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La philosophie de Merleau-Ponty

Publié le 21/03/2015

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Or, si ce retour au voir vaut contre une pensée qui a substitué au monde une construction physique, il ne peut en aucun cas signifier une coïncidence avec quelque entité positive : voir, ce n'est pas rejoindre une réalité en son lieu, tenter de coïncider avec l'en soi en en défalquant tout ce qui vient de moi.

 

En effet, je vois le monde, mais ce monde n'est rien d'autre que ce que je vois : le monde c'est ce qui m'est donné comme tel, l'apparaître du monde pour moi est la mesure de son être.

 

Penser l'expérience comme une coïncidence, c'est se donner l'existence absolue du monde au lieu de s'interroger sur son mode de donation, et reconstruire après-coup l'expérience comme un contact objectif de la conscience avec l'objet.

 

Telle est aux yeux de Merleau-Ponty la vérité définitive du cogito cartésien et de la tradition transcendantale qu'il rend possible : aucune réalité ne me serait donnée si je n'y reconnaissais un sens, si je ne me rapportais à moi-même et mettais ainsi la chose à distance dans l'acte même par lequel je m'en approche et me l'approprie.

 

Bref, toute présence suppose une reconnaissance, un fait ne peut accéder à la conscience qu'en lui offrant une signification : le sens d'être de ce qui est c'est «d'être pour«, c'est-à-dire d'apparaître.

 

C'est pourquoi Merleau-Ponty rejette aussi bien l'intuition bergsonienne, au moins en un premier temps, que l'empirisme et les recherches en psychologie qui en sont tributaires.

 

Définir le donné comme un ensemble de sensations simples et irréductibles sur la base desquelles se construit l'objet perçu c'est, en dépit des précautions qui sont en général prises, se donner une réalité positive agissant sur l'esprit (ou au moins ne pas en écarter la possibilité) : aborder l'expérience à partir de contenus sensibles équivaut à la penser comme un contact réel.

 

Ph.P., Avant-Propos, p. III. la plénitude et la transcendance d'un monde, le percipi se réduit à un ensemble de réalités contenues dans l'esprit, d'idées qui nous viennent de Dieu.

 

Bref, en concevant l'esprit sur le modèle d'une chose du monde, comme une substance qui aurait pour propriété de s'apercevoir elle-même, l'empirisme maintient le principe d'une réalité en soi avec laquelle la conscience, qui en fait partie, peut établir une relation réelle.

 

Bref, un sens se dessine et, en cela, comme le dit Merleau-Ponty, notre communication avec le monde est le premier établissement de la rationalité.

 

Mais ici se présente un autre danger que Merleau-Ponty ne cesse de dénoncer à travers sa critique de la philosophie réflexive.

 

Comme l'écrit Merleau-Ponty dans une note de travail, «la perception est de soi ignorance de soi comme perception sauvage, imperception, tend de soi à se voir comme acte et à s'oublier comme intentionnalité latente, comme être«.

 

On rétorquera qu'il faut bien commencer et que la réflexion va tirer l'échelle à elle en montrant après-coup que l'irréfléchi dont elle est partie était déjà une réflexion oublieuse d'elle-même.

 

Merleau-Ponty circonscrit la tâche d'une philosophie de la perception par l'exclusion réciproque de deux attitudes fondamentales, celle d'un naturalisme qui pose un monde en soi avec lequel une conscience réelle peut entrer en rapport sous la forme d'une relation de cause à effet, et celle de la philosophie réflexive qui constitue le monde devant la conscience.

 

L'attitude constitutive de la pensée de Merleau-Ponty consiste en un étonnement devant la réflexion, étonnement qui en recueille l'incontestable et étrange possibilité au lieu de la considérer comme allant de soi, c'est-à-dire de l'adosser à un univers intelligible.

 

Aussi le but de la réflexion, au sens où Merleau-Ponty l'entend, doit-il être d'inverser le mouvement naturel par lequel l'expérience réflexive s'oublie en tant que connivence avec le monde pour se saisir comme thèse réflexive, c'est-à-dire d'interroger le phénomène de la Raison au lieu de le considérer comme allant de soi et de l'hypostasier sous forme d'un univers d'essences.

 

La réflexion ne consiste plus à rejoindre un univers positif de significations mais plutôt à saisir la rationalité à sa source, «elle n'est plus le passage à un autre ordre qui résorbe celui des choses actuelles, c'est d'abord une conscience plus aiguë de notre enracinement en elles« ; «la philosophie n'est pas un certain savoir, elle est la vigilance qui ne nous laisse pas oublier la source de tout savoir«.

 

L'interrogation neutralise la présence positive et saturante du monde naturel, où toute question est abolie par avance, elle en décomprime la plénitude et ouvre ainsi l'horizon d'un sens.

 

Si vraiment la réflexion philosophique est interrogation, elle ne se dépasse jamais vers l'appréhension d'un univers d'essences et, par là même, le questionnant ne peut jamais être défini comme subjectivité transcendantale.

 

Toute l'oeuvre de Merleau-Ponty consiste à la fois à donner corps à ce rapport interrogatif à l'Être et à décrire l'originalité de l'Être qui est visé dans ce rapport.

 

Dès la première page de La structure du comportement, Merleau-Ponty formule ce qui sera le problème de toute son oeuvre : comprendre les rapports de la conscience et de la nature en échappant à la fois aux explications naturalistes et à la solution criticiste.

 

Or, la méthode adoptée consiste à partir «du bas«, c'est-à-dire des résultats de la science, au lieu de s'installer dans la réflexion, c'est-à-dire de s'exposer au risque de réduire le rapport complexe de la conscience et de la nature à une constitution de la nature dans la conscience.

 

Ainsi, la saisie du monnde par le corps ne se distingue pas de son engagement en lui, de sorte que le monde est atteint en sa présence même plutôt qu'il n'est appréhendé dans une représentation.

 

Le rapport du corps à son monde n'est pas de connaissance mais de 1.

 

connivence, l'existence qu'il incarne a une signification pratique plutôt que théorique.

 

Cette relation originale avec le monde qui échappe à l'alternative de l'action causale et de la représentation, cette présence aux choses qui les atteint en leur lieu parce qu'elle ne les thématise pas, Merleau-Ponty l'appelle, à la suite de Heidegger, «être-au-monde« et il définit le corps comme «véhicule de l'être-au-monde«.

 

On le voit, la psychologie et la physiologie d'inspiration gestaltiste développent une critique du naturalisme qui n'a pas pour envers la position d'une conscience constituante ; le refus d'une nature en soi et la remontée vers le sens, appelés par leurs résultats, ne se paient pas du prix d'une perte de l'expérience.

 

Psychologie et physiologie mettènt au jour une subjectivité incarnée qui n'a rien à voir avec un sujet transcendental puisque son activité perceptive a pour condition son inscription dans un corps ; elles décrivent un être-au-monde irréductible à une relation de connaissance et une réalité qui se donne comme le pôle non thématique de mes initiatives plutôt que comme une unité de sens.

 

L'être-au-monde, dont le corps est le porteur ou la trace, donne la clef de l'expérience perceptive.

 

Ainsi, ce détour par la psychologie et la physiologie, qui représentent toutes deux un certain mode de thématisation en extériorité de la vie irréfléchie, permet à la réflexion philosophique de se maintenir au contact de l'irréfléchi, au lieu quelle s'emporte elle-même dans la position d'un sujet universel et manque ainsi la différence de la perception vis-à-vis de la connaissance.

 

L'expression Cependant, cette analyse de l'être-au-monde corporel présente des difficultés.

 

Tout d'abord, elle vaut beaucoup plus par ce qu'elle nie, l'explication causaliste de l'expérience ainsi que la solution idéaliste, que par ce qu'elle affirme.

 

En effet, sur chaque point abordé dans La phénoménologie de la perception, Merleau-Ponty commence par critiquer successivement la solution empiriste-réaliste puis l'approche intellectualiste-idéaliste.

 

Or la négation de chacune des positions reconduit implicitement la position adverse si bien que la description qui fait suite à la critique symétrique des deux perspectives, loin de proposer quelque chose de neuf, 1.

 

revient à une sorte de synthèse ou de mélange de ce qui a été écarté.

 

En se constituant tout entière contre l'empirisme et l'intellectualisme, l'analyse de la perception se construit aussi sur eux : le mode de conceptualisation de ces deux traditions est réinvesti dans le mouvement même par lequel elles sont critiquées.

 

D'un côté, toutes les descriptions convergent vers la mise en évidence, sous le nom de corps, d'un mode d'existence irréductible : l'être-au-monde doit être pensé comme une relation active et indéchirable qui précède les termes qu'elle articule.

 

En second lieu, dans la mesure où la Phénoménologie de la perception a pour but de dévoiler la figure originale du perçu, selon un mouvement pour ainsi dire archéologique, il est clair que les critiques y sont essentiellement dirigées contre les pensées, d'inspiration réflexive, qui prennent pour l'être véritable du perçu ce qui en est déjà une idéalisation.

 

Mais la question du fondement et de la nature de l'idéalité et, partant, de la vérité rationnelle, reste entière ; la découverte d'un substrat corporel de l'existence et d'une couche perceptive du monde ne préjuge en rien du statut de la vérité.

 

description du monde perçu à une philosophie de la perception, de vérifier que le mode d'être original dégagé au niveau de la vie perceptive préfigure celui du monde rationnel.

 

Afin d'établir ce point, dont les conséquences sont capitales, Merleau-Ponty met à profit la linguistique de Saussure, mais aussi, et de plus en plus, une réflexion sur la peinture.

 

En effet, en renonçant à la thèse d'un univers positif d'idées, on destitue le langage de toute spécificité par rapport aux autres modes d'expression et une confrontation avec la peinture devient alors légitime : il n'y a pas de différence de principe entre l'acte par lequel un sens s'esquisse dans les mots et un visage dans les couleurs.

 

La réflexion sur la peinture, qui est pour ainsi dire un langage silencieux, a précisément pour fonction de reconduire le langage à son phénomène originaire, c'est-à-dire de saisir le sens à l'état naissant et, partant, les signes au moment où ils se constituent comme tels : le passage par la peinture tient lieu de réduction phénoménologique de l'activité linguistique et, partant, de l'être idéal.

 

En décrivant l'inscription constitutive de l'idée dans une parole, Merleau-Ponty porte au premier plan le concept d'expression, qu'il ne faut pas entendre en un sens banalement psychologique mais comme ce mouvement singulier qui, en différenciant les signes les uns des autres, donne naissance à la distinction même du signe et du sens.

 

philosophie

« Qu 'est-ce que la philosophie ? Comme toute grande pensée, la philosophie de Merleau-Ponty peut être ressaisie tout entière à partir de la tâche qu'il assigne à la réflexion philosophique.

Mais, sans doute plus que d'autres, la philosophie de Merleau-Ponty pousse jusqu'à ses conséquences les plus radicales, c'est-à­ dire jusqu'à une refonte de l'ontologie, la définition grecque de la philosophie comme étonnement.

En effet, suivant le mot d'ordre assigné par Husserl à la phénoménologie, la philosophie doit être un retour aux choses mêmes, ce qui ne signifie ni une attention particulière accordée aux choses qui nous entourent ni une immersion insouciante ou affairée dans notre monde quotidien mais au contraire une rupture de notre relation familière avec le monde, rupture qui a pour but de le voir, c'est-à-dire de prendre possession de sa présence comme telle.

Le mystère, c'est qu'« il y a » quelque chose, mystère qui se complique aussitôt du problème de la signification de cet « il y a », de cette pure présence du monde que nous présupposons et oublions le plus clair de notre temps.

La vraie philosophie consiste à «rapprendre à voir le monde 1 ».

Entendons par là qu'elle doit reconduire à notre expérience proprement dite et à la réalité qu'elle délivre, à savoir le sensible : à rebours du platonisme, la philosophie de Merleau­ Ponty n'est pas une conversion à l'intelligible mais une reconquête du sensible.

Si on entend par perception ce qui nous met en rapport avec quelque chose, ce qui nous délivre une réalité transcendante, la philosophie de Merl eau-Ponty est assurément une philosophie de la perception.

Cette revendication de l'expérience a essentiellement une signification critique ; elle vise l'attitude, naturaliste ou scientiste, qui consiste à considérer naïvement que les concepts de la science sont le miroir de la réalité, à prendre la méthode pour l'être-vrai.

Ainsi, note Merleau-Ponty, « revenir aux choses mêmes, c'est revenir à ce monde avant la connaissance dont la connaissance parle toujours, et à l'égard duquel toute détermination scientifique est abstraite, signitive et dépendante, comme la 1.

Phénoménologie de la perception (noté Ph.P.), Avant-Propos, p.

XVI.

Voir également Le visible et l'invisible (Noté V.I.), p.

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