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La philosophie de Marx

Publié le 21/03/2015

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En avril 1819 List adresse à l'Assemblée du Deutscher Bund (créé par le Congrès de Vienne et réunissant, sous la conduite de l'Autriche, 39 États) une lettre cosignée par 70 commerçants et fabricants de Saxe, de Bavière, du Wurtemberg, de Bade et des deux Hesse dans laquelle il réclame la libéralisation du commerce intérieur mais en même temps une protection douanière contre la concurrence extérieure, en particulier anglaise.

 

L'Union Douanière (Zollverein) de 1834 exaucera cette requête.

 

Marx qualifie cette libéralisation dans un cadre national de «mainmise de la propriété privée sur la nationalité«.

 

Ce sont les années de l'institutionnalisation du mouvement ouvrier allemand, laquelle débouchera sur le «Programme de Gotha« (1875) --- que Marx critiquera durement --- puis sur le «Programme d'Erfurt« (1890), qui restera, malgré les remous de l'anarchisme et du révisionnisme de Bernstein, la Bible de la social-démocratie allemande jusqu'à la tourmente de la Première Guerre Mondiale et la première république allemande, la République de Weimar.

 

Mais lire la philosophie de Marx à la lumière exclusive de cette montée en puissance de la social-démocratie allemande et de l'Internationalisme, c'est cependant aussi occulter qu'elle ne s'y réduit pas, c'est-à-dire que dès ces années-là elle n'a pas cessé d'être en conflit avec ceux-là mêmes qui prétendaient l «appliquer«, que Marx ne leur a pas épargné les critiques les plus dures (notamment celle du «Programme de Gotha«), donc que le «marxisme« a, dès l'époque de son influence politique maximale, constitué une réserve philosophique qui s'est confirmée dans l'histoire du «socialisme réalisé« (le Bloc communiste) en inspirant dans les pays mis au pas par le communisme une pensée critique et, aujourd'hui encore, une réflexion qui ne s'estime pas invalidée par l'effondrement du «socialisme réel«.

 

Ce qui revient à dire, au bout du compte, que la philosophie de Marx réside dans l'enjeu qu'expriment les textes dits «de jeunesse« : la refon-dation de ce qu'il faut entendre par critique --- la critique de la Raison du XVIIIe siècle, dont Marx se déclare du reste expressément l'héritier, se transformant en critique de la domination sous toutes ses formes et notamment, puisque tel était l'état de la question au moment où Marx intervint, en critique de l'économie comme clef de toutes les autres formes de domination.

 

Le Programme de Gotha, qui fonde le Parti socialiste des travailleurs d'Allemagne (Sozialistische Arbeiterpartei Deutschlands) est issu de la fusion du Parti social-démocrate des travailleurs de Bebel et Liebknecht et de l'Association allemande générale des travailleurs (Allgerneiner Deutscher Arbeiterverein) de Ferdinand Lassalle, Marx critique le flou des fondements économiques du programme, dans lesquels il stigmatise une phraséologie lassallienne en retrait par rapport à sa propre analyse économique du procès de travail* et du procès de production*, mais aussi l'articulation de l'analyse économique et de la stratégie politique (et, à cet égard, tout particulièrement l'idée d'un État libre, qui, là encore de façon lassallienne, érige l'État au-dessus de la société et en fait l'enjeu de la lutte politique).

 

Si l'on s'en tient à une approche philologique, la «philosophie« de Marx doit assurément être cherchée dans les oeuvres de jeunesse, avant la rupture en quelque sorte officielle de Marx avec la philosophie dans les célèbres Thèses sur Feuerbach, qui se concluent par la formule si souvent citée : «Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde, ce qui importe, c'est de le transformer« (Xle thèse).

 

Dans cette première période, l'économie politique, que Marx a commencé de critiquer dans les Manuscrits de 1844, est encore abordée, comme l'a justement souligné Louis Althusser, sous un angle philosophique, sous l'égide de Feuerbach et de Hegel ; nous le montrerons à partir des textes.

 

Marx s'attaque plus à l'idéologie de l'économie politique, notamment anglaise, qu'aux réalités économiques.

 

Mais il ne faut pas surestimer non plus les Thèses sur Feuerbach.

 

En fait, la rupture avec la philosophie s'accomplit en 1845 au nom de la praxis ; c'est encore une rupture politique.

 

Bien qu'Althusser affirme qu «une coupure épistémologique sans équivoque intervient, dans l'oeuvre de Marx, au point où Marx lui-même le situe, dans l'ouvrage non publié de son vivant, qui constitue la critique de son ancienne conscience philosophique (idéologique) : L'Idéologie allemande« et bien que dans les Thèses sur Feuerbach «perce déjà la nouvelle conscience théorique2«, la véritable «coupure épistémologique« a plutôt lieu dans les oeuvres qu'Althusser appelle les «oeuvres de la maturation«, celles des années 1845-1857, lorsque la mise en oeuvre de l'exigence pratique révèle que l'organisation des luttes politiques passe par la prise en compte des réalités économiques.

 

On peut à bon droit considérer Le Manifeste communiste, qui expose dans son premier chapitre une théorie générale de l'évolution historique fondée sur le progrès économique et qui montre comment ce progrès, porté par la bourgeoisie, débouche sur l'opposition du capital et du travail, comme le texte décisif de ce passage.

 

Formule célèbre, là encore : «L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de la lutte des classes«.

 

Dès lors, la lutte des I. Althusser, Pour Marx, Paris, Maspéro 1965, pp. 157 sq.

 

classes, affirme avec raison Althusser, «est le "maillon décisif pour comprendre Le Capitale«.

 

A l'examen, la périodisation proposée par Althusser, qui entend distinguer une période «philosophique« et une période «scientifique« --- celle du «matérialisme historique2« fondé sur la conception économique de l'histoire ---, apparaît donc beaucoup trop rigide.

 

Cette approche reste globalement conforme à la distinction hégélienne entre représentation (Vorstellung) et «concept« (Begriff) et L'Idéologie allemande n'aura pas tort d'estimer que «toute la critique philosophique allemande, de Strauss à Stirner, se limite à la critique des représentations religieuses2«.

 

La question qui préoccupe Strauss, c'est en effet l'avenir de l'émancipation qu'ont représentée la religion chrétienne et, plus particulièrement, le protestantisme.

 

Pour les Hégéliens orthodoxes, l'État prussien incarnait la Raison et, en tant que tel, la «vérité« de la religion, non une religion particulière.

 

Or, bien que la constitution reconnût le libre exercice des cultes, le gouvernement prussien se trouva contraint de prendre le parti des protestants contre l'archevêque ultramontain Droste-Vischering.

 

En 39 Bauer rejoignit la gauche hégélienne.

 

La même année Feuerbach renversa la dialectique hégélienne dans sa Contribution à la critique de la philosophie de Hegel, avant de publier deux ans plus tard, l'ouvrage qui fit sa célébrité : L'Essence du christianisme.

 

Il ne voit pas que ce travail une fois accompli, le principal reste encore à faire.

 

Le fait, notamment, que la base temporelle se détache d'elle-même et se fixe dans les nuages, en tant que royaume indépendant, ne peut s'expliquer précisément que par la dissociation et la contradiction interne de cette base temporelle.

 

L'intérêt kantien, c'est-à-dire l'intérêt à l'émancipation, s'incarne dans des inntérêts particuliers, une masse «limitée« et «exclusive«.

 

Marx s'oppose ainsi à la conception idéaliste de la réalisation de l'Idée dans l'histoire.

 

Tandis que la «Critique« n'a que mépris pour la «Masse«, il entreprend de lui montrer qu'elle a sa réalité dans cette dernière.

 

Ne le voyant pas, elle se condamne à n'être qu'une version subjective de la critique, un universel abstrait privé de base matérielle mais prétendant incarner hic et nunc la Philosophie.

 

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« Introduction à la philosophie de Marx Qu 'est-ce que la « philosophie » de Marx ? Le chapitre consacré au marxisme de }'Histoire des idées politiques publiée sous la direction de Jean Touchard commence par cet avertissement : « Il n'est pas aisé d'exposer la pensée politique de Karl Marx ; il est encore plus malaisé de tenter d'isoler cet aspect de sa pensée de l'ensemble de la doctrine marxiste 1 ».

L'Histoire des idées politiques cherche à isoler une pensée politique ; nous nous heurtons au même problème si nous voulons, ici, isoler la philosophie de Marx de sa pensée politique et de sa réflexion économique.

C'est qu'en effet la théorie2 de Marx s'est constituée par une radicalisation progressive, embrassant tous les domaines, dont le mouvement s'affirme dès l'introduction à la critique de la philosophie du Droit de Hegel, en 1844: Pour l'Allemagne la critique de la religion est terminée pour l'essentiel, et la critique de la religion est la condition de toute critique.

[ ...

] La critique du ciel se transforme ainsi en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique3.

Il manque encore dans ce texte de jeunesse, l'aboutissement de cette radicalisation : la critique de l'économie politique, qui fonde toutes les critiques antérieures sur une détermination en dernière instance par la « formation économique de la société 4 ».

Aussi pourrait-on être tenté de choisir comme point de départ de cet exposé la théorie économique de Marx, qui s'ébauche dans les Manuscrits parisiens de 1844, en dépasse les prémisses philosophiques et anthropologiques dans les quinze années suivantes, trouve sa première formulation dans la Contrlbution à la critique de l'économie politique en 1859 et débouche enfin sur le tome 1 du Capital 1.

Jean Touchard, Histoire des idées politiques, Paris, P.U.F.

1967, t.

2, p.

617.

2.

Je remplace provisoiremept le terme «philosophie» par celui, en principe plus neutre, de «théorie», mais j'entends bien démontrer qu'il n'y a pas lieu de le faire.

3.

Introduction à la critique de la philosophie du Droit de Hegel, Paris, Aubier/Montaigne 1971, p.

51 et p.

55.

4.

Cf.

dans la deuxième partie de cet ouvrage l'extrait de la Préface de 1859 à la Critique de /'économie politique.. »

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