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LA PHILOSOPHIE DU SENTIMENT DE DIDEROT

Publié le 16/06/2011

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philosophie

 

Philosophie spéculative, philosophie expérimentale, ces deux façons de chercher la vérité sont toutes deux conduites par de la logique rationnelle dont on fait seulement un usage plus ou moins différent. Elles impliquent une confiance absolue dans la raison raisonnante, du moins aussi longtemps qu'elle s'enferme dans certaines études. Mais, en fait, la philosophie de Diderot est toute pleine de principes « alogiques «, de la conviction qu'il existe des moyens d'atteindre la vérité tout à fait indépendants de la raison, auxquels même la raison ne saurait rien comprendre. Parmi les puissances qui conduisent l'homme, il n'y a aucune raison pour que la raison se donne le pas sur toutes les autres. Souveraine dans certains cas, elle doit se soumettre et s'effacer dans d'autres. Et cela non pas seulement dans les beaux-arts, la poésie, le roman, etc..., mais aussi bien dans la philosophie et dans les sciences. Diderot, en effet, croit en la puissance et en l'efficacité des a passions «, de tout ce qui entraîne et transporte, sans aucun souci de la logique et de la méthode. Certes il n'est pas le seul en son temps.

 

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« 40 pages de lettres dont la plus grande part n'est faite que de sermons de morale.Tout cela serait fort bon et fort beau si le Diderot sermonnaire ne se heurtait inévitablement au Diderot matérialisteet déterministe.

Quels que soient les tours et détours, les ruses et subterfuges dont on use, et dont nous allons voirque Diderot a usés, il est impossible de concilier la morale avec le matérialisme, qu'il soit spéculatif ou expérimental.On peut bien pratiquer la vertu, on -peut bien même l'enseigner ; mais on ne peut pas croire qu'on est d'accordavec soi-même.

On ne saurait parler du crime du torrent qui vous noie, du dévouement de la branche à laquelle ons'accroche et qui vous sauve.

Or tout matérialisme enseigne que les actions humaines sont aussi nécessairementdéterminées que le cours du torrent et la croissance de la branche.

Il en résulte que les mots de vice et de vertusont des mots vides de sens, comme le dit Diderot.

Il n'y a donc se tirer d'affaire de son mieux en se moquant du «préjugé » de la morale.

Tout preuve que cette morale n'est qu'une convention, qu'elle ne repose sur aucune basefixe, qu'elle est constamment relative aux temps, aux pays, aux individus, à l'intérêt de ceux qui tentent de la fixerou de la modifier.

La morale « se renferme dans l'enceinte de l'espèce ».

« La justice ne peut consister en telles outelles actions déterminées puisque les actions auxquelles on donne le nom de justes varient selon les pays et que cequi est juste dans l'un est injuste dans l'autre.

« Vous croyez, dit le Neveu de Rameau (et ce neveu est Diderot oudu moins un Diderot) que le même bonheur est fait pour tous.

Quelle étrange vision ! La vôtre [la morale de l'autreDiderot] suppose un certain tour d'esprit romanesque, que nous n'avons pas, une âme singulière, un goût particulier.Vous décorez cette bizarrerie du nom de vertu ;vous l'appelez philosophie.

Mais la vertu, la philosophie, sont-ellesfaites pour tout le monde ? » « Concluons donc (et cette fois Diderot parle en son nom) qu'une action qui convientou ne convient pas à la nature de l'être qui le produit est normalement bonne ou mauvaise, non parce qu'elle estconforme ou contraire à la loi, mais parce qu'elle s'accorde avec l'espèce de l'être qui la produit ou qu'elle yrépugne.

» Et comme les êtres sont variables on peut même dire que, chez un même être, les actions pourront êtretour à tour conformes ou contraires, vertueuses ou coupables.

C'est le cas par exemple de ce Gousse dont Jacquesle Fataliste nous conte l'histoire, capable tour à tour de vols qui pourraient le conduire à la potence et dedévouements qui lui coûtent tout ce qu'il possède et pourraient le mener à la Bastille : t Je m'en revenais donc, etje pensais que s'il y avait une morale propre à une espèce, peut-être dans la même espèce y avait-il une moralepropre à différents individus ou du moins à différentes conditions ou collections d'individus semblables.

»La première conséquence est que si l'on fait partie d'une collection d'individus qui ne cherchent que leur plaisir oumême si, n'étant ni moraliste ni philosophe, on n'a de goût que pour son plaisir, il y aura bien des gendarmes, desprisons ou des potences pour vous rendre prudent devant certaines façons de la satisfaire, mais aucunraisonnement valable pour justifier le gendarme.

Le gendarme vous arrêtera pour attentat à la pudeur, pourdétournement de mineure, voire pour adultère, et l'on vous pendra ou brûlera pour inceste.

Mais tout lé Supplémentau Voyage de Bougainville est écrit pour démontrer qu'on est infiniment plus heureux et légitimement plus heureuxlorsque, comme les Tahitiens, on ne connaît ni la pudeur, ni la fornication, ni l'adultère, lorsque les jeunesdemoiselles n'ont pas d'autre ambition que de coucher le plus tôt possible avec un homme de leur choix et sontlibres de changer dès qu'un autre a su leur plaire.

C'est la convenance vraie, donc la morale, de l'espèce et del'amour ; et, comme en témoigne l'apologue de Jacques le Fataliste, il est ridicule pour la gaine de reprocher aucoutelet de changer de gaine, au coutelet de reprocher à la gaine de changer de coutelet.

Travaillons donc, dans lalimite de la prudence et dans la crainte du gendarme, à imiter les Tahitiens : « Si j'étais roi, je dirais en moi-mêmeau docteur de Sorbonne : Prêche, prêche tant que tu voudras ! Pour moi, je te promets que je travaillerai de toutema force à ce qu'ils soient tous bien gais, bien joyeux, bien libertins et que les voisins et voisines se damnent plutôtdeux fois qu'une.

»Rien ne s'oppose même, logiquement, à ce qu'un matérialiste conséquent aille jusqu'au bout de la doctrine etconclue que, pratiquement, il vaut beaucoup mieux être un coquin habile et triomphant qu'un honnête homme timoréet misérable.

« Le vice qui réussit est souvent applaudi et la vertu qui échoue presque toujours ridicule.

» Le Neveude Rameau est paresseux et jouisseur.

Il lui plairait de se goberger sans rien faire.

Il y a un moyen, qui est de sefaire parasite, comme un Palissot, un Poinsinet, un Fréron, un Baculard d'Arnaud, etc..., chez quelque financierstupide et avide de flagorneries, chez un Bertin ou un Bouret.

Malheureusement le Neveu n'a pas le tempéramentflagorneur.

Il aime l'indépendance et le franc-parler et les Mécènes lui ferment leurs portes.

Cherchons donc autrechose.

N'avons-nous pas une femme, une femme légitime, qui est pimpante, délicieuse, sur qui les passants sedétournent et que n'embarrassent pas les scrupules.

Gardons-la des aventures hasardeuses et sans profit.Réservons-la pour quelque riche et généreux amant qui la comblera, qui comblera du même coup le mari.

Des Grieuxn'est qu'un imbécile.

C'est Manon qui a raison.

Le sage sait fort bien s'accommoder d'un bonheur à trois et le Neveuy aurait trouvé la félicité si malheureusement la sémillante épouse n'avait pas commis la maladresse de mourir.Le Neveu de Rameau est constamment, il est aisé de le démontrer, non pas le neveu qui a réellement existé mais leportrait même de Diderot.

Assurément Diderot, s'il avait quelque penchant pour la chère abondante et délicate etpour la flânerie, était tout le contraire d'un paresseux et lui, comme l'honnête et rétive Mme Diderot, auraient certespréféré mourir de faim plutôt que de vivre du riche financier.

Mais c'est le coeur de Diderot qui pouvait se révolter etnon sa raison raisonnable de philosophe matérialiste et déterministe.

Il se trouve donc constamment encontradiction avec lui-même, en contradiction insoluble ; plus l'élan de son enthousiasme est impétueux, plus ilrisque de lui casser la tête contre le mur inébranlable et froid de la doctrine.

Sans doute il tente des conciliationsque nous allons retrouver tout à l'heure ; mais ces conciliations ne peuvent être que des subterfuges.

Elles nepeuvent renverser le principe que, pour justifier la morale, il faut admettre la liberté et qu'il n'y a pas de liberté dansun système matérialiste.

Diderot est donc obligé, quand il va au fond des choses, de reconnaître qu'il y a, dans sesidées, une opposition sans remède.

Et il n'a pas manqué de le reconnaître.

Son esprit est "balancé sans trouverd'ancre qui le fixât".

Ou bien, dans une lettre à Mlle Volland, cet aveu qui devrait être l'épigraphe de toute étude surDiderot : " Je ne puis souffrir que mes sentiments pour vous, que vos sentiments pour moi soient assujettis à quoique ce soit au monde et que Naigeon les fasse dépendre du passage d'une comète...

J'enrage d'être empêtré d'unediable de philosophie que mon esprit ne peut s'empêcher d'approuver et mon coeur de démentir.

" Le Neveu deRameau et Jacques le Fataliste sont de longues tentatives pour essayer de se dépêtrer.

Jacques est bon et. »

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