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La volonté ne doit-elle rien aux passions ?

Publié le 12/03/2011

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On a coutume de définir Passion et Volonté en les opposant et il est classique de montrer ces formes de la vie psychologique comme aussi contraires que possible, dans leur nature et dans leurs conséquences. Dans leur nature d'abord : la Passion se définit comme la Tendance exagérée, incapable de se plier à aucune discipline, elle se traduit aussi bien par l'oubli ou par l'impuissance des autres Tendances. La volonté en revanche est essentiellement discipline, choix parmi la série des Tendances et arrêt sur la Tendance adoptée. De ce biais elle s'oppose à la Passion d'une double manière : comme la stabilité à l'entraînement (elle serait un maintien et parfois même un refus), comme les fonctions judicatoires à la simple attraction des idées les unes par les autres. La volonté loin d'être tendance exagérée serait « réflexion sur les Tendances « et peut-être même « Réflexion « tout court.   

« caractères », la personnalité forme un bloc où tout se tient; il n'en reste pas moins que la réflexion permet, dans lamajorité des cas, de regrouper les éléments divergents du moi, de les orienter vers un but d'ensemble auquel nuld'entre eux ne demeure étranger. Mais encore une fois la Réflexion, si elle, définit la forme sous laquelle la tendance intervient dans la volonté, nesaurait suffire à définir la volonté par l'élimination de la Tendance, et, à prendre les choses de ce biais, on nesaurait, sur ce point, trouver matière à une différence de nature entre Passion et Volonté. En ce qui concerne la dissociation anarchique de la Personnalité, tenue pour susceptible de caractériser la Passion,une distinction s'impose.

La Passion ne saurait être considérée comme une force brisant la coordination du moi qu'àla condition de supposer une Passion s'attaquant à une Personnalité formée, détruisant un certain équilibre degoûts, d'affections, de tâches acceptées avec joie ou résignation; et encore s'agit-il de savoir si la Passion sebornerait à rompre cet équilibre réalisé, si elle ne le remplacerait pas par quelque chose d'autre ! Mais surtout il importe de considérer que c'est là en somme un cas exceptionnel, que bon nombre de passions sedéveloppant dans une Personnalité constituent bien plutôt un centre de groupement, un appel à des forcesextrêmement diverses qui, faute d'être orientées dans le même sens par un violent courant affectif, seraientincapables de s'unifier.

Chez bien des faibles la Passion la plus humble peut constituer ainsi une raison de vivre avecénergie et de concentrer en vue de l'effort nécessaire les ressources d'une personnalité hésitante. Il en est de même en ce qui concerne la soi-disant suppression par la Passion de la cohérence dans la conduite.

—Ce n'est pas en réalité la plupart du temps cette cohérence même qui est atteinte mais son caractère rationnel. La conduite du passionné se tient, comme la conduite de l'individu équilibré, mais elle se tient autrement; et ce quela logique commune ne saurait relier, la logique affective vient en faire la synthèse à la fois spéciale et profonde.Malgré les apparences Hermione ne se dément pas.

Il est naturel en effet que la passion poussée au paroxysme soitindifférente au sort de son objet et souffre non point de l'avoir détruit, mais de s'en trouver privée; il est naturelqu'elle se double d'horreur pour l'insensé qui a l'impudence de croire qu'après avoir satisfait la vengeance il seracapable de faire oublier la privation.

Il n'y a pas plus d'incohérence dans une passion dont on saisirait l'essence qu'iln'y a de réalité de l'erreur pour ceux qui voient dans cette erreur une vérité partielle dont l'apparition dans desconditions données sera jugée comme nécessaire, si on lui restitue sa place au sein de la vérité totale.

Lescontradictions s'expliquent comme des chocs en retour ou se définissent comme des subterfuges, mais révèlenttoujours l'unité profonde de la vie affective qui les sous-tend. De ce que la passion est abandon total à un certain objet on conclut peut être bien rapidement à la perte d'énergiequ'elle est censée entraîner.

Pour se convaincre du contraire il suffit de songer d'abord à la tension souventdésespérée que doit réaliser la Passion pour vaincre les obstacles intérieurs.

Affections solidement enracinées,intérêts vitaux, peur, haine ou pitié tout cela finit par s'effacer devant le dynamisme intense engendré par laPassion.

Passion religieuse d'un Torquemada, passion politique d'un Saint-Just, passion créatrice d'un Bernard Palissyou d'un Michel Ange ne réussissent à dominer les ordinaires sentiments humains qu'au prix d'autant de victoires surles instincts communs; et si la victoire semble parfois aisée, si' l'alcoolique cité par James n'hésite pas à se mutilerhorriblement pour se procurer de l'alcool, si le second de Robespierre pense que « Tout est facile pour ceux quen'arrête pas la terreur du tombeau », si Bernard Palissy sacrifie à sa recherche tous les biens des siens, ce n'est pasle signe d'une absence de lutte mais celui d'un tel débordement d'énergie passionnelle que la victoire ne fait pas dedoute un seul instant. Mais ce n'est pas seulement dans son triomphe sur les obstacles intérieurs, c'est encore dans sa lutte contre lesdifficultés extérieures que se révèle la vigueur mentale engendrée par la Passion.

On sait quels trésors d'ingéniosité,quelles ressources de courage le passionné doit parfois utiliser pour obtenir le résultat poursuivi.

Il y a, contrel'opinion commune, une singulière clairvoyance de la Haine; et la lucide vengeance d'une « Cousine Bette » est autrechose que simple invention de romancier.

Il est d'extraordinaires trouvailles commandées par le Désir.

N'en avonsnous pas un exemple dans l'ingéniosité de tel morphinomane qui pour satisfaire son vice se faisait envoyer del'héroïne entre le timbre et l'enveloppe des lettres ? Et dès lors si la Passion est susceptible de libérer une telle énergie psychique, est-il encore possible d'opposer à lavigueur mentale de l'homme de volonté la ruine à laquelle aboutirait l'esprit du passionné ? A vrai dire notre réponse sur ce point réclame une distinction.

Si nous considérons en effet que la Passion ne créepoint l'énergie appliquée à la poursuite de son objet, mais l'emprunte au reste de la vie mentale, nous seronsconduits à juger le résultat obtenu par la valeur de l'objet poursuivi en comparaison avec la richesse des ressourcespsychiques qui lui sont consacrées, et avec l'étendue des sacrifices qui lui sont consentis. S'agit-il par exemple de quelque chose d'aussi pauvre que la passion pour un toxique ou pour le jeu, s'agit-il d'unamour indigne, la cristallisation de toutes les énergies mentales autour de ce centre de perspective ne pourra guèreentraîner que des conséquences désastreuses.

S'agit-il au contraire d'un objet qui en vaille la peine — Passionapportée à une recherche scientifique ou à une création esthétique, amour assez profond et assez noble pour éleverl'individu au-dessus de lui-même — la concentration de la personnalité autour d'un tel souci dominant pourraposséder une haute valeur spirituelle.. »

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