Idées; il y a Socrate, à qui Criton offre unmoyen sûr de s'évader de prison, et qui, librement, en sachant ce qu'il fait et sans céder à une peur confuse del'opinion, refuse d'échapper à la mort en désobéissant aux Lois de sa patrie.
Voilà la vraie force, incomparablementplus puissante que celle des habiles.
Calliclès, qui fait profession de mépriser l'opinion, est, ne l'oublions pas, l'amantdu peuple; il flatte ces hommes qu'il prétend mener.
Seul Socrate se met au-dessus de la foule, parce qu'il estl'amant de la sagesse ; il est d'autant plus fort contre les hommes, qu'il se soumet plus complètement à la puissanceimpersonnelle des Idées.
La perfection de l'homme ne consiste pas dans la multiplication douloureuse des besoins et dans une tentativenécessairement infructueuse pour les assouvir; la raison est en nous, nous pouvons réfléchir, nous ne sommes pasréduits à être la dupe perpétuelle d'illusions nouvelles ; nous sommes capables de science ; une autre vie que celledu désir nous est accessible ; la pierre et le cadavre ne contemplent pas les Idées.
Celui qui meurt à son corps,celui qui est philosophe, ne perd rien s'il se rend immortel.
Comme le disait Héraclite, le premier maître de Platon,nous vivons la mort des dieux, et les dieux vivent notre mort.
La morale n'est pas seulement négative ; sespréceptes ne sont pas des entraves, elle est l'accomplissement de notre vraie nature, qui est la raison ; elle tailledans le vif de nos désirs, mais c'est pour que l'arbre de notre vie fleurisse éternellement.
La morale du plaisir.
— Si la vie morale n'est pas une obéissance servile à un ordre impossible à comprendre, sil'homme de bien n'est pas une dupe, il doit être possible de dire le bénéfice véritable qu'il retire de ses actions.
Maischercher en quoi la vertu est utile, n'est-ce pas rechercher les plaisirs qu'elle rapporte ? Il semble évident que lebien est le plaisir ; c'est sur ce principe que s'appuyait tout à l'heure Calliclès pour rejeter loin de lui ce qu'il appelaitles entraves de la morale.
Socrate a beau lui objecter que les passions ne sont jamais remplies, qu'elles ressemblentaux tonneaux des Danaïdes, — « Tant mieux, répond Calliclès : le jour où je serai satisfait, je ne vivrai plus; lebonheur humain consiste à verser sans fin dans ces tonneaux dont parle Socrate la liqueur enivrante de lajouissance.
»
Ne nous hâtons pas de nous livrer, comme les moralistes anglais modernes, comme Bentham ou Stuart Mill, à uncalcul subtil des plaisirs ; il est probable d'abord que les préceptes auxquels aboutirait une estimation nonmensongère de ces plaisirs ne ressembleraient en rien à ce qu'on appelle les préceptes de la vertu; et puis surtoutun tel calcul suppose, ce qu'il faut d'abord examiner, que le bien est le plaisir.
Tâchons donc de comprendre la vraienature du plaisir, et nous nous épargnerons sans doute la peine de construire une arithmétique des plaisirs,nécessairement fort contestable.
La vie, nous le savons, ne se conserve dans l'homme que par la persistance, à travers le tourbillon qui emporte lefeu, l'air, l'eau, la terre de notre corps, d'une proportion, d'une harmonie, sans cesse détruite et, tant que nous.
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