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La Philosophie contemporaine

Publié le 23/03/2015

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Ce qui, aux yeux de l'humanisme moderne, va distinguer l'homme de toutes les autres créatures (notamment de ces «frères inférieurs«, comme disait Michelet, que sont les animaux), et ce en quoi réside sa valeur irremplaçable, c'est, désormais, sa liberté, sa capacité de «s'arracher« aux déterminations naturelles pour construire par lui-même son destin, son histoire : il n'est plus défini, ou plus seulement, par une «nature« qui lui serait propre, comme à telle ou telle espèce animale, pas même par une tradition dont il serait le prisonnier, mais il se définit par sa faculté de «se créer« sans cesse lui-même par le progrès des sciences et des arts, par la conquête d'une autonomie toujours plus large, par la maîtrise sans cesse croissante d'une histoire parfois révolutionnaire qui est censée lui donner les moyens d'accéder finalement, d'un même mouvement, à l'émancipation et au bonheur, «une idée neuve en Europe«, selon le mot célèbre de Saint-Just.

 

Dans cette perspective nouvelle, proprement humaniste puisque fondée sur l'homme et pour l'homme, la vie bonne va se définir non plus comme quête de sa place dans l'ordre cosmique, non plus par l'immortalité qu'on gagnerait en obéissant à Dieu, mais par la participation à l'histoire humaine et au Progrès.

 

Un homme est en quelque sorte «sauvé«, sa vie est pour ainsi dire «justifiée«, au sens théologique du terme, quand il a apporté sa pierre à l'édifice du progrès humain.

 

incarner ce que la liberté, la raison et la volonté à leur plus haut niveau pouvaient offrir de meilleur à l'avancée de notre civilisation.

 

C'était par rapport au progrès de l'humanité elle-même, et non plus par rapport au cosmos ou à Dieu, que se mesurait alors le salut.

 

Paradoxalement, bien qu'on fût désormais dans une perspective clairement laïque, l'idée religieuse de l'éternité n'était pas perdue pour autant, loin de là, mais elle avait changé d'assise, elle s'était, si l'on veut, sécularisée.

 

On y entrait par un autre biais, en gravant «pour l'éternité« son nom dans la pierre des édifices républicains, dans les bibliothèques des écoles ou au Panthéon, un nom rendu glorieux par ce qu'il était censé symboliser en termes d'héritage légué à nos semblables, en termes de progrès des connaissances, de la liberté et du bien-être.

 

Comme on voit, l'humanisme républicain, fût-il athée, constituait toujours une doctrine du salut, une «religion de salut terrestre«, comme on dit.

 

Nombre de gens ont, dans cette perspective, sacrifié leurs vies pour un combat politique, voire pour maintenir une idée scientifique, preuve qu'ils y voyaient un sens qui, par-delà la mort même, donnait une dimension d'éternité à leur destin.

 

toutes les «illusions« (du moins selon les déconstruc-teurs) métaphysiques ou religieuses qui fondaient les autres principes.

 

On déconstruit l'idée d'un cosmos déployant un ordre harmonieux et divin, comme celle d'un Dieu tout-puissant (c'est la fameuse «mort de Dieu« dont parle Nietzsche).

 

On en révèle le caractère illusoire et trompeur, donc nuisible, sinon pervers, puisque nous soumettons nos existences à ces mirages, au lieu de vivre hors aliénation.

 

Quand Nietzsche déclare que «Dieu est mort«, il ajoute que c'est un événement inouï, sans équivalent dans l'Histoire, une rupture qui bouleverse radicalement la condition humaine.

 

Dans le même esprit, les disciples français de Nietzsche, Michel Foucault notamment, annoncent la «mort de l'Homme«, c'est-à-dire la crise du troisième principe, l'illusion métaphysique que constitue la conception humaniste d'un sujet de part en part conscient, libre et rationnel, qui travaillerait au progrès de l'humanité et justifierait ainsi son existence.

 

Nietzsche, sans nul doute le plus grand penseur de ce «post-humanisme« qu'inaugure la déconstruc-tion, propose une réponse qui, parce qu'elle a rompu avec toutes les sagesses antérieures, est devenue centrale dans nos représentations de l'existence.

 

Intensité et émancipation, tels sont les deux traits essentiels qui vont désormais prétendre définir la vie bonne pour les mortels.

 

En quoi Nietzsche retrouve un thème cher, déjà, à Spinoza ---qu'il considérait à cet égard «comme un frère«, selon ses propres termes : c'est dans l'intensification des forces vitales que réside la véritable joie et dans leur diminution que gît la tristesse.

 

Pour des raisons tout à la fois philosophiques et historiques, je pense que nous sommes entrés aujourd'hui dans une cinquième période, caractérisée par un cinquième principe de sens porteur d'une nouvelle définition de la vie bonne : ce principe est le principe de l'amour et je voudrais dire ici pourquoi et comment il s'est imposé après les quatre premiers.

 

de l'histoire humaine, pas même une vie qui serait seulement libre et intense, mais c'est une vie dans laquelle il y aura eu de l'amour, heureux ou même malheureux, une vie dans laquelle l'amour aura transfiguré l'existence quotidienne et lui aura donné du sens.

 

Il est clair, en tout cas, que nous avons vécu au XXe siècle, en Europe, une déconstruction des valeurs traditionnelles comme jamais dans l'histoire de l'humanité.

 

péripéties au regard de la déconstruction tous azimuts à l'oeuvre au 21Y siècle.

 

Si nous considérons maintenant la vie quotidienne, et pas simplement la haute culture, le tableau est encore plus frappant.

 

Je n'ai jamais été séduit par les retours en arrière ou les restaurations, au sens politique du terme, et je n'invite en aucun cas à une description nostalgique du xixe siècle.

 

Je reviens donc à cette déconstruction également à l'oeuvre, disais-je, dans la vie quotidienne.

 

Que l'on songe, à titre d'exemple, à ces deux révolutions qui ont marqué l'histoire de l'Europe de manière singulièrement prégnante, en particulier en France : la fin des paysans d'un côté, l'émancipation des femmes de l'autre.

 

Il y avait six millions de paysans dans la France de mon enfance, dans les années 1950.

 

Aujourd'hui, il reste, chez nous, trois cent mille exploitations agricoles.

 

Le nombre de paysans a été pratiquement divisé par dix.

 

Encore faut-il ajouter que, dans le même temps, nous avons vécu la transformation du paysan en agriculteur --- ce qui n'est pas tout à fait la même chose.

 

Ces mutations ne modifient pas simplement le paysage physique, naturel et géographique d'un pays : elles révolutionnent aussi son paysage moral, culturel et politique.

 

Pour dire les choses simplement, le village dans lequel j'ai passé mon enfance, non loin de Paris, a changé davantage en cinquante ans qu'en trois siècles.

 

Les femmes y faisaient la lessive au lavoir, avec des battoirs qui ressemblaient à de grosses raquettes de ping-pong.

 

Quand je raconte ça à mes filles âgées de onze/ douze ans, elles ont l'impression que leur père sort directement, sinon de Jurassic Park, du moins des Pier-rafeux.

 

Dans mon village, les paysans faisaient les foins à la faucille ou à la faux.

 

Là encore, l'expression «faire les foins« ne dit plus rien à mes filles et, du reste, elles n'ont jamais vu de faucille ailleurs que sur le drapeau du Parti communiste français, et encore, il faut se dépêcher...

 

Mes filles n'ont jamais vu cet ustensile, pourtant présent dans tous les foyers à l'époque, ailleurs que dans un musée ou une brocante...

 

Si l'on considère les bouleversements intervenus dans l'histoire des femmes, la révolution, là encore, est sidérante, tant par sa profondeur que par sa rapidité.

 

Inutile de préciser que l'émancipation des femmes représente à mes yeux la meilleure nouvelle du siècle, ayant toujours pensé qu'il n'y avait pas d'homme libre sans femme libre --- cela dit pour confirmer l'idée que je ne suis pas dans la nostalgie, dans la perspective d'une «restauration«, mais dans un essai de compréhension du temps présent, c'est-à-dire du phénomène majeur de la dé-construction des traditions.

 

En première approximation, ce grand mouvement de déconstruction fut d'abord le fait, vers le milieu du xixe siècle, de jeunes gens animés par un nouvel idéal de vie «contestataire« : l'idéal de la vie de bohème, qui apparaît dans le Paris des années 1830.

 

L'idéal de la vie de bohème se construit, en effet, entre les années 1830 et le début du xxe siècle --- disons entre le Petit Cénacle de Théophile Gautier, Pétrus Borel et Gérard de Nerval, et les premiers pas de l «art moderne«.

 

Au fil de mes recherches et de mes lectures, qui m'ont occupé durant plusieurs années par pur plaisir, sans but précis au départ ni même l'intention d'en faire un livre, j'ai pris peu à peu conscience de l'importance cruciale de cette aventure singulière pour la compréhension des réalités intellectuelles, culturelles, morales et politiques du temps présent.

 

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