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La Pensée 68 et la philosophie

Publié le 23/03/2015

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philosophie

Ce qui doit être visé, ce n'est pas un accord programmatique gommant leurs différences 1.

 

Je ne vois pas ce qu'il y a d'inepte à rechercher un accord, voire un compromis, ni en quoi une telle visée est inéluctablement destructrice des différences.

 

En revanche, on mesure combien, dans la perspective qui est ici celle de Guattari, ce sont toutes les valeurs de la res publica, cet espace public au sein duquel seul il est possible de construire librement, par la discussion et l'argumentation, le consensus de la loi et de l'intérêt général, qui sont bel et bien balayées au profit d'un discours que la nouvelle droite pourrait signer sans la moindre difficulté.

 

1. «Contribution pour le mouvement«, Autogestion, l'alternative (hebdomadaire du PSU), novembre 1986.

 

groupes humains et les différentes cultures ne peuvent ni ne doivent chercher à communiquer entre eux, si toute référence à des valeurs communes n'est que tyrannie et violence de l'universel, il n'y a plus guère de choix : avec cette nouvelle éthique de l'authenticité, nous assistons bel et bien à la dissolution de l'idée républicaine au profit d'un retour à la vision romantique de communautés viscéralement closes sur elles-mêmes, incapables de dépasser leurs singularités ataviques pour entrer en communication avec autrui 1.

 

Nul hasard, dans ces conditions, si l'éloge de la différence, ainsi compris en un sens antirépublicain, en vient à se couler dans des formules qui sont à la limite, sinon du racisme, du moins du racialisme.

 

1. De là une véritable aversion pour la «discussion« qui s'exprime chez Deleuze et Guattari dans Qu'est-ce que la philosophie?

 

On y lit que les théoriciens de l'éthique de la communication (cela vise au premier chef Jürgen Habermas, mais pas seulement lui...) s'épuisent «dans la recherche d'une opinion universelle libérale comme consensus sous lequel on retrouve les perceptions et affections cyniques du capitalisme«.

 

Jamais les féministes ne seront assez impliquées dans un devenir-femme, et il n'y a nulle raison de demander aux immigrés de renoncer aux traits culturels qui collent à leur être ou bien à leur appartenance nationalitaire 1.

 

on l'aura maintenant compris, ce n'est pas tant d'école qu'il s'agissait dans ce débat que d'un conflit éthique, d'une «guerre des dieux«, eût dit Max Weber, qui opposait le libéralisme libertaire de l'authenticité et du droit à la différence aux partisans de l'universalisme républicain, de l'espace public et du désintéressement à l'ancienne.

 

Par un curieux retournement, la Pensée 68 pourfendra ainsi l'idée républicaine par excellence, la conviction qui animait la grande Déclaration des droits de l'homme, selon laquelle l'être humain mérite d'être respecté indépendamment ou abstraction faite de ses appartenances communautaires.

 

Fascinante ironie de l'Histoire, donc, puisqu'une idéologie d'extrême droite contre-révolutionnaire deviendra l'idéologie dominante de l'extrême gauche et des partisans de la discrimination positive.

 

Un autre grand point de fixation des débats de l'époque au sein de la Pensée 68 renvoie à la dissolution de l'idée classique de vérité.

 

«Il n'y a pas de fait, il n'y a que des interprétations«, écrit Nietzsche dans un aphorisme célèbre.

 

L'inconscient du généalogiste parle donc, lui aussi, dans ses interprétations, et quand Lacan dit «ça parle« en nous, la proposition vaut également pour le psychanalyste.

 

Il s'ensuit que les interprétations sont elles-mêmes ouvertes sur un abîme sans fond, toujours susceptible d'être interprété par un autre généalogiste.

 

Dans son essai consacré à la théorie platonicienne de la vérité, Heidegger explique en quel sens il existe deux doctrines de la vérité : une doctrine métaphysique illusoire et une doctrine non métaphysique, celle que la Pensée 68 va justement se réapproprier.

 

C'est ici le moment de vous donner un exemple du travail accompli par la Pensée 68 dans ce domaine et, sans nul doute, c'est avec l'Histoire de la folie de Foucault qu'on tient l'oeuvre la plus emblématique de la philosophie de cette époque, celle aussi qui aura le plus d'influence en dehors même du milieu philosophique proprement dit, parce qu'elle touchera toutes les sphères de la société en intéressant aussi bien les médecins que les juristes, les politiques que les simples citoyens.

 

Voyons donc d'un peu plus près ce que disait Foucault dans son Histoire de la folie à l'âge classique.

 

pas un motif d'exclusion ni d'enfermement.

 

Le fou conserve donc une place dans la cité.

 

Au contraire, dans la modernité, le fou subit la ségrégation sociale, un rejet radical qui conduira à son exclusion de l'espace social ainsi qu'à son enfermement dans l'asile.

 

Foucault situe ce tournant très exactement en 1656, date à laquelle un habitant sur cent, à Paris, est interné dans le «grand hôpital«, cette institution qui deviendra plus tard l'asile psychiatrique.

 

Loin de représenter un progrès, cette évolution vers l'enfermement constitue aux yeux de Foucault la pire des régressions.

 

Voyez déjà, avant qu'on entre dans le fond de l'argumentation, la stratégie globale du livre : c'est l'humanisme moderne qui est pris à revers, déconstruit et dévalorisé, alors que les temps anciens, qu'on tenait spontanément depuis les Lumières pour ceux de l'obscurantisme, de l'animisme, des tortures et des chasses aux sorcières, sont paradoxalement revalorisés.

 

Changement de perspective radical, donc, par rapport à l'humanisme traditionnel, rupture qui accompagne à merveille les thèmes de la déconstruction, de la généalogie et de la mort de l'homme.

 

D'autant que, comme on va voir, c'est évidemment au nom de la raison moderne, cartésienne et scientifique que la «déraison« du fou va servir de prétexte à l'exclusion sous la forme de l'enfermement asilaire.

 

Le fou va ainsi devenir l'emblème, le symbole parfait de ce que le rationalisme humaniste conduit à exclure.

 

«C'est au nom de la norme cartésienne qu'on produira de l'exclusion, la raison moderne se faisant fort d'exclure, d'ignorer, d'oublier et d'enfermer tout ce qui est `;autre«, différent, irrationnel.

 

De là la deuxième grande thèse du livre : si on a commencé à enfermer les fous au)(vile, c'est qu'il s'agit du siècle cartésien par excellence, du siècle où apparaissent les normes de la raison moderne.

 

Du coup, la folie se trouvera réduite à la «dé-raison«, elle n'est plus que l'autre de la raison, elle perd toute consistance propre pour ne plus être définie qu'en référence à ce qu'elle n'est pas.

 

Dès lors, le fou sera exclu comme celui qui, déraisonnant, n'est précisément plus dans la norme.

 

C'est donc au nom de la norme cartésienne, argumente Foucault, qu'on produit de l'exclusion, la raison, avec ses grands principes normatifs (le principe de non-contradiction, le principe de raison suffisante, le principe d'inertie, etc.) se faisant fort d'exclure, d'ignorer, d'oublier et d'enfermer tout ce qui est «différent«, autre qu'elle, irrationnel, tout ce qui relève du corps, des pulsions, du sexe, bref, tout ce qui ne rentre pas dans le moule du «système«.

 

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